Page cent-cinquante-neuf
Mercredi 2 octobre 2019
Je ne suis pas rentré à la maison hier. En fait je ne suis pas rentré de toute la nuit entière. J'étais avec Louis, on s'est endormi dans sa voiture.
Quand je suis parti, je ne savais pas trop où aller. Sans trop le réaliser, j'ai roulé jusqu'à l'université. La nuit du premier anniversaire de la mort d'Evan, Louis m'a appelé. Je crois que moi aussi, j'avais envie de passer ton première anniversaire à toi, avec lui. Même si je ne lui ai pas dit tout de suite.
Je me suis garé à côté de sa voiture, il était environ 14h. Louis connait mon emploi du temps, parce que le mien ne change jamais, mais le sien varie souvent. Je lui ai envoyé un sms, il était en cours.
Je me suis baladé sur le campus. J'adore la bibliothèque, mais j'aime beaucoup le parc aussi. Il est toujours aussi grand que la dernière fois que je suis venu. Les arbres commencent à jaunir, l'automne est ma saison préférée, mais ça tu le sais déjà. Il n'y aucune clôture nul part, contrairement au lycée. Les étudiants vont et viennent comme ils veulent, ils sont totalement libres. Les grillages autour de mon école me rappellent l'hôpital.
La liberté. C'est ce que je ressens quand je suis là-bas et c'est un sentiment vraiment agréable.
Quand Louis m'a rejoint, il n'avait pas encore mangé. Il m'a emmené dans un café étudiant pas loin du campus, il ressemblait un peu à celui de son travail. Même si je n'avais pas touché à l'assiette que maman m'avait apporté, je n'avais pas faim. Lui oui, il a carrément dévoré son sandwich et ses frites, ça m'a fait rire, parce qu'il en avait partout autour de la bouche. Depuis qu'il a repris les cours, il mange quand il a le temps, c'est à dire pas souvent et surtout à n'importe quelle heure de la journée.
Après ça, il m'a proposé de l'accompagner à son prochain cours. J'avais un peu peur parce que je ne suis pas inscrit là-bas, mais l'amphi-théâtre est tellement grand que le professeur, ne connait pas tous ses élèves. Je me suis fondu dans la masse, personne ne m'a regardé étrangement, ni regardé tout court d'ailleurs, personne n'a fait attention à moi. J'ai vraiment aimé ça.
Louis était concentré tout le long, pourtant il me faisait des petits sourires régulièrement. Le cours a duré deux heures et si moi, je ne comprenais pas grand chose, lui, semblait suivre sans la moindre difficulté. Je ne pouvais pas m'empêcher de le regarder, j'ai senti qu'il était dans son élément dans cet salle, au bon endroit, à sa place.
Après ça, on a été dans mon endroit préféré du campus, tu sais lequel c'est maintenant. J'avais des cours dans mon sac à dos, comme toujours et ce journal. J'ai révisé en même temps que Louis. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup de passage, beaucoup d'étudiants qui rentrent et d'autres qui partent, qui cherchent des livres, pourtant l'ensemble de tous ces bruits reste calme.
Quand Louis étudie, il a toujours un air concentré sur le visage, et quand il ne comprend pas quelque chose, ou qu'il ne sait pas trop, il fronce le nez. Je crois qu'il devait sentir mes regards sur lui, car il finissait toujours par relever les yeux vers moi. Ou alors peut-être que lui aussi il aime bien me regarder ? Tu crois ? Je ne sais pas si j'ai des mimiques moi aussi, mais tu m'as toujours dit que j'avais un air trop sérieux quand je révisais. Pas toi, toi tu étais toujours détendu.
Quand on a refermé nos livres, il faisait déjà presque nuit. J'ai regardé mon portable, il était presque 20h. Malgré le mot que j'avais laissé à la maison, j'avais sept appels manqués de maman et deux de papa. Pendant quelques heures, j'ai oublié quel jour on était. Sur le moment je m'en suis voulu et je m'en veux encore un peu Railey. Même si ça m'a fait du bien, pardon.
