0 - L'embuscade [Partie 2]

A plusieurs kilomètres de là, dans une demeure plus chaleureuse que ne l'était celle des Karian, mais d'autant plus modeste, une fillette dessinait avec insouciance. Ses parents, assis non loin d'elle, bavardaient sans attirer son attention. Essayant de s'imaginer un dragon qu'elle n'avait jamais vu, elle répétait les coups de crayons, lesquels aboutissaient à une espèce de lézard fluet et pourvu d'ailes. Elle s'apprêtait à y ajouter un torrent de flammes sortant de sa gueule, quand sa maman l'interpela :

— Velriade, ma puce, tu veux bien monter dans ta chambre ? Il faut que l'on parle, ton père et moi.

Relevant ses pupilles, elle croisa les siennes, douces et attentionnées. Ses yeux bleus, dont elle avait hérité, lui intimaient de partir, alors même qu'elle aurait préféré demeurer en leur compagnie. Elle y était néanmoins accoutumée et, sans chercher à se rebeller, opina du chef. Elle se redressa dès lors et, sous leur regard bienveillant, rejoignit le couloir pour gagner ensuite les escaliers.

Elle se trouvait à mi-chemin de sa destination, lorsqu'elle s'arrêta net. Elle n'en revenait pas, elle avait oublié d'emporter son croquis, celui sur lequel elle planchait depuis des heures et qu'elle estimait presque abouti. Il lui restait malgré tout quelques détails à peaufiner et elle mourait d'envie de les travailler. D'un autre côté, elle venait d'être congédiée et doutait fort que ses parents acceptent de la voir ressurgir si promptement. Mais s'ils s'éternisaient, si leur conversation venait à durer plus que quelques maigres minutes ? Se sentait-elle prête à attendre, quitte à s'impatienter ? Hésitant entre sagesse et insolence, elle laissa au bout du compte la témérité l'emporter.

Faisant machine arrière, elle s'immobilisa à proximité du salon, attendant un interlude dans la discussion que tenaient ses occupants :

— C'est donc le grand jour, entendit-elle clamer son père, non sans une pointe sarcastique dans la voix. Tu as une idée de qui va faire le déplacement ?

— D'après mon frère : Olinne, Therman, la bande d'Erith et c'est tout.

— Pas les Lane ? sembla-t-il se chagriner.

— Non, ils sont occupés aujourd'hui, mais je crois surtout qu'ils cherchent à se faire plus discrets.

— Comme si c'était le moment, s'agaça-t-il. Avec leur défection, on sera moins d'une dizaine. Pour se charger d'une de ces vipères, ça me paraît léger. Très léger même !

— Je ne te le fais pas dire, abonda-t-elle en son sens. Térik m'a néanmoins fait part d'un complice au sein du convoi. Celui-ci devrait grandement nous faciliter les choses.

— Si tant est que l'information soit bonne, Nilla.

Comprenant qu'elle n'avait pas affaire à une banale conversation d'adultes, mais à un sujet nettement plus croustillant, Velriade se cala contre le mur et tendit l'oreille. Son esquisse était désormais loin dans son esprit, tant ce dernier était absorbé par ce qui allait suivre. Privée de contexte, il lui était pourtant difficile de saisir le fond de cet échange. Elle était toutefois convaincue qu'il y était question de l'avenir d'un homme, mais lequel et pourquoi ?

— Hm, et comment ton frère voit l'opération ? s'enquit son père, après quelques secondes d'un silence haletant.

— Oh, tu le connais, lâcha sa femme. Il est obnubilé par cette affaire. Il rayonne à l'idée que l'Han'Kou frappe à nouveau. Il m'a même dit qu'on était restés trop longtemps inactifs et qu'il était de notre devoir de saisir cette occasion, afin de regonfler l'espérance des conciliens.

— Inactifs ?! faillit s'étranger son père.

— Oui, Ollan.

