Page cent-soixante-dix
Vendredi 22 novembre 2019
Aujourd'hui, après les cours, on avait rendez-vous avec la directrice du lycée. Dès le jour de la visite, elle avait prévenu maman et papa qu'ils auraient des rendez-vous régulièrement avec elle, pour faire le point sur moi. Pas que sur moi d'ailleurs, c'est la même chose pour tous les élèves. Cette école n'a rien à voir avec notre ancienne. L'établissement est beaucoup plus strict, ils prennent vraiment au sérieux leur niveau d'excellence et leur pourcentage de réussite aux examens de fin d'année. Tu n'aurais pas aimé ça.
Ça s'est bien passé. Je ne m'y attendais pas, mais elle avait un compte rendu de tous mes professeurs. Ils ont tous fait des compliments, que ce soit sur mon comportement en classe ou sur mes notes. Même si j'ai un peu de mal dans certaines matières, ils sont conscients de tout le travail que je fais seul de mon côté pour retrouver mon niveau. Ils sont confiants pour mon diplôme, si je continue comme ça, ils pensent que j'ai toutes les chances de l'avoir.
Le seul point négatif qui est revenu à chaque fois, c'est que je ne me socialise pas assez, que je ne vais pas vers les autres. Papa et maman s'en doutaient déjà, mais ils sont au courant que je revois Max et Adam et ils connaissent Louis. Ils savent que je ne suis pas seul. Puis de toute façon, je ne vois pas en quoi me faire des amis au lycée a de l'importance pour obtenir mon diplôme.
Les meilleurs compliments venaient de mon professeur de photographie. Il a dit que j'avais du talent et que j'étais vraiment investi dans chacun de ses cours. C'est le seul qui n'a pas relevé de problème de participation ou de sociabilité.
À la fin du rendez-vous, Mme Lewis m'a demandé de sortir du bureau. J'ai attendu dans le couloir pendant qu'elle parlait avec papa et maman.
Quand ils sont sortis, je n'ai pas pris ma moto, ils m'ont dit de monter en voiture avec eux, qu'ils avaient une surprise pour moi. J'ai compris, qu'une seule fois garé devant le magasin d'électronique. En cours de photographie, plusieurs élèves ont leur propre appareil. Je me rends de plus en plus compte que j'aime vraiment prendre des photos, et c'est frustrant de devoir rendre l'appareil que le lycée me prête, quand on n'a pas de projet à réaliser. J'en avais parlé à maman et papa, parce que ça coûte cher et que je n'ai pas assez dans mes économies. Ils étaient d'accord pour m'en acheter un, mais Jade est tombée, elle s'est cognée la tête et la conversation s'était arrêtée là. Je pensais qu'ils avaient oublié.
(Jade va bien ne t'inquiète pas, elle a juste eu une bosse sur le front, mais sur le moment elle nous a fait peur.)
Mon professeur m'avait déjà recommandé plusieurs modèles et avec l'aide du vendeur, je suis reparti avec tout ce qu'il me faut et même plus. Même des choses dont je ne sais pas encore me servir et plusieurs objectifs, sans compter la pochette pour tout transporter. Avant de passer à la caisse, j'ai quand même demander à maman et papa si ça ne faisait pas trop. Je sais qu'ils ont de l'argent, mais je ne m'attendais pas à ce qu'ils prennent tout ce que le vendeur proposait. Ils m'ont dit que je le méritais. Quand maman a dit ça, avant de passer son bras autour de mes épaules, j'ai vu dans ses yeux que ça ne concernait pas seulement le lycée ou mes notes. Elle parlait de toute cette année qui vient de s'écouler.
Je crois que pour maman, c'était bien plus qu'un cadeau de félicitations. Quand je repense au moi d'après ta mort et au moi de maintenant, même si j'ai souvent l'impression de ne pas m'en sortir, j'ai quand même énormément avancé. Je crois que je n'ai pas besoin de t'expliquer plus, ce que représentait ce cadeau pour maman. Tu comprends. Pour papa aussi.
Maintenant, je vais pouvoir prendre toutes les photos que je veux. Je vais pouvoir créer des souvenirs qui ne disparaitront jamais. C'est toutes les photos de toi, accrochées dans la maison, qui me l'ont fait comprendre. Je veux développer et pouvoir toucher tous les souvenirs que je veux garder.
Je passe beaucoup de temps sur mon téléphone à regarder mes photos. Toutes celles que j'ai prises avant ta mort. Pas seulement celles où tu es dessus, même si c'est quand même celles-là que je regarde le plus. Les autres aussi comptent, car elles me rappellent chaque moment où tu étais encore là. Elles me rappellent ma vie quand tu en faisais encore partie. Je crois qu'elles aussi je devrais les imprimer.
Ce rendez-vous avec Mme Lewis m'a rassuré. Je doute beaucoup de moi, je passe presque tout mon temps à étudier. Ce soir, je me sens un peu plus confiant, je me dis que j'ai peut-être vraiment une chance d'avoir mon diplôme sans redoubler et en ayant manqué une année entière.
Louis m'a donné une brochure de son université et de tous les cursus qu'ils proposent. Je ne veux pas aller là-bas simplement parce qu'il y étudie, je veux y aller parce que quand je suis sur le campus, je m'y sens bien. Et ce n'est pas loin de la maison. Avant les kilomètres ne nous auraient pas fait peur, mais maintenant que tu n'es plus là, c'est impossible pour moi de partir loin. J'aurais l'impression d'abandonner maman et papa. Ils t'ont déjà perdu toi, je ne peux pas leur faire ça.
Je crois que j'aimerais bien étudier le journalisme. Dans tout ce qu'ils proposent, c'est ce qui me donne le plus envie. Je crois que ça pourrait me plaire. Je ne sais pas encore et j'ai encore le temps de me décider, pas beaucoup, mais encore un peu.
Je réalise que je t'écris souvent les mots « je crois », mais c'est parce que c'est dur d'être sûr de quelque chose, depuis que tu n'es plus là.
Je ne sais pas, pour le journalisme.
Je sais que tu ne peux pas me répondre, mais si jamais tu pouvais me faire un signe, ce serait bien.
À bientôt.
— Harry
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