Page cent-trente-cinq
Mercredi 14 août 2019
Je ne t'ai pas écrit hier, parce que j'étais fatigué. J'ai passé un moment avec Louis à l'hôpital et pendant que j'étais avec lui, maman était avec sa mère. C'est un peu étrange pour moi de le réaliser. Toutes les cases que j'avais crées dans ma tête pour séparer ma vie, n'ont plus de sens maintenant.
J'avais mis mon réveil à 8h, parce que je voulais être présent dès l'ouverture des heures visites, mais j'étais tellement fatigué que je n'ai pas entendu mon portable sonner. Il était presque 11h quand je me suis réveillé, je m'en suis voulu. En plus maman a insisté pour que je mange quelque chose, avant qu'on y aille.
Quand on est arrivé dans la chambre de Louis, il y avait sa mère et ses deux petites soeurs. Je me suis figé. C'était ridicule parce que j'aurais dû m'y attendre, c'était évident qu'elles seraient là. J'étais mal à l'aise, j'avais envie de faire demi-tour, de disparaitre, de revenir plus tard quand Louis serait tout seul. Je ne savais pas quoi dire, ni comment me présenter, comme si le fait d'être un ami de Louis qui a aussi perdu son jumeau, était une mauvaise chose. C'est vraiment stupide comme pensée, je sais. Heureusement maman était là, et tout s'est fait naturellement.
J'ignore si c'est à cause de la situation, de toi, d'Evan, ou de Louis et de moi, mais j'ai ressenti immédiatement un lien se créer entre maman et la mère de Louis. À cause de nous quatre peut-être, des deux enfants qui ne sont plus là et des deux qui restent. Quelque chose qui existe uniquement entre mamans, j'imagine.
Elle s'appelle Marianne, elle est très gentille. J'avais raison, elle a les mêmes yeux que Louis, ou plutôt, c'est Louis qui a les mêmes yeux qu'elle.
Je n'ai pas eu besoin de me présenter, elle savait déjà qui j'étais. Je ne sais pas si Louis lui a parlé de moi avant tout ça, ou s'il l'a fait en se réveillant à l'hôpital, hier matin. Elle a pris ma main et m'a remercié, elle était tellement sincère que ça m'a fait de la peine. Je n'ai rien fait d'extraordinaire, mais surtout, j'aurais voulu que ça n'arrive jamais. J'aurais voulu que Louis ne souffre pas au point de se retrouver au bord d'une route en pleine nuit, complètement perdu à cause de toute la douleur qu'il ressent.
Tout le monde a quitté la chambre, pour nous laisser seuls. On s'est retrouvé tous les deux, juste lui et moi.
Il était mal à l'aise. Il n'avait pas de raison de l'être, mais je le comprends. Je crois que moi aussi, je me serais senti gêné si j'avais été à sa place. C'est dur de se montrer dans nos moments de faiblesse. Ce qu'il s'est passé cette nuit, était douloureux. Je voulais le rassurer, mais il n'osait pas me regarder. Moi non plus, je n'osais pas trop lever les yeux au début.
Je me suis assis au bord du lit et j'ai pris sa main. Il a un gros pansement sur le front, mais plus de sang.
Il a tenté de s'excuser, mais j'ai rapidement secoué la tête, je ne voulais pas qu'il le fasse. Je ne voulais pas l'entendre s'excuser. On s'excuse quand on commet une erreur, pas quand on souffre tellement que ça nous tue doucement de l'intérieur. Je lui ai dit qu'il avait eu raison de me téléphoner. J'aurais aimé rajouté que j'étais soulagé qu'il aille bien, mais on sait tous les deux que c'est un mensonge. Je ne suis pas soulagé, parce qu'il ne va pas bien. Physiquement oui, sa blessure et sa commotion, ne sont pas trop graves, mais son coeur, lui, il va très mal.
Il m'a avoué qu'il n'avait pas beaucoup de souvenirs, mais il m'a quand même raconté un peu.
Hier, ça faisait un an, jour pour jour, qu'Evan et lui ont eu leur accident. Plus minuit approchait et plus il se sentait mal. Il m'a dit qu'il n'arrivait pas à dormir, qu'il avait besoin de sortir, d'aller dehors, n'importe où, un endroit où il ne penserait plus. Ça m'a rappelé ce que j'ai ressenti le jour du premier mois de ta mort. Moi aussi j'ai quitté la maison, je me souviens que je n'avais pas envie d'être là, que je n'avais pas envie de vivre cette journée. Ce besoin de partir, de s'éloigner, d'éteindre son cerveau pour ne plus penser, ne plus réfléchir, ne plus ressentir.
J'ai serré sa main un peu plus fort dans la mienne.
Il est parti de chez lui vers 00h15. Il était sur son vélo, quand une voiture est arrivée en face, elle roulait vite. Les phares lui ont rappelé l'accident, il a eu peur et il a perdu le contrôle. Il s'est retrouvé dans l'herbe, sa roue s'est prise dans une branche au sol et sa tête s'est cognée sur un gros rocher. Après ça, ses souvenirs sont un peu flous. Il se souvient de m'avoir appelé, mais pas de ce qu'il m'a dit au téléphone. Après j'étais là, devant lui, qu'il était dans mes bras et ensuite il se rappelle avoir vomi dans le camion des pompiers.