Focalisée sur ce qu'il allait répliquer, Velriade eut soudain un haut-le-cœur. Une main venait de se poser sur son épaule, la prenant sur le fait. Son rythme cardiaque s'affolant, elle se retourna et tomba nez à nez avec la servante.

— Quelle vilaine habitude que voilà, la réprimanda Maria, dans un murmure à peine audible. Ecouter aux portes... Venez donc là, petite chipie.

Sans solliciter son avis, elle l'agrippa par le bras et la tira à nouveau vers les marches, puis sa chambre. Contrariée d'avoir été découverte, la jeune Lius ne manqua cependant pas de remercier intérieurement la domestique, laquelle n'avait pas fait d'esclandre. Ses parents n'auraient certainement pas apprécié d'apprendre qu'elle les espionnait. Même si ce n'était pas son intention.

Les secondes qui suivirent, seule dans son dortoir, elle ressassa l'étrange conversation qu'elle venait de surprendre, mais elle n'eut pas l'occasion de le faire longtemps, que ses ascendants débarquèrent. La peur d'avoir été dénoncée refit instantanément surface, l'agitant de quelques tremblements discrets.

— On va y aller, ma puce. Ton oncle devrait venir te chercher dans trois heures. En attendant, tu te montres sage avec Maria, d'accord ?

— Oui, maman, sourit-elle pour cacher son angoisse.

— Viens là que je te serre dans mes bras !

Toute heureuse de n'avoir pas été démasquée, ni trahie, elle se blottit contre elle, le cœur soudain plus léger. Son père en profita pour l'embrasser sur le front, avant de rajouter innocemment :

— Tiens, mon cœur, tu avais oublié ton dessin en bas. Amuse-toi bien, on se revoit très vite.

Là-dessus, ils s'en allèrent, la laissant seule une fois encore. Elle ne s'en offusqua toutefois pas et, sans gamberger, reprit son œuvre là où les derniers évènements l'avaient contrainte à l'abandonner.

Une heure, puis deux, trois, quatre passèrent sans qu'elle ne s'en rende compte. Lorsque sonna la cinquième, pourtant, elle trouva surprenant que son oncle ne soit pas là. Il est vrai qu'elle ne manquait de rien. Grâce aux bons soins de Maria, elle avait mangé. Le reste du temps, elle en avait profité pour terminer son esquisse de dragon, avant d'entamer la lecture d'un roman d'aventures. Il ne s'était toutefois toujours pas montré. Certes, il n'était pas le plus ponctuel des hommes, mais jamais il ne lui était arrivé de la faire se languir tant de temps. Le spectre de la discussion entre ses parents ressurgit alors, mais il était aussitôt apparu qu'elle le chassa de son esprit. Elle ne voulait pas se faire de mouron, d'autant qu'elle ne pouvait rien faire pour précipiter sa venue. Convaincue qu'il n'y avait pas matière à s'inquiéter, elle se replongea dès lors dans sa lecture. Une vague histoire de conspiration...

Ce n'est qu'au bout de la septième heure que l'oncle tant attendu se pointa. Velriade entendit le brouhaha qu'il causa, tandis qu'il brutalisait l'entrée, avalait quatre à quatre les marches d'un pas aussi leste que lourd et se ruait vers sa chambre. Malgré cela, la porte demeura close une poignée de secondes encore, la noyant dans l'incertitude.

De l'autre côté, Térik hésitait, haletant. Il était lucide quant au devoir qui lui incombait désormais. Mais c'était si difficile ! Même pour lui. Alors comment faire pour l'annoncer à une enfant d'à peine onze ans. Il se rappelait de son anniversaire, le vingt-neuf juillet. Tout y avait été si parfait. Et voilà que quinze jours plus tard, à peine, il allait briser sa vie, la naïveté dans laquelle elle était bercée. Comment avait-il pu ? Ce quatorze août demeurerait à jamais dans sa mémoire, comme celui où il avait commis la pire erreur de toute son existence. Et cela pour un résultat dérisoire...

