Page quatre-vingt-quinze
Samedi 18 mai 2019
Quand j'ai demandé à maman de venir me chercher plus tard aujourd'hui, elle m'a demandé si c'était pour passer du temps avec "Personne". Elle avait le même petit sourire que la dernière fois. J'ai quand même vu dans son regard qu'elle s'inquiétait un peu de me laisser seul. Elle m'a dit de garder mon portable toujours avec moi, que si jamais il y avait quoi que ce soit, elle viendrait me chercher immédiatement.
Quand la réunion a commencé, Louis n'était pas là. J'ai pensé qu'il n'allait pas venir, avant de me rappeler qu'il était toujours en retard. Il est arrivé presque trente minutes après le début, il était essoufflé comme s'il avait couru. Il s'est assis sur la chaise libre en face de moi et m'a mimé un "toujours fâché ?", du bout des lèvres. J'ai secoué la tête. À la fin, quand on a quitté la salle ensemble, Jean nous regardait du coin de l'œil.
Les petites sœurs de Louis, celles pour qui on a dû choisir des cadeaux, ce sont des jumelles. Lily et Maya, elles vont avoir 9 ans. Des jumelles, des vraies, avec les mêmes visages. Sa mère a eu deux fois des jumeaux. Il a perdu son frère et tous les jours il doit voir des jumelles. J'aurais bien aimé lui demander ce qu'il ressentait, mais je n'ai pas osé. Revoir Julian et Julien aujourd'hui était encore difficile pour moi, alors je n'imagine pas si Jade ou Brooke avaient eu une jumelle. Je crois que je ne l'aurais pas supporté.
On a passé presque deux heures à faire les magasins. Il n'avait pas menti, il est vraiment nul. Il a sérieusement envisagé de leur offrir des chaussettes en forme de chat et de flamand rose. Finalement on a choisi des coffrets de vernis à ongles, avec plusieurs coloris à l'intérieur. Je lui ai proposé d'en prendre deux différents comme ça elles pourraient s'échanger les couleurs, mais il n'a pas voulu. Il a dit qu'il fallait en prendre deux identiques. J'ai vu son visage se fermer un peu, mais encore une fois je n'ai pas osé poser de questions.
Après ça, on s'est installé dans le même glacier que la dernière fois, mais cette fois je n'ai pas fait l'idiot, j'ai juste pris un jus d'orange. J'avais envie d'un milkshake, mais je savais que je n'allais pas réussir à le terminer. C'est Louis qui a absolument tenu à payer, il a dit que c'était pour me remercier de l'avoir aider. Sans moi, ses petits sœurs se seraient retrouvées avec des chaussettes pour leur anniversaire.
À 17H30, on est retourné au centre communal. Maman m'attendait déjà, elle est sortie de la voiture pour dire bonjour à Louis. Elle ne l'appellera plus "Personne" maintenant.
Je n'avais vraiment pas envie de revenir ici, ça devient de plus en plus dur d'être enfermé. Aujourd'hui, pour la première fois depuis longtemps, je me suis senti presque normal et c'était agréable. Ça m'a fait du bien de redevenir un adolescent presque comme les autres. Sauf que maintenant je suis de nouveau là, dans cette chambre d'hôpital et je ne me sens plus normal du tout.
Je réalise que j'ai quand même été sur la défensive toute la journée. J'avais peur que Louis me pose des questions auxquelles je n'avais pas envie de répondre. Heureusement il ne l'a pas fait, il n'a pas cherché à savoir des choses personnelles sur moi.
Je n'ai pas envie d'être obligé de lui dire que je suis interné. Ça m'est égal ce qu'il pense de moi, mais... je ne sais pas. Peut-être que si, finalement j'ai envie qu'il le sache. Peut-être que lui aussi il est interné ? Je sais que non, mais je suis sûr que d'autres personnes du cercle d'entraide le sont, ou l'ont été. C'est impossible que je sois le seul à qui ça arrive. Si Alicia avait été internée, peut-être qu'elle serait encore en vie aujourd'hui. Ou peut-être pas. Cassandra l'était elle, pourtant elle est morte quand même.
Je ne sais pas pourquoi je pense à tout ça maintenant. J'ai l'impression que quand je peux me sentir un peu mieux, mon esprit me rappelle à l'ordre. Ça m'est égal ce que Louis peut penser de moi, ou tous les autres d'ailleurs.
Je vais dormir, je suis vraiment fatigué ce soir. Je ne suis plus habitué à passer des journées comme ça, à voir autant de monde. Et encore, j'ai fui au maximum toutes interactions sociales, que ce soit avec les gens qu'on croisait, ou les vendeurs de tous les magasins qu'on a fait.
Bonne nuit Railey.
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