Page cent-quarante-trois
Jeudi 29 août 2019
Hier matin, j'ai été visiter les deux appartements avec Brooke. Ashton n'était pas avec nous, je crois que c'était voulu, pour qu'on se retrouve juste elle et moi. Je suis rassuré, car le premier, comme le deuxième, ne sont pas très loin de la maison, un peu quand même, mais pas énormément. Ils sont plus loin que sa chambre de l'autre côté du couloir, mais ils ne sont pas à l'autre bout du monde. À peu près comme le centre communal où se passent les réunions du cercle d'entraide, c'est environ à un peu moins d'une heure de la maison. Quarante-cinq minutes. C'est vraiment pas loin non plus de mon nouveau lycée. Je pourrai aller la voir quand je veux après les cours, même entre les cours ou pendant la pause du déjeuner. J'aimais bien les deux appartements, j'ai choisi celui qui était le plus proche. Elle m'a dit que c'était son préféré aussi, je ne sais pas si c'est vrai.
L'après-midi, j'ai été à mon rendez-vous avec Alan, comme tous les mercredis. Ça aussi on s'en fout. J'ai l'impression qu'en ce moment, je lui accorde moins d'importance. Comme pour le Docteur Drews, enfin pas vraiment, parce qu'à lui je n'ai jamais eu envie de lui accorder quoi que ce soit. Je sais que ce n'est pas mon ennemi, qu'il n'est pas là pour me faire du mal, mais je ne veux pas de lui dans ma vie. Il me tarde qu'il s'en aille, qu'on ne me force plus à aller le voir.
Aujourd'hui, Louis avait rendez-vous à l'hôpital à 9h, pour se faire retirer les points de suture qu'il a au front. Je lui ai fait la surprise de l'attendre sur le parking, appuyé contre ma moto.
Quand il m'a vu, j'ai eu l'impression que son visage s'est un peu illuminé. Il a écarquillé les yeux en voyant ma moto, il m'a dit qu'il n'imaginait qu'elle était aussi grosse. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai ressenti le besoin de lui dire que la tienne était rouge, comme si ça avait une importance. Il m'a demandé pourquoi la mienne était noire. La réponse est toujours aussi nulle que le jour où on a été les choisir au magasin : elle est noire parce que je la trouvais plus belle comme ça. Ta réponse à toi elle était plus intéressante. À la base ta moto devait être grise, pendant que papa remplissait les papiers de commande, on s'amusait sur l'interface mis à disposition avec tous les modèles de motos qu'ils vendaient. Quand tu as vu la notre en rouge, t'as carrément craqué, tu as dit qu'elle « claquait » trop comme ça.
Maintenant à chaque fois que je croise une moto rouge, ça me fait mal au ventre. Heureusement, il n'y en a pas beaucoup de cette couleur ici.
Louis a une cicatrice sur le front. Quand il est sorti de l'hôpital, elle était rouge, pas aussi rouge que ta moto, mais rouge quand même. Rouge comme quand on vient de passer plusieurs minutes à la toucher pour retirer des points de suture. Elle ne se voit pas beaucoup, parce qu'elle est vraiment proche de la racine de ses cheveux, et quand ils retombent sur son front, ils la cache complètement. Le docteur lui a donné une crème et une huile à mettre tous les jours dessus, pour l'aider à s'atténuer.
On m'avait donné la même chose pour mon poignet, je ne les ai jamais utilisé. Je ne veux pas voir et masser ma cicatrice tous les jours.
Il reste beau, même avec sa cicatrice. Je crois que je ne te l'avais jamais dit avant, mais c'est vrai, je trouve Louis beau. J'aime ses yeux bleus. Je les aurais aimé aussi s'ils avaient été marrons ou de toutes les couleurs, tant qu'ils n'étaient pas verts, comme les tiens et les miens. Mais ils sont bleus et j'aime bien, ils lui vont bien.
Il n'a pas hésité une seule seconde quand je lui ai tendu mon second casque. Il a enroulé ses bras autour de mon ventre. Même si je roulais doucement et prudemment, dans les tournants je le sentais se blottir un peu plus contre mon dos. Ça aussi j'ai bien aimé.
En arrivant à la clairière, il m'a dit qu'il n'était jamais monté sur une moto avant, et qu'il avait adoré ça. J'étais content d'avoir été sa première fois et surtout de savoir qu'il n'a pas eu peur. Pas comme Max qui est une vraie catastrophe quand il monte derrière nous, tellement il est crispé.
Encore une fois, il n'y avait personne à la clairière, je crois que c'est réellement un endroit secret. On s'est installé dans l'herbe.