Accablé par la culpabilité, il sentit un poids considérable peser sur sa conscience. Moment choisi par sa main pour s'abattre lourdement sur la poignée, qui la fit basculer et ouvrit le battant. L'instant suivant, il se retrouva en face d'elle, confronté à son visage angélique, lequel n'aspirait qu'au bonheur. Son expression n'était toutefois pas lisse, mais drapée d'un tissu maillé d'angoisses.

— Tu es un peu en retard, tonton.

L'innocence de cette remarque lui tira un maigre rictus, trop vite remplacé par le sanglot qu'il retenait depuis qu'il avait appris la nouvelle. Une larme s'échappa alors de ses yeux, roulant tristement sur ses joues. Elle n'eut néanmoins pas le temps d'atteindre le sol, que Velriade la rattrapa d'un geste gracieux. Stupéfait par la vivacité de sa réaction, il lui laissa le temps de l'examiner. Il n'en fut pourtant pas moins médusé lorsqu'elle se colla à lui, humectant sa chemise de larges disques. Il ne sut comment, mais elle avait deviné.

Il se détacha d'elle, considérant que c'était le moment de lui annoncer.

— Il semble... que je vais voir plus souvent... mes cousins.

Continuant de l'épater, elle l'avait encore pris de court, le devançant avant même qu'il n'ait ouvert la bouche. C'était d'une voix chevrotante qu'elle s'était exprimée, mais qu'importe. Elle manifestait une force intérieure qu'il était loin de disposer. Sans doute avait-elle compris, au fond d'elle, qu'elle ne pouvait rien faire pour changer la situation. Cela n'ôtait toutefois rien à son courage. Conscient, malgré tout, que ses parents auraient voulu qu'il se charge de l'informer, il inspira un grand coup, avant de finalement se lancer :

- Ta mère, ton père, ils sont... morts.

***

C'était une phrase similaire qui venait d'être prononcée dans le manoir des Karian. Une de celles que Santo n'oublierait jamais. Pleurant à chaudes larmes, il était anéanti. Il ne bougea cependant pas, incapable de faire le moindre mouvement. Les paupières noyées, il ne fixait rien en particulier. Il n'aurait pas pu, de toute façon. Seules ses oreilles restaient ouvertes au monde, l'obligeant à écouter la suite du récit que livrait Keitan à son frère :

—... Nous ont submergé. Je n'ai rien pu faire pour sauver votre père. Ils s'en sont directement pris à lui et l'ont tué sur le coup. J'ai bien essayé de le venger, mais c'était peine perdue que de vouloir tous les annihiler. Ils étaient trop nombreux.

— Qu'as-tu fait, alors ? entendit-il l'interroger Seth, sa voix semblant surgir d'un très long couloir.

— Ça ne vous consolera sans doute pas de l'apprendre, mais deux de ces vermines sont mortes de mes mains. J'aurais aimé faire plus, en l'honneur de votre père et de la considération que j'avais pour le seigneur qu'il était. Je ne serais toutefois plus de ce monde si j'avais essayé. Je suis le seul rescapé de la garde de feu votre Père, l'unique survivant d'un énième attentat de l'Han'Kou.

— Bien. Tu peux disposer, tu n'es plus utile ici, le congédia finalement froidement son frère.

S'ensuivirent divers bruits témoignant de son départ. Le froissement de ses vêtements sur le tissu, le cliquetis de ses chausses sur le marbre, une porte qui se ferme. Puis, le silence. Celui d'une maison endeuillée, d'une fratrie orpheline, de deux frères désormais livrés à eux-mêmes.

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Voilà, un premier chapitre livré à vos avis critiques. Qu'en pensez-vous ? Vous a-t-il plu ? Comment imaginez-vous la suite des événements ?

Je vous laisse déposer une petite étoile, si ça vous a plu et vous donne rendez-vous pour le prochain chapitre ☺️

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