Page quatre-vingt-dix-sept

Mercredi 22 mai 2019

Hier après-midi, après le départ de l'auteur, j'ai trainé un peu dans la salle commune pour trouver un livre. Je n'avais jamais vraiment fait attention, mais ils en ont plein, j'avais du mal choisir, comme si c'était un choix important. Le garçon de la cafétéria, s'est approché de moi. Il m'a juste dit "salut", toujours avec le même sourire qu'il avait il y a deux jours. Je n'ai pas répondu, je n'ai même pas relevé les yeux vers lui. Il a attendu plusieurs secondes, puis il s'est éloigné. En partant j'ai vu qu'il ne souriait plus, je crois que je m'en suis un peu voulu.

Si les gens sont à l'hôpital, c'est parce qu'ils ne vont pas bien physiquement et s'ils sont dans cette aile-là, c'est parce que c'est leur tête qui ne va pas bien. Il est peut-être là parce qu'il est malheureux et peut-être qu'il l'est encore plus depuis qu'il est ici. Sûrement même, comme moi.

Peut-être que je pourrais lui dire bonjour demain ? Ce n'est pas parce que je lui dis bonjour ou que je parle avec lui, qu'il va forcément mourir.

J'ai été voir Alan aujourd'hui. La fille qui sort toujours de son bureau quand j'arrive, n'était pas là. J'y ai pensé pendant toute notre séance, il a senti que j'étais ailleurs. Trois minutes avant la fin, je lui ai demandé si elle était morte. Je savais qu'en posant la question au dernier moment, il serait obligé de me répondre, mais qu'on n'aurait pas le temps d'en parler. J'ai vu aussi que ma question l'a surpris.

Elle n'est pas morte, elle est seulement partie en vacances avec ses parents. Elle s'appelle Delphine, je crois que c'est un prénom français. Je ne suis pas sûr de savoir le prononcer, j'ai regardé comment il s'écrivait sur internet. Mais même si je ne sais pas prononcer son prénom, dans ma tête elle ne sera plus "la fille en noir que je croise chez Alan tous les mercredis".

Même si j'avais du mal à me concentrer parce que je pensais à autre chose, on a quand même parlé du lycée. Je ne vais plus en cours depuis que tu es parti, je sais que j'ai pris beaucoup de retard. Je lui ai dit que je ne voulais pas y retourner quand je sortirai de l'hôpital. On a discuté de toutes les options qui pouvaient s'offrir à moi.

Il pense que la meilleure solution pour moi, c'est de ne pas y retourner tout de suite. De toute façon l'année scolaire est presque terminée. Il a dit que je pourrais prendre des cours de soutien pendant l'été pour rattraper tout mon retard et passer en terminal à la rentrée. Il a aussi dit que si j'avais du mal à tout rattraper, je pouvais refaire une année de première. Je ne veux pas redoubler. Déjà que ce sera dur d'y retourner, je n'ai pas envie que les gens me regardent encore plus, parce que je recommence la même année.

Alors il m'a proposé une troisième solution : changer de lycée.

Je n'ai rien répondu, parce que je ne veux pas changer de lycée. Il a senti que je ne voulais plus en parler, alors il a changé de sujet.

Je n'arrête pas d'y penser depuis que je suis revenu. Est-ce que tu crois que changer de lycée pourrait être une bonne idée ? Je ne connaitrais personne dans un nouveau lycée, je n'aurais pas d'amis et je serais tout seul. Mais d'un autre côté personne ne me regarderait avec pitié, il n'y aura pas ton souvenir dans chaque couloir et dans chaque recoin. Je n'aurais pas à passer tous les jours devant ton casier, qui n'est sûrement plus le tien maintenant. Les souvenirs de toi partout ne seront pas là pour me hanter dans un nouveau lycée. Mais je n'ai jamais été seul, sans toi, nul part, on est dans la même classe depuis toujours, on n'a jamais été séparé.

Me retrouver tout seul dans une nouvelle école me fait peur, retourner dans la nôtre où tu seras partout, alors que tu n'es plus là, me fait peur. Peut-être que je pourrais demander à papa et maman de faire l'école à la maison, je n'aurais plus jamais à retourner au lycée. Ni dans le nôtre et ni dans un autre.

Ça me rassure quand même de savoir que je n'aurai pas à retourner en cours tout de suite quand je sortirai d'ici. Tu serais content à ma place je crois, tu n'aimais pas étudier, c'était moi le plus studieux de nous deux.

Je vais dormir, je suis fatigué de trop penser.

— Harry

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top