Page cent-trente-deux
Vendredi 9 août 2019
Louis m'a envoyé un message ce soir. Dedans il me disait qu'il était devant la maison et que si je ne sortais pas, il frapperait à la porte. Je m'en veux de l'avoir poussé à en arriver là, juste pour me voir. Je n'ai répondu à aucun de ses sms, ni aucun de ses appels pendant toute la semaine. Pourtant dedans il me disait qu'il était inquiet, qu'il avait peur qu'il me soit arrivé quelque chose. Il m'a même demandé de juste lui faire un signe si je ne voulais plus lui parler, qu'il me laisserait tranquille.
Ce n'était vraiment pas juste de ma part de lui faire ça, de le laisser sans nouvelles comme ça. Il avait tous les droits d'être en colère contre moi. J'ai de la chance qu'il ne me déteste pas. Je réalise que s'il me faisait la même chose un jour, ça me ferait vraiment mal. J'imaginerais le pire. Qu'il s'est suicidé, qu'il n'a pas tenu, qu'il est parti à tout jamais. Rien que de penser à ça, mon ventre se tord.
Quand j'ai reçu son message, je suis descendu, je ne voulais pas qu'il sonne à la maison et que ça réveille Jade. Maman et papa étaient installés sur le canapé, devant la télévision. Je sors tellement peu de ma chambre en ce moment, qu'ils n'ont pas su tout de suite comment réagir quand je leur ai dit que Louis m'attendait dehors. Comme il était tard, papa m'a dit de rester devant la maison, ou d'aller dans le jardin, mais pas plus loin. Vu mon comportement de ces derniers jours, c'était justifié.
Quand je suis sorti, Louis m'attendait dans l'allée. Il s'est approché de moi, son visage était étrange. Un mélange d'inquiétude, de colère et de soulagement. Je ne savais pas s'il avait envie de me prendre dans ses bras ou me hurler dessus. Les deux à la fois, je crois.
On est resté plusieurs secondes sans rien dire. Il ne me quittait pas des yeux. J'ai brisé le silence, je lui ai dit que j'étais désolé. Je crois qu'il a vu que j'étais sincère, que je m'en voulais vraiment, car finalement il a choisi de ne pas me hurler dessus. Il m'a demandé ce qu'il s'est passé. J'ai voulu lui dire, lui répondre, j'ai même ouvert la bouche, mais rien n'est sorti. Les images de ta tombe sont réapparues dans ma tête, ma gorge s'est serrée et ma vue a commencé à se brouiller. Louis a pris ma main. Il m'a dit que ce n'était pas grave, qu'on n'était pas obligé d'en parler, qu'il était juste soulagé de me voir.
Et par voir, il voulait dire qu'il était soulagé que je sois encore vivant. Je l'ai compris dans son regard. Lui aussi a dû imaginer le pire, pendant toute une semaine entière de silence. J'ai pensé à Alicia. On sait que ça peut arriver à tout moment, qu'un jour n'importe lequel d'entre nous, peut commettre l'irréparable sans prévenir. Dans notre monde à nous, les gens se suicident, quand ils disparaissent, c'est parce qu'ils ne sont plus là.
Je m'en suis voulu encore plus, je n'avais pas le droit de le laisser dans le silence aussi longtemps. Je me suis excusé encore une fois. Je crois que j'ai encore du mal à réaliser que je compte pour Louis. C'est déstabilisant pour moi. Il m'a fait promettre de ne plus jamais recommencer, de ne plus jamais le laisser sans nouvelles comme ça. J'ai promis.
On s'est installé dans le jardin, sur les chaises longues, ce n'était pas notre clairière, mais la lune était là, donc toi aussi. J'ai fini par lui avouer que j'étais venu te voir. Que le 1er août, ça faisait dix mois que tu étais parti. Je lui ai tout raconté. Quelques minutes avant j'avais été incapable de lui répondre, là, les mots sortaient tous seuls. Je lui ai tout dit, que tu n'étais pas là-bas et à quel point c'était dur.
Il m'a écouté, il m'a laissé sortir tout ce que je gardais en moi. Quand j'ai terminé, il s'est écarté un peu sur sa chaise longue, pour me faire de la place. Il m'a dit de venir. Je me suis allongé contre lui, on était vraiment serré, mais ça n'avait pas d'importance. Il m'a pris dans ses bras. Je lui ai demandé de ne rien dire, sinon j'allais me mettre à pleurer.
