1 - L'éclat de vie [Partie 2]
Mettant fin à sa contemplation des lieux, il vit lentement se dessiner le corps d'une femme face à lui. D'apparence jeune, la Pythie était en réalité âgée d'une centaine d'années. Sa physionomie préservée lui était accordée par les divinités antiques, cadeau de sa loyauté et de la ferveur qu'elle mettait à leur service. Il en allait de même de sa longévité, mais pour d'autres motifs. En effet, ceux-ci étant incapables de tisser un lien avec d'innombrables humains, ils préféraient s'attacher à un seul être pour plusieurs siècles, ceci afin qu'une véritable relation de symbiose se noue entre eux. L'augure Deïn était, par conséquent, encore une jeune prophétesse.
Vêtue d'un habit atypique, la pythura, elle resplendissait dans cet accoutrement divin à la couture parfaite. Il ne s'agissait pourtant que d'une robe de soie noire, mais l'étoffe du tissu accueillait des particularités rappelant les cinq éléments. A ses tibias, la jupe se découpait aléatoirement, mêlant des émeraudes à de minces cordons en soin brun. Plus haut, l'ébène de la manche droite s'éclaircissait en se rapprochant de l'épiderme pour n'y laisser qu'un céruléen très clair à l'extrémité d'une sempiternelle vague. Un saphir trônait au milieu des écumes. A l'exact opposé, le textile, plus court, se fragmentait en une composition de fils d'or jaune, rose et bleu au bout desquels se balançaient d'infimes diamants. Remontant jusqu'à son cou, la prêtresse avait l'épaule gauche dénudée, exception faite d'une bretelle bien solitaire. Comblant ce manque, un col se hissait de l'autre côté de son visage, pour se détacher ensuite et former une cape recouvrant son dos. Dessous, à l'abri des regards, une large partie de celui-ci se découvrait, chassée par l'imposant symbole d'une flamme.
Pour parfaire cette apparence, une tiare en argent habillait son front et ses longs cheveux marron-miel. Un saphir, une émeraude, un diamant, un rubis et un topaze paraient ce diadème, rappelant également le quintet magique. De magnifiques sandales hautes, en peau de licorne, mettaient enfin en valeur ses jambes fines. Cet accoutrement, cette œuvre ne surpassait toutefois pas la beauté de celle qui la revêtait, mais l'accentuait pour la sublimer.
— Bienvenue dans ce sanctuaire. Avez-vous pensé à amener un objet appartenant à l'enfant ? s'enquit-elle de sa voix cristalline.
— Un objet ? Ah... euh... oui, bien entendu, réussit-il à bredouiller, reprenant difficilement contenance. Tenez, il s'agit de la gourmette que lui ont offerte ses défunts parents.
— Je suis désolée de l'apprendre, répondit-elle, tout en recueillant dans sa paume le bijou qu'il lui présentait.
Elle l'examina avec minutie, s'attardant un instant sur le nom qui y était gravé :
— Velriade ?! lut-elle, interloquée. On ne saurait choisir plus beau nom que celui porté par la déesse de l'espoir. Sûrement une coïncidence, vu que le monde les a oubliés, glissa-t-elle ensuite dans un murmure rempli d'amertume que l'oncle ne manqua pas d'entendre.
Une fois ce court, quoique utile, examen effectué, elle lui rendit le bracelet de sa nièce. Le fugace contact avec sa peau douce le fit se perdre un instant dans ses pensées. Néanmoins, ne voulant pas paraître vulgaire, il s'obligea à réagir à son dernier commentaire :
— Je ne suis pas convaincu. Leurs noms résonnent encore chez bon nombre d'entre nous, même si quelques modifications ont pu y être apportées.
— Peut-être bien... lâcha l'Augure, avant d'arrêter ses pupilles émeraudes vers un recoin désert de la pièce. D'une voix moins assurée, elle reprit alors : Je... je crois que jamais, vous, vous ne les oublierez. Je suis contente de vous avoir... revu, conclut-elle, après quoi elle s'assit sur son banc et ferma les yeux.
