Sortie en terrain hostile

Le lendemain matin, je me réveille à cause du soleil orangé qui passe par la fenêtre. La lueur n'est pas puissante mais suffit à me sortir du sommeil.
Je pousse un espèce de grognement avant de me redresser et de me mettre assis. Je mets mes lunettes, la pièce retrouve sa netteté.
Mon rêve étrange me revient en mémoire. Mon cerveau a dû disjoncter pour créer une histoire aussi improbable.
D'abord un pied par terre, puis l'autre. Une fois debout, j'ouvre en grand mes fenêtres, pour aérer. Je ne suis peut-être pas le plus maniaque de la Terre, mais j'ai un minimum de bon sens. Enfin, j'imagine -j'espère-.

Maman est déjà partie au travail, papa dort, Calypso fait je ne sais quoi dans sa chambre (j'entends du papier, soit elle jette uns à uns tous ces dessins ratés, soit elle écrit une lettre d'amour à son petit-copain imaginaire.)

Sans bruit, je descends les escaliers. Ponyo, le chat, se frotte à mes jambes. Je m'accroupis et le caresse, il ronronne. Une fois qu'il en a assez, il me mordille le doigt et s'en va. Je hausse les épaules et vais jusqu'à la cuisine, inondée de soleil.

Me saisissant de la brique de jus d'orange dans le frigo, je réfléchis à ce que je pourrais bien faire de ma journée.
Je pourrais peut-être demander à Carmen d'aller au cinéma avec moi. Oui, c'est une bonne idée.

Salut tête de pioche. Cinéma ? Quand tu veux, ce que tu veux.

Je vais prendre des biscuits dans le placard et les grignote, maculant la table de miettes.
L'horloge en face de moi indique 8h30. Papa se réveillera sans doute pour 9h00, et Calypso ne descends jamais avant 10h00. Ça me laisse un peu de temps devant moi.

Le téléphone vibre, le jus d'orange tremble dans son verre. Ça me fait penser à cette scène, dans Jurassic Park. Celle où le T-Rex sort de son enclos. Ultra flippant. À la place des gosses, je serais parti en courant et en hurlant. J'aurais sans doute été dévoré sur le champ.
J'allume mon téléphone et regarde sa réponse.

Non désolé. Ma mère veut m'emmener chez le médecin, "au cas où". Et après elle me trimballe aux courses. Une prochaine fois Lulu !

J'essaye de feindre une petite moue déçue. Tant pis, ça ne sera pas pour cette fois.
Mes questions refont alors surface. Comment s'occuper quand on est seul un week-end ?

Il me vient alors une idée. Je dépose un post-it sur la table. J'y explique que je pars pour la journée, que je sors, que je me débrouillerais pour manger. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? J'ai jamais fait ça avant. Mais rester dans cette maison une minute de plus, sans façon.
Je prépare un sac à dos avec un porte monnaie, des écouteurs, un livre.
Me voilà prêt. J'espère que mes parents ne vont pas flipper. C'est pas une fugue, juste une promenade.

Je prends mon jeu de clefs accroché avec les autres, puis sort en essayant d'être discret. J'ouvre à présent le garage, toujours avec autant de précaution, et me saisit de mon vélo avant de refermer rapidement.

La fenêtre de la chambre de ma sœur s'ouvre. Elle est décoiffée et fronce les sourcils.

- Tu vas où ? dit-elle, surprise.

Moi-même je ne sais pas encore trop vers où je me dirige. J'hausse les épaules.

- C'est une bonne question. J'avais envie de sortir. Je reviendrais plus tard, ne t'inquiètes pas.

Elle semble alors encore plus surprise. Il est vrai que ce genre d'attitude n'était pas mon genre.

- J'veux venir avec toi.

À mon tour d'être surpris. Elle rigole ou bien ? J'essaye de deviner l'expression sur son visage. Impassible.

- Sérieusement ? dis-je en haussant les sourcils.

Elle, a l'air très sérieuse. Elle hoche vigoureusement la tête.

- Non, Callie... pas cette fois, en tout cas.

