Page cent-soixante

Dimanche 6 octobre 2019

Je crois que ça y est, je ressens enfin le contre coup du premier anniversaire de ta mort. Depuis hier. Depuis la réunion du cercle d'entraide.

Je regardais Julien et Julian, assis l'un à côté de l'autre, leurs deux visages quasiment identiques, même s'ils ont quelques différences. J'ai tourné la tête vers les deux chaises autour de moi, ce n'était pas toi. Je n'ai plus de visage qui ressemble au mien. Après la réunion, il se sont chamaillés comme toujours, autour du buffet. Ils étaient là tout simplement et c'était affreux à regarder, tellement c'était insupportable.

Je sais qu'ils ont perdu Jules, qu'ils étaient trois avant, mais maintenant ils sont deux et ils vivent, ils respirent, ils se ressemblent. Ils sont devenus ce que moi je ne suis plus : des jumeaux. Pas que moi, Louis et tous les autres aussi. Julien et Julien sont devenus ce que nous, on ne sera plus jamais.

Les voir être deux, m'a fait mal.

Et comme j'avais mal, j'ai repensé au fait que tu étais mort il y a un an et que je n'ai pas eu mal ce jour-là, et ça m'a fait encore plus mal.

Je suis sorti de la salle, discrètement, sans rien dire à personne. Sans attendre Louis. Je l'ai vu dans le rétroviseur de ma moto, courir sur le parking pour essayer de me rattraper. Je suis parti. Je crois que j'avais besoin de respirer, pas de Louis, mais de tout le reste. De la douleur qui commençait à trop monter.

Même si j'avais réussi à me convaincre que ma réaction le jour de l'anniversaire de ta mort était normale, au fond de moi je savais que ce n'était pas vrai. Je n'avais pas le droit d'aller bien, je n'avais pas le droit de ne rien ressentir. Avoir eu mal comme ça hier en regardant Julien et Julian, m'a rassuré. Je me suis senti redevenir un peu plus moi.

Je sais que ce n'est pas bien de me sentir plus moi-même quand je souffre, mais c'est comme ça, je ne le contrôle pas.

Je donnerais tout ce que j'ai pour revoir mon visage, ailleurs que dans un miroir. Aujourd'hui le trou dans mon ventre est vraiment douloureux, il est encore plus fort, plus grand. J'ai l'impression qu'il ne se refermera jamais. Des fois il devient plus petit et il me laisse un peu vivre, mais il est toujours là quand même et quand il se rouvre, je ne sais plus faire, je ne sais plus quoi ressentir.

Je m'en voulais de n'avoir rien ressenti, maintenant que j'ai mal, je suis rassuré et en même temps je m'en veux. J'ai l'impression de gâcher, tout seul, tous les efforts que j'essaie de faire. Dès que j'ai le sentiment de réussir à avancer un peu, je finis par toujours revenir en arrière. Retomber.

Je ne devrais pas me sentir rassurer de souffrir, ce n'est pas une évolution ou une bonne chose de ressentir ça. Ce n'est pas un pas en avant. C'est fatiguant de reculer tout le temps.

Je suis soulagé d'avoir mal pour les un an de ta mort, même si c'est en retard. Pardon.

Une fois, je m'étais dit que j'arrêterais de t'écrire le jour où j'irais bien, mais je crois que ça n'arrivera jamais. Peut-être que je dois juste l'accepter.

Ton visage me manque.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top