Il attendit quelques secondes, guettant une quelconque évolution de la situation. Rien. Elle semblait dans une pose méditative, qui le laissa pantois. Ses deux précédentes visites avaient pourtant porté leurs fruits, la Pythie lui ayant offert ce qu'il était venu quémander. Elle avait distillé toutes les indications concernant l'éclat de vie de ses enfants, avait même dansé et chanté pour sa fille. Alors pourquoi, cette fois-ci, se faisait-il éconduire comme un fieffé voleur ? S'était-il montré inconvenant, avait-il blessé sa fierté par quelque mot déplacé ?
Face au mutisme et l'indifférence que manifestait son interlocutrice, il se décida finalement à prendre congé, non sans une pointe de regret. La main sur la poignée, il interrompit son geste lorsqu'une voix puissante et pleine de grâce surgit des profondeurs de la pièce :
— Ne vous débinez pas sans avoir recueilli son récit de vie ! commanda cette dernière. Il est des prophéties qui ne tolèrent pas d'intermédiaire.
Se retournant, il fut complètement abasourdi. L'aura autour de la Pythie avait pris une couleur de jade fascinante. Il en allait de même de ses yeux. Non pas seulement de ses pupilles, ou même de l'iris, mais de l'intégralité de ses globes qui étincelaient d'un vert divin absolument sublime et statufiant.
— Un être terrestre au nom divin que la Terre portera dans les cieux pour les éclairer. Une enfant meurtrie dont l'émotion se dédouble. Une rencontre, puis deux et enfin la vie recommence son sacro-saint déchirement afin que, dans les combats, son parti se décide. Une découverte, un savoir pour un destin transcendant la mortalité cruelle de l'humain. Un esprit de volonté plus fort que le tactile, qui s'épanouira une fois la tâche accomplie ! augura la séraphique visiteuse.
Resté coi devant ce déchaînement inhabituel de paroles divines, l'oncle entendait désormais reprendre contenance et se remettre à deviser. Cela ne se révéla pas si facile :
— Mer...ci... Merci. Je ne sais que... baragouina-t-il tout penaud.
— Il n'y a nul besoin de remercier ceux dont le souvenir est tombé, le coupa-t-elle. L'éclat de vie devra être réalisé avec de la poussière d'étoile. Celle qui a un jour chu en ce que vous prénommez Rimona. Un astre si flamboyant... sembla-t-elle soupirer. Adieu, créature mortelle !
Aussi soudainement qu'elle était apparue, la présence s'éclipsa, replongeant ainsi la salle dans le noir et le calme précédant sa venue. Inquiet pour la Prophétesse, Térik voulut lui adresser son réconfort, mais à peine eut-il entrouvert les lèvres, qu'un déclic dans son dos les lui fit clore derechef. La lumière extérieure s'engouffra, l'appelant à la rejoindre sans plus se soucier de la femme qui venait, à l'instant, d'être possédée. Dehors, ne l'attendait pourtant personne. S'étant assuré d'être seul, il comprit que la porte s'était entrebâillée d'elle-même. A moins qu'une quelconque divinité ne l'y ait aidé ? Cette simple idée, aussi saugrenue fût-elle, ragaillardit Térik et le gorgea d'espoir, ce qu'il n'avait plus connu depuis bien des années.
Tout en faisant défiler cette entrevue dans son esprit, il se dirigea vers l'antre du joaillier afin d'y passer la commande du pendentif. La découvrant à son emplacement habituel, il n'eut pas à la chercher très longtemps. Le battant qu'il ouvrit donnait sur la partie la plus reculée de la maison, celle qui s'enfonçait dans les entrailles de la montagne. Le bijoutier, forgeron de métier, se tenait à côté de son fourneau. Il était, en cet instant, occupé à façonner une serrure, sans doute pour l'une des nombreuses portes du temps qu'il avait pour tâche d'entretenir. Térik en profita pour observer son environnement. La partie prépondérante du plafond et du mur était taillée à même la roche, travail d'innombrables coups de pioche. Seule une cloison, celle qui fermait l'atelier, avait été maçonnée, permettant d'accéder à cet âtre de touffeur.
