Page quatre-vingt-quatre
Samedi 27 avril 2019
Je viens juste de revenir, maman m'a déposé il y a moins de trente minutes. Le début de la journée s'est mieux passé que samedi dernier. Je savais que j'allais devoir rentrer ici, mais j'ai refusé d'y penser. Je ne voulais pas tout gâcher encore une fois, j'avais trop peur qu'Alan ne me laisse plus ressortir si je recommençais. J'ai fait plein d'efforts même si je n'en avais pas vraiment envie. J'ai aidé maman à choisir un cadeau pour l'anniversaire de papa. J'essaie de ne pas me faire de faux espoirs, mais j'espère que je ne serai plus ici d'ici là et que je pourrai le fêter avec eux.
La réunion des jumeaux, s'est mal passée. Une des filles n'était pas là aujourd'hui, Jean nous a annoncé qu'elle s'était suicidée. Il ne l'a pas dit aussi brusquement bien sûr, mais ça ne change rien. L'ambiance est devenue tellement lourde que j'ai cru que j'allais étouffer. Je sentais les regards de tout le monde autour de moi, ils se regardaient tous du coin de l'œil. Pour la première fois j'ai compris ce qu'ils ressentaient parce que je le ressentais aussi : on savait que chacun de nous aurait pu être à sa place.
Jean a tenu à en parler, il a dit que même si c'était difficile, c'était important qu'on le fasse. Je n'avais pas la force d'écouter, je suis sorti de la salle. Je n'ai pas été le seul. Une fille m'a suivi, une fois sur le parking, elle est montée dans sa voiture et elle est partie.
Comme la réunion est censée durer une heure et qu'elle avait commencée que depuis quelques minutes, maman n'était pas là. Tant mieux, je n'avais pas envie de devoir lui expliquer pourquoi j'étais parti ou ce qu'il s'est passé.
Je me suis assis sur un banc. Je ne regarde jamais ma cicatrice, mais je l'ai touché sous la manche de mon pull. Je ne sais pas pour les autres, mais moi j'aurais réellement pu être à la place de cette fille. Si j'avais été seul à la maison ce soir-là, ou s'ils ne m'avaient pas entendu, ou qu'on n'était pas arrivé à temps l'hôpital, c'est ma mort à moi que Jean aurait annoncé aux autres.
J'aurais vraiment pu mourir Railey. J'aurais pu être mort, pour de vrai, me retrouver dans un cercueil moi aussi. Je l'ai vraiment réalisé aujourd'hui et ça me fait peur d'en prendre conscience. Je ne veux pas ne plus exister.
J'étais perdu dans mes pensées, je n'ai pas entendu Louis arriver. J'ai sursauté avant de tirer rapidement sur ma manche. Il s'est excusé de m'avoir fait peur, puis il s'est assis à côté de moi. J'ai regardé l'heure et j'ai compris que lui non plus n'avait pas eu la force de rester. Il n'a rien dit de plus, il n'a pas tenté d'engager la conversation. Je ne le connais pas vraiment, mais j'ai quand même senti que ça ne lui ressemblait pas, il n'a pas l'air d'être le genre de gars qui aime le silence. Peut-être qu'il connaissait cette fille plus que moi ? Même sans la connaître, juste en la croisant là-bas, ça m'a perturbé, alors si lui était ami avec elle, je comprends pourquoi il n'avait pas envie de parler.
Quand maman est arrivée, il m'a demandé si je serais là samedi prochain. Je lui ai répondu que j'espérais, c'est la première fois que je prononçais quelque chose devant lui. Je sais qu'il n'a pas compris, mais je ne pouvais pas lui dire que la décision ne m'appartient pas, car je suis interné dans un hôpital, parce que justement j'ai failli être à la place de cette fille.
Aujourd'hui pour la première fois, je me suis senti proche des personnes qui vont au cercle d'entraide. Je n'ai pas aimé ça, je ne veux pas me sentir proche d'eux, surtout pas pour une raison comme celle là.
Maman a vu que quelque chose n'allait pas, mais je ne lui ai rien dit. Si moi je me suis imaginé à la place de cette fille, je sais qu'elle aussi aurait fait la même chose. Je ne voulais pas lui faire de la peine ou l'inquiéter ou lui faire peur.
Ce matin j'étais content de sortir de l'hôpital, ce soir j'aurais préféré que cette journée n'existe pas.
— Harry
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