Page soixante-seize
Lundi 15 avril 2019
Tu te souviens de la fille qui s'était moquée de moi, le jour de l'atelier peinture ? Elle s'appelle Cassandra, elle a 16 ans et elle est ici parce qu'elle a tenté de se suicider plusieurs fois. C'est elle qui m'a dit ce qu'elle avait fait. Je ne la connais pas beaucoup, mais je crois qu'elle est malade dans sa tête, vraiment, pas comme moi. Elle me fait un peu peur par moment.
C'est elle qui est venue vers moi, il y a quatre jours. Je t'avais dit que j'irais dans la salle commune pour faire plaisir au Docteur Drews. J'étais assis sur l'un des canapés, à ne rien faire, elle s'est installée sur le fauteuil en face de moi. Elle a regardé le bandage que j'avais au poignet, j'ai rapidement tiré sur la manche de mon pull pour le cacher. Elle, elle en avait deux, un à chaque poignet et contrairement à moi, elle n'a pas cherché à les cacher. Je n'ai rien dit, elle non plus.
Maintenant tous les jours elle s'assoit en face de moi. On ne se parle pas beaucoup, mais au moins je ne suis pas tout seul.
Aujourd'hui elle m'a annoncé qu'elle comptait se tirer d'ici, qu'elle cherchait un plan pour s'évader. J'ai eu envie de lui répondre qu'on n'était pas en prison, mais peut-être que pour elle c'est le cas, peut-être qu'ils ferment la porte de sa chambre à clef la nuit, ou qu'ils l'attachent à son lit.
Je vais dans la salle commune tous les jours, mais je ne parle jamais aux autres patients.
Déjà parce que je ne parle pas tout court, ou très peu, je ne sais pas si c'est parce que je n'en ai pas envie, ou si c'est parce que je me suis habitué au silence. Mais surtout parce que je ne suis pas comme eux, je me sens différent. Je n'ai toujours pas ma place ici. J'ai peur de ne plus l'avoir dehors non plus. Je sais que je l'ai à la maison, mais à l'extérieur ? Dans la vraie vie, est-ce qu'il y a encore une place pour moi quelque part ?
Avant je me sentais à ma place partout, encore plus quand tu étais là. Tu étais mon point de repère, partout où on allait. Surtout quand on était petit. Je me rappelle la première fois qu'on est parti en colonie de vacances. J'avais peur d'être loin de la maison et avec d'autres enfants que je ne connaissais pas. Toi tu n'avais pas peur, tu n'as jamais eu peur de rien. Tu n'étais pas timide comme moi, tu n'étais pas impressionné par les autres comme je pouvais l'être. Et quand j'avais peur, tu me rassurais toujours.
Mais maintenant tu n'es plus là pour me rassurer et moi j'ai toujours peur de beaucoup de choses. J'ai toujours été le plus fragile de nous deux. Je crois que si c'était toi qui étais encore en vie, tu t'en sortirais mieux que moi. Tu étais bien plus fort.
Tu sais, même si je ne me sens plus vide comme avant, je me sens quand même vide. Il me manque une partie de moi. Je me sens moi, à moitié seulement.
Pardon, j'ai beaucoup écrit ce soir, mais il y a tellement de choses dans ma tête, je crois que ça me fait du bien de te les raconter. Tu étais le seul qui arrivait à me comprendre, même quand moi je ne me comprenais pas.
Je suis fatigué. Bonne nuit.
— Harry
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