— Bien le bonjour, balança de sa rude voix l'artisan, un homme à la carrure imposante et à la barbe dorée non moins développée.
— Bonjour, lui rendit-il son salut, aimablement.
S'il ne le montra pas, il trouva déroutant de passer de la Prophétesse à son ouvrier. Tout les opposait. C'était toutefois là l'intérêt de cette contradiction, car cela permettait de fédérer l'ensemble des classes au culte des anciens dieux. Nonobstant, l'odeur de crasse et la chaleur suffocante étaient un revers nettement moins appréciable.
— J'parie que vous venez d'voir la Pythie. Un sacré spectacle qu'il paraît. Je sais pas, j'ai jamais eu d'gosses ou quoi que ce soit qui m'aurait poussé à la voir. Enfin, j'sais pas pourquoi que je vous dis ça, moi. Alors, qu'est-ce qu'vous voulez ?
— L'Augure a évoqué des poussières d'étoiles. Elle a rajouté qu'elles provenaient de Rimona.
— Quoi ?! s'écria le quadragénaire bourru, s'étouffant à moitié. C'est qu'c'est pas commun c'que vous m'demandez là. Z'êtes sûr qu'elle a pas plutôt dit Etypa ou Romon ?
— Non, non, c'est bien de Rimona qu'elle a parlé. Pourquoi ? Qu'a-t-elle de si spécial cette étoile ?
— Ben, elle date pas d'hier, mon gars. Pour vous dire, j'crois qu'elle est plus vieille qu'les hommes. Et puis, j'en ai pas des masses aussi. J'n'ai jamais vu qu'un type qu'en a eu b'soin. Et pourtant, j'suis pas tout jeune, ça j'vous le dis.
— Je vous assure que c'est ce qu'elle a demandé, commença à s'impatienter Térik.
— Boarf, si vous l'dites, j'vais pas vous chercher des puces non plus... s'inclina-t-il finalement, pour le plus grand bonheur de son client. Ça tombe bien, ça f'sait un bail que j'attendais d'y retoucher. Par contre, il m'faudrait savoir c'qu'elle a dit d'autre, si vous voulez que j'forge l'éclat de vot' gamin.
Il acquiesça et lui dicta mot pour mot ce que lui avait prophétisé la servante du panthéon, sans pour autant évoquer le moment de sa possession, considérant que cela revêtait un caractère par trop privé.
Délaissant la besogne qui l'accaparait jusque-là, le joaillier se lança dans son véritable ouvrage. Il dut, en premier lieu, récupérer dans un coffret – qu'il avait enfoui – la poussière en question. Pareille précaution suscitant l'étonnement de son commanditaire, il lui expliqua que pour un bien aussi rare, la méfiance n'avait rien de superflu. Une fois celui-ci déterré, il l'ouvrit à l'aide d'une petite clé et ne prit qu'une poignée seulement de sa précieuse ressource, puis rangea le reste à l'abri des regards. Avant qu'il ne s'empare d'un récipient ignifugé, pour l'y glisser, Térik eut le temps d'admirer ce matériau à ce point chéri. Loin des cendres qu'il s'était imaginé, il découvrit un ensemble de globules durcies de la taille d'un pépin. A l'intérieur, une coque translucide et pailletée laissait entrevoir une gouttelette rubis ou grenat, selon. Ahuri face à ce bijou, il ne se moqua plus de la vigilance du forgeron, le jugeant au contraire d'une véritable sagesse. Sa contemplation fut néanmoins de courte durée, puisqu'un couvercle lui boucha bientôt la vue. Percé en son centre, celui-ci permit de refermer la boîte, après quoi le tout fut placé dans un brasier aux chaudes flammes. En attendant que les résidus célestes atteignent la température désirée, l'orfèvre en profita pour continuer à s'épancher sur son existence.
