chapitre 19


AMÉLIA

1er mai 2024

Je me réveillai avec une odeur de vanille et de confiture de fraise. Il me fallut quelques secondes pour remettre à l'endroit la pièce car je n'étais pas dans mon lit. J'étais sur un canapé beige. Je remarquais des détails que je n'avais pas vu hier soir comme les tableaux, un vase avec des fleurs toutes fraiches, et une fenêtre assez grande pour illuminer toute la pièce ainsi que le couloir. Pendant un instant je pus imaginer ce qu'aurait été notre vie si nous étions restées ensemble à l'exception près que je me serais réveillée dans ses bras sauf si la dispute de la veille avait été rude ce qui expliquerait pourquoi je dormais au salon. Elle préparerait le petit-déjeuner pour signer notre réconciliation avant d'aller travailler. Ou alors nous aurions pu passer une nuit très agitée, le matin en me levant je serais venue me poser sur le canapé après tout ces efforts et j'aurais fini par m'assoupir. En attendant que je me réveille, ravie, elle aurait préparé le petit-déjeuner. Je chassais toutes ces images de ma tête. La seule chose vraie était que Jeanne préparait des crêpes, alors je ne me fis pas attendre davantage. J'étais reposée, en forme, et habillée, le regard qu'elle poserait sur moi aujourd'hui ne pourrait pas me faire le même effet que la veille. Il fallait que je passe aux toilettes et que je me refasse une beauté avant qu'elle ne me voie pour être vraiment moi quand ce sera le cas. Je parvins à me faufiler discrètement sans qu'elle ne me surprenne. Quand j'eus fini de me préparer je la rejoignis à la cuisine.
Elle me considéra en tenant la poêle d'une main, comme si elle n'était pas sûre qu'hier avait bien existé et que je n'allais pas me réveiller chez elle. Encore un effet secondaire des retrouvailles. Il fallait accepter de s'être revu, se reconstruire une image de la personne en prenant en compte tout ce qu'il y avait de nouveau et composer avec.
Ce que je n'avais pas prévu c'était qu'elle s'en sorte aussi bien et que ça ne me laissait pas indifférente.
Il y avait des pots de confitures dévissés sur la table, de la pâte à tartiner et du sucre. L'odeur me donnait faim.
─ Ca sent vraiment bon, admis-je.
─ C'est prêt, m'annonça-t-elle en désignant la pile de crêpe qui attendait dans une assiette au centre des garnitures. Tu as bien dormi ?
─ Oui, ton canapé est très confortable.
Elle sembla hésiter un instant, puis :
─ Si jamais tu changes d'avis, tu connais le chemin...
Je l'observais en me demandant si elle me proposait de la rejoindre dans son lit.
Elle déposa une crêpe toute chaude dans mon assiette. La table était déjà dressée, puis elle s'assit en face de moi.
─ Café ou jus d'orange ?
La situation me parut invraisemblable. Cette question me heurta de plein fouet. A l'époque elle ne m'aurait même pas demandé, elle m'aurait servi un chocolat chaud. Mais nous avions grandi et nous ressemblions à deux jeunes femmes qui se réveillaient après un date qui se serait bien passé. Comme si nous nous étions rencontrées sur une application, comme si nous avions matché, et qu'il fallait apprendre à se connaître.
─ Je vais prendre du jus d'orange, répondis-je en saisissant la bouteille plus pour éviter qu'elle n'ait à préparer un café que par envie.
Elle en faisait déjà bien assez. Ça ne me surprenait pas qu'elle ait trouvé un travail dans l'évènementiel. Organiser des réceptions, ce genre de choses, ça avait toujours été son truc. Elle aimait réunir les gens. Voilà tout. Je n'avais rien d'exceptionnel à ses yeux, toutes ces petites intentions elle l'aurait fait pour n'importe qui. Et je ne savais pas si j'étais soulagée ou déçue.
Les deux.
Non, aucun des deux. Ça n'avait pas d'importance.
