Page cent-six
Samedi 8 juin 2019
J'ai vu Louis aujourd'hui. J'avais raison, il ne va vraiment pas bien du tout. Quand maman m'a déposé devant le centre communal, j'ai regardé sa voiture disparaitre avant d'aller m'asseoir à l'arrêt de bus pour l'attendre. Je savais qu'il serait en retard, comme tous les samedis. D'ailleurs j'aimerais bien lui demander pourquoi, parce que ça m'intrigue toujours autant, mais je n'en ai pas eu l'occasion. On a parlé de choses beaucoup plus difficiles.
Quand il est arrivé, il avait son casque sur ses oreilles et il marchait tête baissée. Il ne m'a pas vu, j'ai dû le rattraper et lui taper sur l'épaule pour qu'il s'arrête. Il était surpris, il m'a demandé ce que je faisais là, moi je lui ai demandé ce qui n'allait pas. Je réalise que c'était peut-être un peu brusque comme question, mais je ne vois pas beaucoup de monde, je ne suis plus vraiment habitué à tenir des conversations, alors je suppose que parfois je n'ai pas toujours le bon comportement.
Au début, il ne m'a pas dit la vérité, il a d'abord prétendu que tout allait bien. Je suis resté silencieux, alors il a rajouté que ce n'était pas si grave, pour finir par soupirer longuement. Il a dit que ce n'était rien d'important, mais je savais que ce n'était pas vrai. Si ce n'était pas important, il n'aurait pas ce regard triste.
On s'est installé sur un banc.
Il m'a raconté que c'était dur chez lui en ce moment. Lily et Maya, ses deux petites soeurs, les jumelles, celles pour qui je l'ai aidé à choisir un cadeau, n'arrêtent pas de se disputer. En réalité c'est plus grave que ça, le psychologue qu'elles voient, a expliqué à Louis et sa mère qu'elles se rejettent mutuellement pour se protéger. C'est à cause de la mort d'Evan. Au delà d'avoir perdu un grand frère, elles ont vu leur deuxième grand frère perdre son jumeau. Elles ont vu Louis souffrir et elles ont réalisé que ça pouvait leur arriver à elles aussi, que l'une d'entre elles pouvait disparaitre à tout moment et abandonner l'autre.
Depuis le départ d'Evan, c'est devenu un vrai un cauchemar. Avant elles étaient très fusionnelles, maintenant elles supportent à peine de se retrouver dans la même pièce, il leur arrive même de se battre, souvent. Hier encore Louis a dû les séparer.
Je ne sais pas si ce que je te raconte est très clair ou si tu arrives à me comprendre, car les mots de Louis étaient confus et un peu brouillon. J'avais vraiment l'impression qu'il lâchait tout ce qu'il avait sur le coeur et j'ai eu du mal à suivre par moment.
Tu sais, je crois que je comprends Lily et Maya. Si j'avais su à l'avance à quel point c'est douloureux de te perdre, peut-être que moi aussi je t'aurais rejeté. Peut-être que si on avait été moins dépendant l'un de l'autre, je serais moins malheureux aujourd'hui.
Ça broie le coeur de Louis de voir ses petites soeurs agir comme ça. Ce sont ses mots. C'est dur pour lui, parce que lui, il donnerait tout pour de nouveau avoir son frère à ses côtés. Il a conscience qu'elles cherchent juste à se protéger et leur psychologue les rassure beaucoup lui et sa mère, mais ça reste difficile quand même.
Je crois que quelque part j'ai de la chance, parce que moi je n'ai que mon deuil à gérer, pas comme la fille qui a perdu sa jumelle et sa mère, dans l'incendie de leur maison. Ou pas comme Louis, qui doit voir tous les jours de sa vie, deux visages identiques qui ne s'aiment plus. Moi à la maison, à part ta mort, on n'a pas d'autres problèmes à surmonter. Enfin, je sais que tu comprends ce que je veux dire.
Je n'aurais jamais cru penser un jour, qu'au milieu de tout ça, j'aurais pu faire partie des chanceux. Je suis malheureux, mais moi je n'ai qu'un seul malheur. Heureusement parce que je n'aurais jamais eu le courage d'en avoir plusieurs à la fois, je ne suis pas quelqu'un de fort.
Je suis content que Louis se soit un peu ouvert à moi, parce que j'ai senti qu'il en avait vraiment besoin. On a discuté un moment, après ça on a rejoint les autres. La réunion avait commencée depuis longtemps, elle était presque terminée, mais je ne pouvais pas ne pas y assister du tout. Jean n'a rien dit quand il nous a vu arriver tous les deux, Louis et moi, mais au moins si Alan m'en parle, je ne serai pas surpris cette fois.
En sortant, j'ai proposé à Louis qu'on le ramène chez lui, pour lui éviter d'attendre le bus, mais il a refusé.
J'aimerais bien que tu puisses m'écrire toi aussi, que tu puisses me raconter tout ce que tu fais ou tout ce que tu ressens comme moi je le fais. Je suis certain que tu es là, quelque part, tu ne peux pas juste avoir disparu. Je refuse de le croire.
Bonne nuit Railey.
— Harry
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