Page cent-douze

Jeudi 27 juin 2019

J'ai fait une crise panique cette nuit, enfin je crois que c'était ça. Je ne sais pas. Je n'arrivais pas à respirer, mais je ne pleurais pas.

Hier pendant mon rendez-vous avec Alan, on a parlé de ton absence dans les moments courants de la vie, dans les choses les plus banales et insignifiantes. Comme par exemple ne plus se dire bonne nuit le soir ou bonjour le matin, aider maman à décharger les courses de la voiture, se brosser les dents à côté l'un de l'autre et ne plus avoir deux reflets dans le miroir. Le couvert en moins à table, ne plus pouvoir t'appeler ou t'envoyer de messages quand j'en ai besoin ou même quand je n'ai rien à dire, seulement par habitude etc... Le but c'était d'exprimer ce que je ressens par rapport à tout ça et surtout comment contourner le manque et ton absence dans certaines situations. Alan devait penser que j'étais assez fort maintenant pour discuter de tout ça, mais encore une fois je ne suis pas fort. J'ai l'impression d'être le seul à m'en rendre compte.

En rentrant j'ai chassé ce rendez-vous de ma tête, mais j'ai quand même dit à maman ce qu'Alan m'avait conseillé de faire. De tous changer de place à table, pas que quelqu'un se mette à ta place, mais de tout disposer différemment pour qu'il n'y ait plus de trou là où tu te trouvais avant. Il n'a pas utilisé le mot trou évidemment, mais c'est ce que ça voulait dire. Je suis censé être fort, alors que tu es devenu un trou qu'on doit combler.

Alan veut que j'apprenne à trouver différentes façons de surmonter les moments sans toi, mais je ne crois pas que j'en suis capable. On peut déplacer toutes les assiettes du monde, il en manquera toujours une. Je ne sais pas comment vivre sans toi et je ne crois pas que ça changera un jour.

Je ne voulais pas t'écrire tout ça à la base, je voulais seulement te dire que ton numéro de téléphone existe toujours.

C'était affreux. Je dormais dans mon lit et dans mon rêve, je te téléphonais, tu ne répondais pas parce que tu étais mort, j'essayais de t'envoyer des sms, mais tu n'en recevais aucun. Je me suis réveillé en sursaut, je n'arrivais pas à respirer. Je voulais t'appeler, je voulais t'envoyer des messages, mais je savais que tu ne les recevrais pas.

J'ai couru jusqu'à la chambre de papa et maman, je les ai réveillé en les secouant. Je n'arrêtais pas de parler, de leur demander où était ton téléphone, s'ils avaient résilié ton abonnement, est-ce que tu avais toujours un numéro. Ils sont rapidement sortis du sommeil, papa a allumé la lampe de chevet, ils ont essayé de me rassurer, de me dire de me calmer, mais j'insistais. Ils ont fini par se regarder, puis maman a ouvert le tiroir de sa table de nuit, il y avait ton portable à l'intérieur. Elle m'a dit qu'elle n'avait pas résilié ton abonnement, que ta ligne existait encore. Je me suis senti tellement soulagé que j'ai réussi à mieux respirer.

Après m'être calmé, je suis retourné dans ma chambre avec ton portable. Il n'avait plus de batterie, j'imagine depuis longtemps. Je l'ai mis à charger. J'ai eu l'impression d'attendre une éternité avant de pouvoir l'allumer. Papa et maman ne connaissent pas ton mot de passe, mais moi oui. J'ai passé le reste de la nuit à lire ou regarder toutes les dernières choses que tu avais faites dessus. Tes dernières photos, tes derniers sms, tes derniers messages privés, tes dernières recherches internet. Tout. Si tu étais encore en vie, tu m'aurais probablement tué de fouiller comme ça. Ou peut-être pas, parce qu'on ne se cachait rien.

J'ai aussi réalisé que je n'étais pas le seul à avoir du mal à avancer sans toi. Papa et maman n'ont pas eu le courage de résilier ta ligne, eux aussi ils doivent avoir besoin de savoir que ton numéro de téléphone existe toujours.

Je n'ai pas réussi à me rendormir, quand j'ai entendu maman se lever avant le soleil, je l'ai rejoint dans la cuisine et je lui ai rendu ton portable. Ça m'a fait du bien de fouiller dedans, c'était un peu comme une dernière dose de toi, découvrir des choses que je ne connaissais pas encore. Je me suis dit que papa et maman avaient le droit à ça eux aussi, alors je lui ai donné ton mot de passe. La date d'anniversaire de Sarah.

Demain on va passer la journée chez papy et mamie. Je n'y suis pas retourné depuis le soir du réveillon, et c'était une soirée horrible. J'ai encore la cicatrice dans le creux de ma main.

Il n'est pas cassé. Ton portable. Cet accident t'a tué sur le coup, mais ton téléphone n'a rien. Pas même une seule petite fissure sur l'écran. Il a survécu sans la moindre égratignure alors que toi, tu es mort.

— Harry

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