Il s'est excusé encore une fois, en me disant que j'avais dû avoir peur.
Il ne va pas bien. Pas seulement à cause de cette nuit. Le 13 c'était le premier anniversaire de leur accident, mais demain c'est encore pire, ce sera le premier anniversaire de la mort d'Evan. Il était dans le coma, il est parti deux jours après l'accident, ses blessures étaient trop graves. Louis aussi était dans le coma et ses blessures aussi étaient graves, mais lui, il a survécu.
Quand il s'est réveillé quelques semaines plus tard, dans son lit d'hôpital, Evan était mort et déjà enterré depuis un moment.
Je n'ose pas imaginer ce qu'il a pu ressentir, le jour où il a ouvert les yeux et qu'on lui a annoncé qu'il n'avait plus de frère depuis plusieurs semaines. Il a dû réaliser, tout. Qu'il ne reverrait plus jamais Evan, qu'il n'a pas pu être à ses côtés quand il est parti, qu'il n'a pas pu lui dire au-revoir, qu'il n'a pas pu assister à ses funérailles.
Je n'arrive pas à prendre conscience du choc que ça a dû être pour lui. Je ne veux pas le faire. C'est beaucoup trop dur, beaucoup trop violent. Je crois qu'à sa place j'aurais préféré ne jamais me réveiller. Même s'il ne l'a pas dit, je suis sûr au fond de moi, que c'est ce qu'il aurait préféré lui aussi.
Quand il m'a raconté tout ça, j'avais la gorge serrée et j'avais mal au ventre, tellement j'étais malheureux pour lui et pour sa famille. J'avais envie de le prendre dans mes bras, mais encore une fois je n'ai pas osé. Peut-être qu'il avait envie que je le fasse, ou au contraire, que je ne fasse surtout pas ça. Je ne sais pas ce que j'aurais voulu à sa place. Il n'a pas lâché ma main un seul instant, à aucun moment.
Ce qui me rend triste aussi, c'est que pendant qu'il me confiait tout ça, il essayait de me sourire, de me rassurer. Je sais que c'était une réaction d'auto-protection, mais ça m'a fait de la peine, parce qu'il n'a pas besoin de garder son masque devant moi. Mais encore une fois, je le comprends. C'est vraiment très dur d'exprimer ce qu'on ressent, surtout quand ce sont des choses qui donnent le sentiment d'être faible.
Moi je trouve Louis toujours aussi fort, bien plus fort que moi.
J'ai regardé son pansement, il m'a dit qu'il avait plusieurs points de suture, mais qu'il ne savait pas combien et que ça ne lui faisait pas trop mal.
Maman, sa mère et les jumelles sont revenues à ce moment-là. J'aurais aimé resté plus longtemps avec lui, mais le docteur allait bientôt arriver avec son autorisation de sortie.
J'ai passé le reste de la journée accroché à mon téléphone en espérant un signe de sa part. Il ne m'a pas écrit. C'est normal, il avait besoin de se reposer après tout ça, autant mentalement que physiquement, puis il n'est pas tout seul, il a sa famille auprès de lui. Ils doivent traverser ça ensemble.
Je lui ai quand même envoyé un message après le dîner, pour savoir s'il voulait faire quelque chose demain. Pour les un an de la mort d'Evan. (Ça, je ne l'ai pas mis dans mon sms. Évidemment.) Il vient juste de me répondre. Il est bientôt minuit, on est bientôt le 15 août et il m'a dit qu'il ne savait pas, qu'il était perdu.
Ça me fait peur parce que je réalise que bientôt, toi aussi tu seras mort il y a un an. Bientôt ça fera une année entière sans toi. Rien que de penser à ça, mon ventre se tord et le gouffre à l'intérieur de moi me fait encore plus mal. Je ne sais pas comment je vais réagir ou ce que je vais ressentir. Je revois Louis au bord de la route, le visage recouvert de sang, complètement déboussolé et absent. Je revois sa détresse. Je peux presque encore sentir ses mains qui s'agrippent à mon pull et ses bras qui me serrent de toute leur force.
Comment je vais faire quand ce sera à moi de traverser ça ? J'ai peur. Si ça fait autant mal que d'être venu te voir au cimetière, je ne sais pas si j'aurai le courage de tenir cette fois. Et si mon cerveau s'éteignait, que je redevenais vide, mais pour toujours cette fois ? Tu crois que c'est possible ? De souffrir tellement que nos émotions disparaissent à tout jamais.
Est-ce que tu crois aussi que c'est ça notre vie à Louis et à moi maintenant ? Réussir à surmonter une épreuve, mais quoi qu'on fasse, il y en aura toujours une autre derrière ? Parfois même encore plus dure. Je ne veux pas subir tout ça Railey, je ne peux pas vivre comme ça.
Je sais que c'est égoïste de penser à toi et à moi maintenant, alors que Louis est en train de traverser ça le premier. Mais c'est plus fort que moi.
***
Je n'arrive pas à dormir. Il est plus de minuit, ça y est on est le 15 août. Je pense à Louis et Evan et à toi et à nous.
Je n'ai pas envie de vivre cette journée, alors que ce n'est pas la mienne. C'est vraiment dur de partager la douleur d'une autre personne.
J'espère que tu es avec Evan, qu'il n'est pas tout seul aujourd'hui et que toi non plus.
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