Page cent soixante et une
Mardi 8 octobre 2019
J'ai fini les cours plus tôt cet après midi, la prof d'histoire était absente. Je suis retourné dans notre ancien lycée. J'avais besoin de voir Max et Adam, de voir des personnes qui n'ont pas de jumeaux, qui n'ont jamais eu de deuxième visage. J'avais besoin de voir mes amis, c'est tout.
C'était un peu dur de revenir au lycée. J'ai garé ma moto au même endroit, il n'y avait pas la tienne à côté. Il y avait celle d'Adam. À peine arrivé, j'ai déjà ressenti ton absence partout. Les cours n'étaient pas encore terminés, les couloirs étaient déserts. Ton casier appartient à une fille maintenant, il y avait plein de stickers collés dessus, dont un à paillettes avec écrit « Stacy ». Dans ma nouvelle école, on n'a pas le droit de personnaliser l'extérieur de nos casiers. Sur le mien, il n'y avait rien, peut-être qu'ils ne l'ont pas encore donné à quelqu'un.
Je suis parti avant la sonnerie, je ne me sentais plus à ma place. J'étais plus à l'aise sur le parking. Ça m'a réconforté, maintenant je sais que j'ai vraiment pris la bonne décision en changeant d'établissement.
Quand Max et Adam sont sortis, ils étaient avec les autres. On s'est tous suivi jusqu'au Diner. Jake est monté avec moi, j'ai laissé Max à Adam. On a pris des milkshakes, d'autres des glaces. On occupait deux box. J'avais l'impression que c'était comme avant, sans toi ni Seth, mais comme avant quand même.
Par moment je regardais l'endroit où tu t'asseyais toujours et je t'imaginais avec nous. J'arrivais presque à te voir.
Ces quelques heures avec tout le monde m'ont fait du bien. On a discuté de tout et de rien, de choses futiles, même de filles. Je n'ai pas beaucoup parlé, mais j'étais là, j'étais présent dans les conversations, j'écoutais pour de vrai. Tyler sort avec Taylor et à vu apparente c'est compliqué pour leur trouver un nom de couple. J'avais oublié que tout le monde vous appelait Sailey, Sarah et toi. Tu trouvais ça nul, Sarah adorait.
Ils m'ont demandé comment c'était dans mon nouveau lycée et si j'avais quelqu'un en vue. J'ai secoué la tête. Ce n'est pas vraiment un mensonge, il n'y a personne qui me plaît dans mon nouveau lycée, mais toi, tu sais que j'ai quelqu'un dans ma tête, tout le temps.
S'il n'y avait eu que Max et Adam, peut-être que je leur aurais parlé de Louis. Je ne sais pas. J'aime bien l'idée d'avoir Louis pour moi tout seul, comme un secret. Depuis que tu es parti et depuis que je l'ai rencontré, il est un peu devenu ma bulle et je n'ai pas envie que des gens rentrent dans notre bulle. Je tiens à Louis, j'ai besoin de ce qu'il m'apporte, il m'aide à rester debout et je crois que moi aussi je l'aide.
Quand je suis rentré à la maison, maman et papa étaient déjà à table. Je me suis installé avec eux, mais après avoir bu presque un milkshake entier, je n'avais pas très faim. Tu aurais dû voir leurs têtes quand je leur ai dit que j'étais au Diner avec tout le monde. Ils étaient aussi surpris, qu'heureux.
Je leur ai aussi annoncé que je m'étais inscrit à l'option de photographie. Le premier cours est demain, je crois que j'ai un peu hâte.
Tu sais, Julien et Julian, ils ont conscience qu'ils nous font du mal, que c'est dur pour nous de les regarder. D'ailleurs peu de temps après leur arrivée, Jean avait abordé le sujet, il a dit que c'était important d'en parler, autant pour connaitre et partager les ressentis de Julien et Julian, que les nôtres. Ils ne sont pas parfaitement identiques, ils se ressemblent énormément, mais on ne peut pas les confondre, comme on pouvait nous confondre toi et moi. Leur ressemblance reste perturbante, mais le plus difficile c'est ce qu'ils représentent tous les deux. Être deux.
