Mardi 23 juillet 2019

Je suis sorti en cachette de la maison, cette nuit.

Hier soir, vers 21h, Louis m'a téléphoné, on a discuté un petit moment. Il n'arrivait pas à dormir alors il m'a dit qu'il pensait aller faire un tour à la clairière, pour s'aérer un peu l'esprit. Évidemment j'ai eu envie d'aller m'aérer un peu l'esprit à la clairière, moi aussi.

Il a tout de suite dit que c'était une mauvaise idée, quand je lui ai annoncé que je comptais faire le mur. Mais ça m'était complètement égal, j'avais envie de le voir et surtout, j'avais envie de sortir, j'en avais marre de me sentir enfermé. Je lui ai dit de me rejoindre dans la rue juste derrière chez nous, à 23h.

Je devais d'abord attendre que maman et papa aillent se coucher. Surtout papa. Des fois, ça lui arrive de me venir me voir, avant d'aller dormir. Je ne sais pas pourquoi il fait ça, peut-être pour s'assurer que je suis bien là, ou que je respire toujours ? Je crois que ça le rassure. J'ai bien fait d'attendre, car il est venu. Quand j'ai entendu la porte s'ouvrir, j'ai fait semblant de dormir. Il m'a caressé les cheveux puis je l'ai entendu toucher quelque chose sur ma table de nuit. Quand il est parti, le cadre avec la photo de nous deux et Brooke et Jade, n'était pas exactement dans la même position qu'avant.

Je suis déjà sorti de la maison sans rien dire à personne, depuis que tu es mort, mais je n'étais pas puni, alors je crois que ça ne compte pas. Faire le mur ce n'est pas pareil. Je ne l'avais fait que trois fois dans ma vie avant et c'était toujours avec toi, c'était toujours ton idée. J'avais un peu peur de me faire prendre, mais finalement ça a été vraiment facile.

Louis m'attendait un peu plus loin. Il avait un vieux vélo tout rouillé avec lui. Je n'ai pas eu le droit de rire, parce qu'il a dit que c'était de ma faute s'il l'avait acheté. Comme je suis puni, samedi après la réunion, il a été se promener tout seul, il est tombé sur une brocante et « voilà ».

Quand je me suis assis sur le guidon, je n'étais pas certain qu'on arrive entier à la clairière, ou sans perdre une roue sur le chemin. Il couine à chaque coup de pédale, ce qui nous a fait rire. Finalement je l'aime bien son vélo, même s'il est tout sauf discret quand on tente de partir en cachette.

On a passé une partie de la nuit à discuter, allongé dans l'herbe. On a regardé nos tatouages aussi. Il m'a demandé comment papa et maman l'avaient découvert, j'ai hésité, mais finalement je lui ai dit la vérité. Il a compris. Sa mère aussi est différente avec lui depuis la mort d'Evan, avec Lily et Maya aussi d'ailleurs. Elle est beaucoup moins sévère qu'avant avec eux et maintenant elle les surprotège, surtout les petites. Il m'a dit que ça allait un peu mieux entre les jumelles, elles se disputent encore souvent, mais elles ne se battent plus.

On ne s'est jamais battu toi et moi. Peut-être quand on était petit, pour un jouet, tu crois ? Moi je ne crois pas, ou alors je n'en ai aucun souvenir. Je suis sûr que non.

On a parlé de Leah, tu sais la fille qui a cessé de venir aux réunions, parce qu'elle est prête à avancer sans nous. Louis aussi, a été un peu perturbé par sa décision, mais il est heureux pour elle. J'ai réalisé que moi je n'ai pas été heureux pour elle un seul instant, j'étais juste focalisé sur le fait que je ne la comprenais pas.

Parfois j'ai l'impression d'être un peu égoïste, pas parce que je ne suis pas heureux pour les gens, mais parce que je ne pense pas à l'être. J'ai l'impression de ne plus être vraiment capable de voir le positif dans les choses. Peut-être que ça reviendra un jour.

Louis lui, il voit toujours le positif. Je l'admire pour ça.

On a parlé de tout et de rien, de son travail au café, des clients qui y viennent. Il m'a raconté plein d'anecdotes, certaines marrantes, d'autres moins. Il a dit que même si ce n'était pas le travail le plus passionnant du monde, il aimait bien ça et surtout qu'il n'avait jamais le temps de s'ennuyer.