La déception se ressent sur son visage. Elle m'adresse un petit signe de la main avant de refermer sa fenêtre.

***

Ça doit faire un quart d'heure que je pédale. Devant moi s'étend Calgary, troisième plus grande ville du Canada. Les voitures se font plus nombreuses sur la route et je me mets sur le côté. Si ma mère me voyait.
Les grands immeubles me font lever les yeux vers le ciel. Je ralentis et me dirige vers le coin de la ville que je connais. Celui du skatepark et du restaurant chic.
J'accroche mon vélo à un poteau grâce à mon cadenas et marche tranquillement en observant les gens autour de moi. Mon regard doit être vraiment insistant car la plupart des passants font mine de regarder ailleurs au même moment.
Je me visualise la rue dans laquelle je suis. Je retrouverais mon chemin sans problème.
Une dame promène son chien, un père tient la main de sa fille qui fait du roller, un grand-père marche, les mains dans les poches de son fabuleux jean Levi's.

La ville est vivante, sans être agitée. Les gens marchent à une allure rapide sans avoir l'air pressés. Les voitures roulent sans bruit, effleurant la route. Ça me plait. J'aimerais bien vivre ici plus tard.

Voici le skatepark. Quelques jeunes, 13 ou 14 ans je dirais, traînent avec des canettes de coca. Ils ne font pas attention à moi. Je continue ma route et m'aventure plus loin. Un coiffeur, une agence de voyage, une banque, une supérette. Pas très intéressant.
Les minutes défilent, il est déjà midi moins le quart. Je vérifie mon téléphone : pas d'appels des parents. Entre mon post-it et les explications de Callie, je crois qu'ils n'ont aucune raison de s'inquiéter.
Je tourne au hasard à gauche et tombe sur un Subway. Mon ventre émet des grognements et mes jambes semblent se diriger d'elles-mêmes vers le fast-food.
Le vendeur me demande ce que je veux sur mon sandwich, je réponds par monophrase. Trop faim pour enchaîner les mots.
On me donne un plateau et je paye avant d'aller m'installer près de la baie vitrée qui donne sur la rue. La wifi est gratuite ici, j'entre le code affiché au mur.
Pourquoi est-ce toujours sur le réseau que je hais le plus où j'ai toutes mes notifications ? Va savoir.
Je mords dans mon sandwich, faisant tomber un peu de sauce sur mon menton. Quel idiot. Heureusement que personne ne m'a vu. Je fais disparaître toute trace grâce au super essuie-tout qui essuie tout sur tout.

Invitation à un jeu de ferme, un jeu de bonbons, un jeu de stratégie... raaah, bande d'idiots.
Demande d'ami de |cousin au troisième degré de la tante de la mère de ma nièce| ou ce genre de choses. Supprimer, supprimer, supprimer.
Son visage apparaît encore. Milo Blair. Il sourit sur sa photo, mais c'est si petit sur mon écran que c'est la seule chose que je distingue.
Ah oui, ça me revient maintenant. C'est l'élève censé être parfait pour m'aider à monter mon niveau en maths. Boutades.
Mon doigt glisse sur accepter. Il me laissera tranquille maintenant, j'espère.

Essayer de capter la conversation du couple d'à côté, c'est plutôt compliqué. Je ne comprends que des bribes de mots comme "mariage" ou "paire de talons". D'après ce que j'ai compris, la meilleure amie de MadameQuiVaAuSubway se marie. Son amoureux, MonsieurQuiVaAuSubway, essaye de trouver une excuse pour rester à la maison. Madame refuse avant de se demander où est passée sa paire de talons préférée. Monsieur lève les yeux au ciel et boit son Orangina.

J'adore épier les conversations. Avec Carmen, c'est une de nos activités favorite. Ensuite, le jeu consiste à imaginer la suite.

Madame apprend par téléphone qu'elle gagne un voyage aux Antilles exactement le même jour que le mariage de sa meilleure amie ! Monsieur lui fait signe d'accepter, mais Madame annonce qu'elle ne peut pas louper un tel événement. S'ensuit alors une guerre entre Monsieur et Madame qui finit par un baiser qui vient tout arranger.

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