Non mage et relativement peu chanceux, il avait vécu une enfance anodine. Tout cela avait changé, en revanche, lorsqu'il avait mis la main sur cette étrange poussière, voilà près de vingt-cinq années. A partir de ce moment, il s'était mystérieusement senti guidé vers la forge. Ayant appris auprès d'un maître à Paridroo, il n'avait quitté la capitale qu'au lendemain de sa mort. Il avait ensuite erré dans le pays, officiant en tant que forgeron itinérant dans les villages traversés. Ce n'est que par un heureux hasard que la vacance de son poste au Mont des Sens lui avait été révélée, le poussant à tenter sa chance. Depuis, il n'avait plus quitté la Pythie.
Dix minutes après avoir débuté son travail, le forgeron estima son matériau suffisamment chaud. Il le retira et, délicatement, le déposa dans un mélange de cristal et d'or blanc, sur lequel il activa son soufflet afin de modifier sa forme. Il le remit ensuite à plusieurs occasions au feu et le martela de quelques coups d'un fin burin. Finalement, il le ressortit une ultime fois et l'immergea, non dans de l'eau, mais dans ce qu'il lui présenta être du sang de licorne. Ce liquide, très onéreux, disposait d'une teinte argentée, presque lunaire, et sa texture semblait telle la soie. D'après ses dires, ses propriétés en termes de joaillerie demeuraient inégalées, ce que ne contesta pas le profane. Bien imprégné, le bijou fut au bout du compte laissé quelques minutes au repos. L'artisan le rangea enfin dans un écrin, qu'il tendit à Térik.
— J'crois n'avoir jamais réalisé si belle chose, s'extasia-t-il. Une expression plus sérieuse et soucieuse, il ajouta : Par contre, j'pense pas qu'la personne à qui il est destiné aura une vie très normale. M'enfin, c'est pas mes oignons... Souhaitez-lui un bon anniversaire. Allez, salut et bonne route ! acheva l'artiste, avant de retourner à son premier labeur.
— Oui, je n'y manquerai pas. Salut, répéta-t-il, sans grande vigueur.
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Cette entreprise accomplie, ne lui restait plus qu'à faire le chemin inverse. Il escomptait malgré tout flâner dans les magasins du bourg, dans l'espoir d'y dénicher un cadeau plus terre à terre et personnel à offrir à sa nièce.
La descente, par rapport à l'ascension, ne l'accapara qu'un court instant et il regagna rapidement l'allée principale du village, laquelle voyait son destrier se reposer. L'intérieur du hameau était composé de chaumières en piteux état davantage que d'étals ou de commerces. Il décela néanmoins une boutique susceptible de répondre à ses attentes et y pénétra. Une courte visite lui permit de trouver son bonheur. La transaction effectuée, il récupéra son cheval, non sans laisser un généreux pourboire au garçon d'écurie, et s'en retourna prestement chez lui, heureux de sa journée. Il avait dans sa besace de quoi contenter sa nièce. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle apprécierait ce qu'il avait concocté pour elle le lendemain, mais il ne se faisait guère de soucis à ce sujet.
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Et voilà, un autre chapitre de posté ! J'espère qu'il vous plaira, pour ceux qui ne l'ont jamais lu et, pour les autres, que les modifications apportées vous satisferont. J'ai cherché à faire plus court, à aller à l'essentiel ☺️
Un petit commentaire à donner ? A quoi pensez-vous que l'éclat de vie ressemble ? Une idée de la réaction de Velriade ? Et le 2nd cadeau, une idée ? Bref, n'hésitez pas à donner vos idées !
Et surtout, une petite étoile pour montrer que vous avez aimé 😉
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