Page cent-soixante-quatre
Dimanche 20 octobre 2019
C'est les vacances scolaires, depuis vendredi. Mercredi je vais voir Alan, il m'a promis qu'on rediscuterait de mon traitement quand je serai en vacances. Je suis en vacances et je ne veux plus prendre de médicaments. Je crois que c'est la première fois que j'attends l'un de nos rendez-vous avec autant d'impatience.
Hier, Louis m'a dit que j'étais beau. Après la réunion, on s'est retrouvé à la clairière, même s'il commence à faire froid, on aime toujours autant cet endroit. On était assis dans l'herbe sur la couverture qu'il a tout le temps dans le coffre de sa voiture. On parlait de nos vacances, de ce qu'on allait faire. Son université reste ouverte et il a même quelques cours, ils ne sont pas obligatoires, mais il pense assister à certains d'entre eux. Il compte aussi profiter du calme de la bibliothèque pour étudier, il m'a proposé de venir avec lui. Ça m'a fait fait sourire et c'est là qu'il m'a dit que j'étais beau.
« Tu es beau. »
C'est tout. Comme ça. Je suis sûr que j'ai rougi, car j'avais chaud dans les joues. Je n'ai pas osé lui dire que lui aussi, il était beau, pourtant il l'est vraiment.
En rentrant à la maison, je me suis enfermé dans notre salle bain, et je me suis forcé à me regarder dans le miroir. Depuis que tu es mort, je fuis toujours autant mon reflet. J'évite tout le temps de me regarder, parce que j'ai peur de te voir toi au lieu de moi. De nous voir nous. De ne pas te voir, de ne voir que moi. Mon propre visage me fait peur et ça me fait mal.
Je suis resté longtemps tête baissée, mes mains posées sur le rebord du lavabo, avant d'avoir le courage de relever les yeux vers le miroir. C'était encore plus dur de trouver la force de ne pas éteindre la lumière et quitter la pièce immédiatement. Mais Louis m'a dit qu'il me trouvait beau. Je crois que j'avais besoin d'essayer de voir ce qu'il voit lui, quand il me regarde.
Je me vois tu sais, des fois rapidement, quand je me lave, quand je me brosse les dents ect... mais je ne me regarde jamais. Je me vois juste quelques secondes avant de détourner les yeux. Là, j'ai essayé de me regarder vraiment, d'oublier ton visage pour me concentrer uniquement sur le mien. J'ai les yeux verts, c'est vrai que les gens trouvent ça joli en général. Mes cheveux, ils ne bouclent presque plus, ils sont ternes. Je suppose que c'est parce que je suis encore souvent fatigué.
J'ai verrouillé nos deux portes de la salle de bain. J'avais aussi besoin de me regarder en entier et je ne voulais pas que quelqu'un puisse rentrer à tout moment.
C'était facile de me déshabiller, je le fais tous les jours, mais faire attention à mon corps, ça c'était plus dur. Je le vois souvent lui aussi, comme mon visage, quand je me douche, quand je m'essuie, ou que je me change, mais lui non plus je ne le regarde pas. Là j'ai pris le temps de l'observer, sur moi et à travers le miroir. Mes cuisses sont toutes maigres, il n'y a plus de muscles. Je peux voir les os de mon bassin sans même les toucher, je vois aussi mes côtes. Mon tatouage. Mes bras tout fins et la cicatrice sur mon poignet. Je ne sais pas combien de temps je suis resté immobile à me regarder dans la glace.
Si dans ce reflet mon IMC est redevenu normal, je ne préfère pas imaginer à quoi je ressemblais avant.
Je n'ai pas réussi à comprendre Louis, je n'ai pas réussi à voir ce qu'il pouvait trouver de beau en moi. Mais peut-être que ce n'est pas trop important ? Il me trouve beau et moi aussi je le trouve beau, c'est tout ce qui compte non ?
C'était vraiment dur de me regarder comme ça Railey. Au début j'ai réussi à ne pas penser à toi, pour ne voir que moi, mais ça n'a pas duré longtemps. Plus je me regardais et plus j'avais conscience de ne plus ressembler au moi d'avant, au Harry qui te ressemblait. Si par magie, tu revenais maintenant avec exactement le même visage que le jour de ta mort, on ne pourrait plus nous confondre. J'ai tellement changé, que je ne nous ressemble plus.
Je me demande à quoi tu ressemblerais toi, si j'étais mort il y a plus d'un an. Est-ce que toi aussi tu serais devenu trop maigre ? Est-ce que tu aurais une cicatrice à ton poignet, ou un tatouage en souvenir de moi ? Et tes cheveux, est-ce qu'ils auraient perdu leurs boucles eux aussi ?
Est-ce que si les choses étaient inversées, tu me ressemblerais aujourd'hui ?
Je ne sais pas si j'ai envie de parler de tout ça à Alan. J'ai peur qu'il refuse d'arrêter mon traitement si je lui dis réellement ce que je ressens. Je crois que je vais juste lui parler de mon IMC, car ça, ça peut jouer en ma faveur.
Ce que j'ai fait hier dans la salle de bain, c'était une épreuve. Je ne suis pas fier de l'avoir fait et pas, pas fier non plus. J'ai juste l'impression que ce n'était pas vraiment utile, que ça n'a servi à rien.
Pense à moi mercredi s'il te plaît.
Je vais me coucher.
Bonne nuit.
— Harry
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