« D'accord. » C'est tout ce qu'il a répondu. C'était comme la nuit où je lui ai raconté pour ton accident, il a compris que je ne voulais pas en parler plus. Il a respecté ça. Il m'a juste gardé contre lui, sans rien dire, en silence. J'ai pleuré. Pas fort, seulement quelques larmes que je n'ai pas réussi à retenir.
Je crois que lui avoir tout raconté, m'a fait un peu de bien, mais ça n'a pas rendu moins lourde, la douleur que je ressens en pensant à toi, enfermé dans ce cimetière à tout jamais.
Tu sais, je réalise qu'avant Louis, je n'avais jamais été aussi proche de personne. Pas comme ça. Max et Adam sont mes meilleurs amis, mais on ne se prend jamais la main et on se prend encore moins dans les bras. Enfin, avant, quand je les voyais presque tous les jours. J'étais proche de toi évidemment, mais tu es mon frère et mon jumeau en plus, alors c'est complètement différent.
Je suis proche de Louis et il est proche de moi, mais pas comme toi, pas comme Max et pas comme Adam.
Je ne veux plus être comme ça Railey. Disparaitre comme je le fais quand quelque chose ne va pas ou que tout devient trop dur à supporter. Depuis qu'on est petit, papa et maman nous ont toujours répété qu'ils étaient présents pour nous. Que si quelque chose n'allait pas, ou qu'on avait un problème, on pourrait toujours compter sur eux. Qu'on pouvait leur parler, qu'ils seraient toujours là pour nous écouter. Avant j'y arrivais. Quand ça n'allait pas, je te parlais ou je leur parlais, ou je parlais à Max et Adam, à Brooke aussi. Je me confiais toujours à quelqu'un. Maintenant, je garde tout pour moi.
En t'écrivant tout ça, maintenant que je suis seul dans mon lit, je réalise que si j'ai tout raconté à Louis, tout à l'heure, c'était pour qu'il me pardonne. Pour qu'il comprenne pourquoi je ne lui avais pas donné de nouvelles, plus que pour me confier vraiment.
Je ne sais pas comment tu agirais toi, à ma place. Si tu réussirais à te confier aux gens ou si tu garderais tout à l'intérieur, comme moi. Peut-être que toi, tu parlerais à Seth.
J'avais envie de rester plus longtemps dans les bras de Louis, même si l'accoudoir de la chaise me faisait mal dans le dos, mais je savais que maman et papa étaient à quelques mètres de nous et qu'ils devaient attendre que je rentre en se posant plein de questions. Si j'ai réussi à dire Louis pourquoi je ne lui ai pas donné de nouvelles, ils méritaient une explication, eux aussi.
Avant de partir, il m'a demandé si je comptais venir à la réunion de demain. Ça l'a rassuré quand j'ai hoché la tête. J'avais envie de lui dire merci. Merci d'être venu ce soir et de m'avoir forcé à sortir de cette espèce de bulle dans laquelle je m'étais enfermé. Merci de ne pas m'en vouloir. Merci de ne pas me détester. Je n'ai pas osé.
Quand je suis rentré, papa et maman étaient toujours sur le canapé, mais je sais qu'ils ne suivaient plus vraiment le film qu'ils regardaient. Je me suis arrêté à l'entrée du salon, j'ai hésité quelques secondes. Je leur ai avoué que j'étais venu te voir. Il y a eu un long silence, ils se sont regardés, puis maman s'est levée. Je crois qu'elle voulait me prendre dans ses bras, mais j'ai reculé avant qu'elle ne s'approche trop. Je leur ai dit que je n'avais pas la force d'en parler parce que c'était un peu dur. Ils ont hoché la tête.
Si maman m'avait serrée contre elle, je crois que je me serais mis à pleurer et que je n'aurais plus jamais été capable de m'arrêter.
J'avais envie de m'excuser pour mon comportement de ces derniers jours, je n'ai pas réussi. Mais j'ai vu dans leurs yeux comme une sorte de soulagement ou de reconnaissance, de leur avoir dit.
Après ça je suis monté dans ma chambre. Quand j'étais dans les escaliers, j'ai entendu maman murmurer :
« Tu vois, il y avait bien une raison. »
Je sais que c'est difficile pour eux de ne pas toujours me comprendre ou comprendre mes réactions. C'est difficile pour moi aussi, de ne pas toujours me comprendre moi-même.
Je m'en veux d'être comme je suis Railey.
— Harry
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