Je n'avais pas envie de rentrer. J'ai quand même rappelé maman pour la rassurer. Quand je lui ai dit que j'étais avec Louis, je l'ai senti pousser un soupir de soulagement au téléphone. Je crois qu'elle l'apprécie vraiment, puis le fait qu'elle connaisse sa mère maintenant, doit la rassurer beaucoup aussi.
On a mangé au Diner, on n'y était pas retourné depuis la première fois. En semaine, surtout le soir, il n'y a pas grand monde. J'avais faim. J'ai commandé le maxi burger avec supplément fromage et des frites, je n'en ai mangé que la moitié, mais j'avais oublié à quel point il était bon. Louis a pris la même chose que moi, il ne le sait pas, mais c'est ton plat préféré, il l'a adoré. Louis a aimé ton plat préféré.
On avait pris ma moto. Ce n'est qu'une fois de retour sur le campus, garé à côté de sa voiture, que je lui ai dit pour toi et pour la date. Il m'a demandé comment je me sentais, j'ai simplement haussé les épaules parce que je n'avais pas de réponse. Il a ouvert la portière arrière de sa voiture et m'a fait signe de monter, je l'ai regardé intrigué.
« Allez, grimpe. »
J'ai obéi, on s'est installé tous les deux sur la banquette arrière. Tu vas trouver ça complètement stupide, mais de monter dans sa voiture, dans la voiture de son père, une voiture dans laquelle Evan est monté, j'ai eu l'impression de rentrer un peu plus dans son monde.
Je n'avais pas tort. Il m'a dit qu'avec Evan, ils s'installaient souvent sur cette banquette arrière. Quand ils étaient petits, c'était pour se confier des secrets, préparer des bêtises, jouer à cache-cache, puis en grandissant, quand ils avaient besoin de se parler, quand l'un ou l'autre allait mal ou allait bien. C'était leur endroit à eux, leur repère à confessions.
Au début on était simplement assis. J'ai essayé de lui dire ce que je ressentais, ou plutôt, ce que je ne ressentais pas. Je lui ai dit que j'avais l'impression de ne pas réagir normalement. Je ne lui ai pas dit à quel point je m'en voulais, mais je crois qu'il l'a compris car il m'a beaucoup rassuré. Par moment j'avais l'impression d'entendre Jean parler, parce que contrairement à moi, Louis, lui, il écoute pendant les réunions. Finalement je réalise que tout ce que nous dit Jean, peut réellement nous aider. J'essaierai d'être un peu plus attentif à l'avenir. Ou alors peut-être que cette fois les mots ont compté parce que c'est Louis qui me les disait, et pas Jean.
Petit à petit on s'est rapproché, pour finir l'un contre l'autre. Lui son dos contre la portière, moi entre ses jambes, mon dos contre son torse.
Il a voulu qu'on parle de toi parce que c'était une date importante, mais uniquement des choses positives. Il a dit que ce serait la plus belle façon de te rendre hommage, il avait raison. J'ai voulu qu'on fasse la même chose pour Evan. Le jour de l'anniversaire de sa mort, Louis allait trop mal pour lui rendre hommage, mais Evan le mérite, tout comme toi.
On s'est raconté plein de souvenirs joyeux, qui nous faisaient sourire ou qui comptaient pour nous. Ça m'a rappelé l'exercice que Jean nous avait donné, celui où j'ai acheté des chaussettes Bob l'Éponge parce qu'elles me faisaient penser à toi.
J'étais dans les bras de Louis, nos doigts de nos deux mains jouaient ensemble et s'enlaçaient. On parlait de toi et d'Evan en souriant, on a même rit des fois, parce qu'on avait interdit les choses tristes.
Tu sais, plus j'apprends à connaitre Evan à travers Louis, plus il me fait penser à toi. Il était plein de vie comme toi. Il était le pilier de Louis comme toi, tu étais le mien. Il était marrant et toujours souriant, comme toi. On dit souvent que chez les jumeaux, il y en a toujours un plus extraverti que l'autre, c'était toi et Evan. Louis est comme moi, il est plus timide et réservé. Je ne l'aurais pas cru, parce qu'il semble tellement ouvert aux autres et à l'aise en leur présence, mais pourtant Evan était encore plus sociable que lui.