Louis a décidé de reprendre ses études à la rentée. Il va aller en fac de médecine, son université est presque à côté de mon nouveau lycée. Il a choisi ce campus là, parce qu'il ne voulait pas s'éloigner de sa mère et de ses petites soeurs. Je le comprends. Je suis soulagé qu'il reste ici, je crois que s'il était parti étudier loin, il m'aurait manqué. J'ai conscience qu'entre ses cours et les miens, on aura beaucoup moins de temps pour se voir, mais je me rassure en me disant que quoi qu'il arrive, il nous restera toujours les réunions du cercle d'entraide le samedi.
Tu comprends pourquoi je ne veux plus m'attacher aux gens maintenant ? Parce que j'ai peur qu'ils disparaissent de ma vie, soit en partant, soit en mourant. Tu dois penser que je dramatise, mais si Louis avait décidé de partir loin pour ses études, je sais que je l'aurais mal vécu, alors qu'avant j'aurais été content pour lui. J'aurais attendu chaque vacance avec impatience pour le revoir.
Je ne veux plus perdre personne. Peu importe la raison, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Je ne veux plus laisser des gens rentrer dans ma vie, s'ils doivent en sortir un jour.
Je crois qu'il y a quelque chose entre Louis et moi. Il m'a pris la main encore aujourd'hui. Ça me plait, j'aime quand il tient ma main. Je n'ose pas lui demander si ça veut dire quelque chose pour lui.
Ce n'était pas la première fois, mais à chaque fois, c'était toujours un geste de réconfort. Comme devant le cinéma, quand j'ai cru que je n'aurais pas le courage de rentrer, ou dans notre jardin, quand on s'est allongé sur la chaise longue, ou encore la nuit où il m'a serré très fort au bord de la route. Toutes ces fois-là, ces gestes, c'était parce que l'un de nous deux allait mal. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui ce n'était pas ça, on discutait tout simplement, de choses normales, même positives, pourtant il a quand même pris ma main. On parlait et nos doigts jouaient ensemble. C'était agréable.
Je me demande si c'est ce que tu ressentais au début, toi aussi avec Sarah ? Tu n'arrêtais pas de me parler d'elle, tout le temps. Je réalise que je fais presque la même chose, moi aussi je te parle souvent de Louis.
Tu crois que j'ai tort, si jamais je pensais à Louis de cette façon ? Enfin, si je pensais à lui différemment que parce qu'on a perdu nos jumeaux tous les deux ? Tu crois que lui aussi, il peut penser à moi comme ça ?
Je suis nul dans tout ça, je n'ai jamais eu de petite amie, je n'ai même jamais été amoureux. Je trouvais Julia jolie quand on était au collège, mais je n'ai jamais osé l'aborder, puis quand on est entré au lycée, elle ne m'intéressait plus. Personne d'ailleurs. Comment je suis censé savoir ce que je ressens pour Louis et si c'est normal ?
Je me sens bien quand je suis avec lui. C'est tout ce qui compte et je n'ai pas envie de gâcher ça.
Je pense beaucoup à sa cicatrice aussi. Je sais qu'elle n'a rien à voir avec la mienne, car lui, il ne se l'est pas faite lui-même. Mais s'il en a une maintenant c'est à cause d'Evan, comme moi à cause de toi. J'ai peur qu'elle lui rappelle tout le temps la mort de son frère, comme la mienne me rappelle tout le temps ta mort à toi.
Avant on avait les mêmes tatouages, maintenant on a aussi les mêmes cicatrices. Différentes mais pas différentes.
J'espère que si Louis me voit reconduire ma moto, peut-être que ça lui donnera la force de reconduire sa voiture. En plus c'est celle de son père et il y tient beaucoup, c'est dommage qu'elle reste enfermée dans un garage. Peut-être qu'en reprenant les cours, il va se rendre compte qu'il en a besoin pour aller à l'université.
J'aimerais bien qu'il ne soit plus obligé de prendre le bus. D'ailleurs il sait que son vélo est dans notre garage. Je lui ai dit qu'il n'était plus en état de rouler, il aimerait bien le réparer. Je lui ai proposé de prendre le mien, maintenant que j'ai retrouvé ma moto, je n'en ai plus besoin, puis si jamais un jour c'est le cas, j'ai toujours le tien. En rentrant de la clairière, il l'a récupéré et il est parti avec.
J'ai l'impression que beaucoup de choses changent dans ma vie en ce moment. Ça me fait peur, mais je n'ai pas le choix.
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