Je pensais que j'aurais les idées plus claires après avoir dormi.
Une fois avoir rempli mon verre je lui tendis la bouteille qu'elle attendait et sa main a recouvert la mienne en voulant la prendre. La chaleur de son contact m'a paralysé ravivant des sensations enfouies. Les sensations d'une fille que je ne voulais plus être, qu'il ne fallait pas réveiller. Je me raidis sur ma chaise essayant d'échapper à mes souvenirs. Il me faudrait éviter son contact pour le moment. Son regard je ne pouvais rien y faire, mais sa peau je pouvais lui échapper. Tant que nous n'aurions pas trouvé notre équilibre, je devais rester prudente.
Tout était férié aujourd'hui. Jeanne m'expliqua que le Sapphic Archives restait ouvert pour les chercheurs et les artistes qui séjournaient là-bas. Il faudrait qu'on aille chercher Hortense et Madeleine qu'elle était en train de prévenir par message, pour passer la journée ici.
Cette perspective m'angoissa. Les deux semaines allaient être éprouvantes. Je regrettais presque de ne pas avoir accepté la chambre pour pouvoir m'y réfugier en cas de besoin.
─ Tu as l'air épuisée, s'inquiéta Jeanne.
─ Certaines choses n'ont pas changé, soufflais-je.
Elle savait que j'avais besoin de mon espace. Ça avait toujours été le cas. Qu'il me fallait mes moments de calme pour me ressourcer au risque de plonger jusqu'à ne plus pouvoir respirer. Elle hocha distraitement la tête comme si les souvenirs lui revenaient en mémoire.
Comme la fois où elle m'a trouvé en pleurs dans un coin lors d'une soirée qu'une fille du lycée avait organisé parce que je me sentais surmenée. Ou à un de mes anniversaire lorsque j'étais montée dans ma chambre sans plus avoir la force de prononcer un seul mot. Elle avait été là, à chaque fois.
─ Tu peux aller te recoucher pendant que je vais chercher les filles. Prend le lit.
Je hochai la tête à mon tour, sachant qu'il valait mieux accepter. J'avais vraiment besoin de repos et ce serait stupide de s'entêter.
Après avoir mangé trois crêpes, je l'aidais à débarrasser. Une fois que nous avions fini, elle m'assura une nouvelle fois que je pouvais me rendormir et me laissa les clés sur la table avant de sortir. Je me retrouvais seule, au milieu de toutes ses affaires. Je m'allongeais timidement et fut irrémédiablement envahit par son odeur.
Je n'aurais pas dû venir.
Encore moins me glisser entre ses draps.
Qu'est-ce qui m'étais passé par la tête ?
Que j'allais venir leur montrer à toutes que j'avais changé et repartir sans aucune difficulté ? J'étais venu leur prouver que je n'étais plus la même, mais je n'avais pas eu besoin de faire le moindre effort. Jeanne l'avait vu immédiatement. Alors qu'est-ce que je faisais là ? Je veux dire, à part chercher des réponses au badbuzz de mon recueil de poèmes, qu'est-ce que je faisais dans son lit ?
Je devais rester moi-même en sa présence, ne pas sombrer. Me prouver à moi que je pouvais y arriver. Mais était-ce vraiment le cas ?
Au milieu de ses effluves je me sentais déjà si vulnérable.
Mon cœur s'affolait. Je ne pouvais plus lui offrir la même chose qu'avant. Je m'autorisais, sous la couette, à imaginer ce qu'aurait été notre relation si elle aussi avait quelque chose à me donner à l'époque. Si j'avais eu l'opportunité de recevoir.
Peut-être que ses doigts auraient parcourus mon intimité. Peut-être qu'elle aurait saisit mes hanches. Mes seins. Mes fesses. Elle aurait fait onduler mon bassin. La tête enfoncée dans l'oreiller, les images me parurent bien trop réelles. J'aurais aimé.
Je m'autorisais à me toucher avec la ferme intention de tourner la page une fois que mon corps se serait relâché. Une larme roulait le long de ma joue.
A bout de forces, je trouvais le sommeil.

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