Page cent-cinquante-huit

Mardi 1er octobre 2019

Il est 10h du matin. Ça y est, tu es mort depuis un an et plusieurs heures.

Je ne sais pas comment je me sens. C'est étrange. J'avais tellement peur que soit affreux, douloureux, insupportable, insurmontable et finalement, je me sens... normal. Je crois. Je n'ai pas plus mal qu'hier. Un peu quand même. J'ai l'impression que mon coeur est plus serré dans ma poitrine. Comme s'il était dans une boîte trop petite pour lui et qu'il n'arrive pas à battre normalement, parce qu'il n'a pas la place.

Pour l'instant, je n'ai pas envie d'aller me blottir dans ton lit en espérant disparaitre, ou d'arrêter de respirer le temps que la journée passe. Est-ce que tu crois que c'est mal ?

Il est encore tôt, peut-être que la douleur va venir après. Peut-être que même si je sais que c'est l'anniversaire de ta mort aujourd'hui, quelque chose en moi ne le réalise pas encore. C'est peut-être pour ça que je souffre, mais pas beaucoup plus fort que d'habitude.

Je reste dans mon lit, je crois que c'est le meilleur endroit pour moi aujourd'hui.

Qu'est-ce que tu penses que maman a dit au lycée pour justifier mon absence ? « Son frère est mort il y a un an, il reste encore à la maison aujourd'hui. » J'aurais préféré avoir la grippe.

11H30.

Mamie et papy viennent d'arriver. Maman est venue me chercher, mais je n'ai pas envie de descendre. J'ai peur de croiser leurs regards, qu'ils soient différents des autres jours. J'ai l'impression que ça va, je ne me comprends pas, je ne devrais pas me sentir comme ça. Je devrais avoir mal. Je suis sorti dans le couloir pendant que maman descendait les escaliers, je l'ai entendu leur dire que j'avais besoin d'être seul. Ce n'est pas vrai, j'ai juste peur. J'ai peur que la moindre chose déclenche quelque chose en moi. J'ai même peur de respirer un peu trop fort et de m'effondrer. Ma réaction n'est pas normale, ce que je ressens n'est pas normal.

Maintenant j'entends les bruits du repas. Je sais que maman va venir m'apporter une assiette.

Ils sont tous partis. Je sais qu'ils sont venus te voir. Ils vont t'apporter plein de fleurs, je ne les ai pas vu, mais l'odeur remonte jusqu'à ma chambre. La maison est vide, il n'y a plus un bruit. Ce silence me fait du bien.

Je viens d'aller dans ta chambre. Un an après elle n'a pas changé, c'est toujours ta chambre. Maman change toujours les draps de ton lit une fois par semaine, comme si tu dormais encore dedans. Elle fait le ménage et la poussière comme si tu allais revenir. Je ne sais pas si c'est une bonne chose. Je suis sûr qu'il existe plein d'études à propos de ça. Ça m'est égal ce que pense les scientifiques, ça me rassure que maman fasse ce qu'elle fait, que ta chambre reste toujours ta chambre, même si ça fait un an.

Je ne comprends pas Railey, je ne sais pas pourquoi je ne souffre pas aujourd'hui. Pourquoi je ne suis pas comme Louis cette nuit-là. Je me sens horrible. Je suis vraiment désolé. Je sais que ma réaction aujourd'hui n'est pas normale, que je ne suis pas normal. Tu es mort il y a un an, je viens de passer une année entière sans toi, je devrais être à peine capable de respirer à cause de la douleur. Je ne devrais pas être en train de me poser des questions sur ce que je ressens, ou plutôt, ce que je ne ressens pas.

Est-ce que tu crois que c'est parce que j'ai tellement eu peur ces derniers jours, que quelque chose s'est éteint en moi ? Jean nous a déjà parlé de l'auto-protection, de ce que notre inconscient était capable de faire pour nous protéger. J'aurais dû mieux écouter ce jour-là, peut-être que si je l'avais fait, j'aurais pu comprendre pourquoi je suis comme ça aujourd'hui.

Je crois que j'ai besoin de sortir de la maison. Tant qu'il n'y a personne pour me voir.

Je ne veux pas te souhaiter un joyeux ou un bon anniversaire de mort, parce qu'il n'y a rien de joyeux ou de bon aujourd'hui. Il n'y a rien de joyeux ou de bon dans ta mort. Absolument rien.

Je ne sais pas ce que je vais faire, ni où je vais aller. Je vais quand même laisser un mot sur la table du salon pour que maman et papa ne s'inquiètent pas. Je sais qu'ils sont malheureux aujourd'hui et je ne veux pas leur créer plus de soucis.

Tu me manques Railey. Depuis un an, je ne suis plus que la moitié de moi-même, au sens propre, comme au figuré. Ce n'est pas parce que j'ai une réaction anormale, que je vis bien ou mieux ta mort ou ton absence. Le vide est toujours là, il n'est pas devenu plus petit.

Peut-être à tout à l'heure, ou à demain, ou à plus tard.

Je pense à toi à chaque seconde, j'espère que tu le sais et que tu me crois.

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