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Mercredi 24 juillet 2019

Il faut que je te raconte le rendez-vous avec Alan, mais je ne sais pas trop par où commencer.

Quand on est arrivé, il nous a reçu tous les trois dans son bureau. Papa et maman parlaient tous les deux en même temps, ils étaient vraiment dans tous leurs états. Je sais que c'est de ma faute, j'ai conscience que je les ai vraiment inquiétés en peu de temps. Un tatouage et une fugue (c'est eux qui ont employé ce mot) en pleine nuit, en l'espace de quelques jours c'était beaucoup. Alan a dû intervenir pour les arrêter dans leur monologue. Il m'a demandé ce qu'il s'était passé, il m'a laissé une chance de m'expliquer. Ça a été vraiment difficile pour moi, mais je crois que papa et maman méritaient une vraie explication.

Je leur ai dit que j'avais ressenti le besoin de faire ce tatouage, parce qu'il avait un lien avec toi. Et que quand j'ai fait le mur, ça n'avait aucun rapport avec eux, que ce n'était pas dans le but de leur faire peur, ou leur créer des soucis. Que j'avais seulement envie de rejoindre un ami. Je crois que maman a compris que je parlais de Louis, mais elle n'a rien dit.

Ils m'ont demandé ce que j'avais fait toute la nuit dehors. Sur le moment ils ont eu un peu du mal à me croire, quand je leur ai dit qu'on a juste discuté. J'ai dû répéter plusieurs fois que je n'avais pas bu d'alcool et que je n'avais pas pris de drogues non plus. J'ai failli rajouter qu'on n'avait pas non plus commis de braquage ou agressé une petite mamie dans la rue, mais je ne l'ai pas fait. Ça aurait été vraiment insolent de ma part.

Puis Alan a demandé à me voir seul. Il a voulu comprendre mon comportement et pourquoi j'avais fait tout ça, car d'après lui ça ne me ressemblait pas. Mais Alan non plus, il ne me connait pas réellement, il ne connait que le Harry d'après toi. Peut-être que ce que j'ai fait l'aurait moins surpris s'il avait connu le Harry d'avant, celui de quand tu étais encore là. Encore plus, s'il t'avait connu toi.

Je lui ai confié que je ne supportais plus la façon dont papa et maman agissaient avec moi, je lui ai même parlé de cette immunité de ta mort que je ressentais et qui m'étouffait. Puis c'est lui qui a deviné tout seul que j'avais passé la nuit avec Louis. Je ne lui ai rien raconté de plus sur Louis, sauf que c'est la seule personne à qui j'arrive à me confier un peu et avec qui j'aime passer du temps.

Alan a dit qu'il me comprenait et il m'a rassuré en me disant qu'il allait s'occuper de papa et maman. Ils patientaient dans la salle d'attente, il m'a demandé de sortir et de les faire entrer. J'ai écouté à la porte, je sais que ce n'est pas bien, mais ça me concernait, alors j'ai le droit.

Pour commencer, Alan les a rassuré eux aussi. Il leur a dit que mon comportement était normal après ce que j'avais vécu. D'après lui, si je me suis fait tatouer c'est parce que j'ai besoin d'attention. Ce n'est pas vrai, mais je te répète juste ce que j'ai entendu. Et par rapport au fait que j'ai fait le mur, il leur a dit qu'il ne fallait pas y voir une provocation personnelle. Certes que j'étais puni et que je n'aurais pas dû, mais que j'avais 17 ans et que des bêtises j'allais encore sûrement en faire. D'après lui mon comportement est même rassurant, je redeviens lentement un adolescent qui cherche à vivre des expériences de « jeunes de mon âge. »

Il me manquait des brides de phrases ou des passages par moment, mais j'ai entendu papa demander s'ils devaient s'inquiéter, parce qu'il n'est pas sûr de tolérer que je disparaisse quand ça me chante et que je revienne encore une fois de plus tatoué.

Alan lui a rappelé dans quel état j'étais il y a quelques mois, quand je ne parlais plus et que je ne ressentais plus rien. Il leur a dit que lui avait confiance en moi et qu'eux aussi, devaient me faire confiance. Il a conseillé à maman et papa de discuter avec moi, d'ouvrir un dialogue. Je l'ai entendu leur demander à combien de temps remontait notre dernière conversation, quand était la dernière fois que l'un ou l'autre a vraiment pris le temps de discuter avec moi. Pas de réponses. Je pouvais ressentir le malaise, même à travers le mur. Aucun des deux n'a pris le temps de discuter avec moi, mais je ne peux pas leur en vouloir. C'est de ma faute. C'est moi qui suis incapable de me confier ou de m'ouvrir à eux.

Je l'ai entendu leur dire qu'eux aussi avaient besoin de retrouver leur place de parents. Qu'ils devaient agir avec moi comme ils l'ont toujours fait. Le dernier mot que j'ai entendu c'est sur-protection, après ça j'ai arrêté d'écouter. Je suis aller m'assoir dans un des fauteuils et j'ai attendu qu'ils terminent.

Pendant le trajet du retour en voiture, je m'attendais à ce qu'ils essaient d'avoir une discussion avec moi, d'ouvrir un dialogue, pour reprendre les mots d'Alan, mais ce n'est pas arrivé. Ils ne l'ont pas fait non plus, une fois rentré à la maison. Par contre ils ne sont plus en colère, j'ai presque l'impression que c'est comme si rien n'était arrivé. Comme si je n'avais pas de tatouage ou que je n'avais pas disparu une nuit entière.

Je pense qu'ils ont d'abord besoin de discuter tous les deux, avant de venir le faire avec moi. Alan m'a souvent parlé de ma place dans la famille, même Jean nous en a souvent parlé pendant les réunions, de notre nouvelle place sans notre jumeau ou notre jumelle. Alors maman et papa ont le droit, eux aussi, de prendre le temps de retrouver leur place de parents ou d'être perdus.

Je m'attends quand même à tout moment à une discussion. Je crois que ça m'angoisse un peu.

J'espère que tu veilles sur papa et maman comme tu veilles sur moi. Et sur Brooke et Jade aussi. Et tout le monde, même si ça te fait beaucoup de travail, on en a besoin.

— Harry

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