Je réalise que je n'ai jamais vu de photos d'Evan. Louis a déjà vu des photos de toi quand il est venu à la maison. Il y a des cadres accrochés partout de toute notre famille.
Je vais lui envoyer un message, j'ai besoin de voir à quoi ressemblait exactement Evan.
***
Il m'a envoyé une photo d'eux ensemble, debout devant la voiture de leur père. Leurs visages sont parfaitement identiques. J'ai tout de suite reconnu Louis, ça l'a surpris alors on a joué au jeu de qui est qui. On s'est envoyé plein de photos, soit de nous avec vous, soit de lui tout seul ou de moi tout seul, ou que d'Evan ou que de toi. On ne s'est pas trompé une seule fois, ni Louis, ni moi. Je ne l'ai pas confondu une seule fois avec Evan et il ne m'a pas confondu une seule fois avec toi. Je ne sais pas si c'est un super pouvoir de jumeaux ou si c'est comme pour Sarah. Elle t'aimait tellement, qu'elle ne nous a jamais confondu. Elle savait que je n'étais pas toi. Peut-être que le lien qu'il y a entre Louis et moi est plus fort que nos quatre visages identiques. Peut-être qu'il est comme celui qu'il y avait entre Sarah et toi.
Je crois que ça va un peu mieux, même si ça reste dur de réaliser et d'accepter que je viens de vivre plus d'une année entière sans toi. C'est difficile aussi de savoir qu'il y a plein de jumeaux et de jumelles dans le monde qui sont toujours deux. Mais même si c'est douloureux de penser à ça, parce que je les envie et que je suis jaloux, j'espère qu'ils ne perdront jamais leurs moitiés.
Je me demande ce que ressentent Julien et Julian. Je me demande aussi ce qu'ils ressentaient quand Jules étaient encore vivant, quand ils étaient encore trois. Est-ce que tu crois que leur lien à trois était plus fort que notre lien à nous et celui de tous les jumeaux et jumelles ? Quand je les vois s'embrouiller pour tout et rien, tout le temps, je me demande comment c'était quand il y en avait un de plus. Ou peut-être que Jules était celui qui temporisait tout justement ? Peut-être que sans lui, ils ne savent pas comment faire et que c'est pour ça qu'ils se disputent autant. Leurs disputes ne sont jamais graves, c'est toujours pour des broutilles, comme le pop-corn au cinéma, ou parce que Julian a fini la bouteille de coca. Ce n'est jamais rien de sérieux, mais ils ont toujours quelque chose à se dire ou se redire.
Heureusement qu'on n'était pas comme ça, je n'aurais pas aimé qu'on passe notre temps à se disputer. Je crois que maman nous aurait assommé, ou alors elle nous aurait envoyé à l'autre bout de la maison, loin l'un de l'autre.
Ça me manque de ne plus râler après toi, parce que tu me piquais toujours mon casque de moto. Je ne peux plus prendre le tien pour remplacer le mien maintenant. Il a disparu. Enfin, non, il n'a pas disparu, tu l'avais sur toi cette nuit-là, mais papa ne l'a pas rapporté comme il l'a fait avec ta moto. Je me demande si ce sont les pompiers qui te l'ont retiré, ou les secours, ou s'il s'est éjecté tout seul quand tu as été percuté. J'imagine souvent plein de scénarios différents dans ma tête de ce qu'il s'est exactement ce soir-là, mais la fin est toujours la même. Je vois ton corps étendu sur le sol et tu ne respires plus, parce que ton coeur a cessé de battre.
Je déteste cette image, pourtant je n'arrive pas à la chasser de mon esprit. Je m'en veux toujours autant de ne rien avoir ressenti. Je me déteste toujours autant de savoir que je dormais paisiblement pendant que toi, tu perdais la vie.
Je redeviens déprimant. Pardon.
Je t'assure que ça va. Enfin, tu comprends ce que veut dire mon « ça va ». Alors ça va, d'accord ?
Il faut que j'aille dormir, demain j'ai une évaluation en histoire. Croise les doigts pour moi s'il te plaît, j'ai vraiment besoin d'avoir de bonnes notes.
Bonne nuit Railey.
— Harry
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