Je suis sûr que tu te serais bien entendu avec Evan, on aurait pu former un groupe tous les quatre. Deux paires de jumeaux. Mais vous êtes morts. Pardon, que des choses positives. Oublie ce que je viens d'écrire.
Je ne sais pas quand on s'est endormi exactement, mais à un moment il m'a embrassé dans le cou et j'ai ressenti des frissons dans tout mon corps.
Je me suis réveillé le premier. On était dans une position bizarre, tout emmêlé l'un contre l'autre. Il faisait encore nuit. J'ai cherché mon téléphone à tâtons, il avait atterri sous le siège passager avant, ça non plus, je ne sais pas comment c'est arrivé. Une banquette arrière de voiture, ce n'est vraiment pas confortable pour dormir.
Il était 6h. Je n'avais pas d'appels en absence de maman, mais j'avais un sms de papa qui me disait que si ça n'allait pas ou si j'avais le moindre problème, je pouvais l'appeler à n'importe quelle heure. Je crois que papa et maman ont compris que j'avais besoin d'être avec Louis pour les un an de ta mort.
Je l'ai regardé dormir un petit moment avant de le réveiller, sauf qu'au lieu d'ouvrir les yeux, il m'a repris contre lui en murmurant : « encore un peu. » Je n'ai pas protesté, parce que moi aussi j'avais envie de encore un peu. On est resté dans les bras l'un de l'autre jusqu'à la limite pour ne pas être en retard.
Quand je suis rentré à la maison ce matin, tout le monde était déjà réveillé. Papa allait partir au travail et maman était en train de donner son petit déjeuner à Jade. Je les ai embrassé tous les trois avant d'aller me doucher pour aller en cours.
Louis m'a aidé à comprendre ma réaction. Je m'en veux encore de ne pas avoir souffert hier comme je pensais que j'allais souffrir, mais j'ai le droit de ne pas être plus malheureux ce jour-là, parce que je le suis déjà tous les jours. Je crois que je te l'ai déjà dit, je n'ai pas envie de relire ce que je t'ai écrit, mais peut-être que c'est parce que j'ai tellement angoissé pendant plusieurs jours avant, que j'ai réagi comme ça hier ?
Je ne vais pas te dire que le 1er octobre est un jour comme les autres, parce que ce n'est pas vrai. Maintenant ta mort a une date, tu as un anniversaire qui nous rappellera pour toujours le jour où tu nous as quitté. Ça ne sera jamais une journée facile et je détesterai toute ma vie entière les 1er octobre, mais c'est juste que je déteste déjà presque tous les jours de l'année. Certains plus que d'autres, c'est vrai, mais aucun jour n'est facile depuis que tu n'es plus là. Je ne veux pas que celui de ta mort soit encore plus dur que tous les autres, car tout est déjà trop difficile.
Tu me manques, peu importe la date du calendrier.
Cette nuit j'ai souri et j'ai ri en pensant à toi. Louis aussi a souri et a ri en pensant à Evan. Il avait raison, c'était le plus bel hommage qu'on pouvait vous rendre. Même si on est malheureux, Evan et toi, vous méritez tous les deux d'être des souvenirs heureux.
Je crois aussi que souffrir à deux, avec une personne qui comprend vraiment ce que je ressens, rend ça un peu plus supportable.
Louis m'a embrassé dans le cou. Je sais que ça n'a plus aucun rapport avec ce que je te raconte maintenant. Tu es mort il y a un an et un jour, j'ai tellement mal par moment que j'aimerais mourir, pourtant quand je repense à son geste, j'ai des papillons dans le ventre, comme dans les livres.
Je suis malheureux sans toi et je suis perturbé parce qu'un garçon m'a embrassé dans le cou. Je crois que même les émotions que je ressens à l'intérieur de moi, sont fatiguées aujourd'hui.
Je suis au lycée. Les inscriptions pour les matières facultatives sont cet après-midi. Je vais aller manger puis j'irai m'inscrire au cours de photographie. Je crois que j'en ai vraiment envie.
Tu me manques Railey, hier, comme avant-hier et comme demain. Tu me manques tous les jours.
— Harry
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