Puis à un moment donné on a arrêté de parler. Je ne sais pas si c'est à cause du silence, de la nuit ou sa présence à mes côtés, mais je me suis senti apaisé. Suffisamment pour enfin lui parler de toi. Je regardais la lune, j'avais l'impression que tu étais un peu là, comme si tu veillais sur moi et que tu me voyais de là-haut. J'ai simplement raconté que tu as eu un accident de moto, que tu as été percuté par un camion, que tu es mort sur le coup, que le chauffeur n'était pas en tort et que toi non plus. C'est tout.

Louis a tourné sa tête vers moi, je crois qu'il ne s'y attendait pas. Pour être honnête, moi non plus, je ne m'y attendais pas. Je sentais ses yeux posés sur moi, mais j'ai continué de fixer la lune, c'était plus facile que de le regarder lui, je ne sais pas pourquoi.

Il est resté plusieurs secondes sans rien dire, avant de prendre ma main.

— Merci.

C'est tout ce qu'il a murmuré avant d'entrelacer ses doigts aux miens et de reporter son attention sur le ciel.

J'ai aimé son merci. J'ai eu l'impression qu'il me remerciait de m'être ouvert à lui. Moi, je connaissais déjà son histoire, et je crois que lui aussi avait besoin de connaitre la mienne. Sa main qui tenait la mienne, était comme un soutien silencieux et réconfortant. Comme un lien entre nous.

Après ça, on n'a plus rien dit pendant un long moment. Tellement longtemps qu'on a fini par s'endormir. Quand je me suis réveillé j'étais blotti contre lui. J'ai mis plusieurs secondes à réaliser qu'il faisait jour. J'avais des dizaines d'appels manqués de maman et papa, même de Brooke. Il était plus de 7h du matin. Quand j'ai voulu les rappeler mon téléphone s'est éteint, il n'avait plus de batterie.

Louis a pédalé tellement vite que le vélo aurait pu réveiller tout le quartier en couinant. Papa et maman m'attendaient en faisant les cent pas dans toute la maison, mais ça en valait la peine.

Je pensais que ce serait plus difficile que ça, de parler de toi à Louis. Je me sens soulagé de l'avoir fait. Il a eu la bonne réaction en restant silencieux. Je crois que j'avais juste besoin qu'il sache ce qu'il t'est arrivé, mais pas d'en parler. Je voulais qu'il soit au courant, qu'il connaisse comment je t'ai perdu. Quelque part, je crois que ça peut te rendre un peu plus réel à ses yeux, comme Evan est un peu plus réel aux miens, parce que je sais comment Louis l'a perdu. De savoir pour Evan faisait que je me sentais un peu plus proche de Louis et j'avais envie que lui aussi, il se sente un peu plus proche de moi.

Je sais que ce n'est pas tout à fait pareil, parce que Louis, lui, en a parlé au cercle d'entraide, mais il m'a confié plus de choses qu'il ne l'a fait là-bas, alors il méritait que je lui confie quelque chose moi aussi.

Heureusement que le rendez-vous avec Alan est demain, car papa et maman sont complètement paniqués à cause de mon comportement. Je ne les comprends pas. Je n'ai pas l'impression d'avoir fait quelque chose de vraiment très grave. C'est vrai que j'ai fait le mur alors que je suis puni, et que je ne suis pas rentré de la nuit, mais ça, ce n'était pas volontaire. On n'a pas fait exprès de s'endormir avec Louis. Mais on n'a pas fait de conneries, je ne suis pas sorti pour aller me saouler dans un bar ou fumer, au contraire. Cette nuit j'ai fait quelque chose d'important et qui comptait pour moi, mais tout ça, je n'arrive pas à l'expliquer à papa et maman. Je n'arrive pas à me confier à eux.

Quand ils m'ont demandé où j'ai passé la nuit, j'ai été incapable de leur répondre, pas parce que je ne voulais pas, mais parce qu'aucun mots ne venaient. Peut-être qu'au fond de moi, je n'ai pas envie de leur dire que j'étais avec Louis. Comme j'ai fait le mur, je n'ai pas envie qu'ils pensent que c'est de sa faute ou qu'il est une mauvaise fréquentation. Je ne veux pas qu'ils aient une mauvaise image de lui, alors qu'il est la personne qui me fait le plus de bien en ce moment.

J'espère qu'Alan pourra raisonner papa et maman, car je n'ai pas envie d'être puni pour l'éternité.

— Harry et un peu Railey, parce que j'ai senti que tu étais avec moi cette nuit, que tu veillais sur moi.