Page cinquante-trois

Samedi 9 février 2019

Cent-trente-deux jours.

La première fois que j'ai été au groupe d'entraide, c'était pour faire plaisir à maman. Si j'ai voulu y aller aujourd'hui, c'était pour qu'elle me laisse tranquille. Depuis que j'ai eu de la fièvre, elle est toujours derrière moi, encore plus que d'habitude. Elle voulait que je reste à la maison cet après-midi, mais c'était hors de question. J'avais besoin de souffler, même si c'était seulement pour une heure et avec des gens que je n'avais pas du tout envie de voir.

Je ne sais pas pourquoi, mais cette fois j'ai un peu écouté. Une fille a perdu sa sœur jumelle et sa mère dans l'incendie de leur maison, il ne lui reste plus que son père maintenant. Je crois qu'on s'est tous senti un peu mal à l'aise, car elle, elle a perdu deux personnes. Même si maman m'étouffe et que j'en ai souvent marre, je ne sais pas comment j'aurais réagi si je l'avais perdu en même temps que toi.

Une autre fille a perdu son frère jumeau d'un cancer. Elle racontait que le plus dur pour elle, c'était de le voir mourir lentement et qu'elle s'en voulait, elle ne comprenait pas pourquoi c'était lui qui était tombé malade et pas elle. Quelque part, je me suis senti chanceux. Je crois que je n'aurais pas supporté de te voir mourir petit à petit devant mes yeux, sans rien pouvoir faire pour t'aider.

À partir de là, je n'ai plus vraiment fait attention. J'étais perdu dans mes pensées, jusqu'à ce que la porte de la pièce s'ouvre et me fasse sursauter. Un garçon est entré rapidement, il était essoufflé, comme s'il avait couru. Il s'est excusé d'être en retard, il a demandé si c'était bien là le groupe de soutien pour les jumeaux et jumelles, puis il s'est encore excusé. Jean l'a invité à s'asseoir et à se présenter. Il a juste dit qu'il s'appelait Louis, mais qu'il ne se sentait pas encore prêt à parler, parce qu'il ne connaissait personne. 

Jean a raconté sa propre histoire, je ne sais pas s'il l'avait déjà fait la première fois que je suis venu, mais cette fois j'ai écouté. Je n'arrivais plus à me perdre dans mes pensées de toute façon. Son frère jumeau est mort d'une overdose il y a douze ans. Il s'appelait Philippe. Jean nous a expliqué qu'il a tout fait pour l'aider. Qu'il a payé pour chacune de ses cures de désintoxication, pour tous les médecins et professionnels qu'il allait voir, qu'il l'a hébergé chez lui pendant des mois, mais que malgré tout ça son frère finissait toujours par replonger.

Ensuite il nous a parlé de la culpabilité. Il a dit que c'était quelque chose que l'on pouvait tous ressentir. Que ce soit la culpabilité de ne pas avoir pu aider notre frère ou notre sœur face à ce qu'ils traversaient, ou tout simplement la culpabilité que l'on pouvait ressentir d'être encore en vie, alors qu'eux ne sont plus là.

Ses mots auraient pu avoir un sens, si j'avais vraiment eu envie de les prendre en compte, mais encore une fois, je vais à ces réunions uniquement pour maman, pas pour moi.

Depuis que Brooke m'a emmené chez le coiffeur, j'arrive encore moins à me regarder dans un miroir. J'ai la coupe de cheveux qu'on a toujours eue. Quand je me regarde, je te vois toi, pas moi.

— Harry

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