Quelqu'un et quelque chose

Nous regardons le film en silence. Il semble happé par les images, concentré sur ce qu'il se passe. Je le regarde en coin de temps en temps.

Lorsque le film se termine, il s'étire en souriant et me regarde.

- Tes parents rentrent ce soir, n'est-ce pas ?

J'acquiesce et il se saisit de la télécommande. Il choisit un autre film. Un long-métrage avec des pistolets et des affaires d'espionnage. Bon. Je regarde avec lui, même si ce genre d'histoire ne m'intéresse pas.
À un moment, j'hésite à poser ma tête sur son épaule, comme il l'avait fait avec moi.
Je finis par le faire, pas très confiant. Il ne bronche pas. Je ferme mes yeux, mais continue d'écouter le film (ou plutôt les tirs de pistolet omniprésents). Je sens ses épaules se lever et se baisser au rythme de sa respiration régulière. Tout est bien à cet instant, je me sens presque bercé par cette atmosphère.

À un moment où j'allais presque m'endormir, il toussote. Je relève la tête et frotte mes yeux sous mes lunettes.

- Désolé, je voulais pas te réveiller... dit-il.

Je souris un peu et lui répond de ne pas s'en faire. Le film touche à sa fin et je souffle de contentement.

- Tu veux qu'on sorte ? Ça te ferait du bien, un peu d'air frais.

L'idée ne semble pas mauvaise. J'accepte sans tarder et monte dans ma chambre, me changeant pour quelque chose d'un peu plus convenable.
Je me brosse rapidement les dents et redescend. Il m'attend, debout devant l'entrée. J'ai pris avec moi au moins trois paquets de mouchoirs ainsi qu'un spray pour le nez et des antibiotiques. Autant dire que je suis équipé.

Nous sortons de la maison, je garde un trousseau de clefs dans ma poche. Nous marchons vers je ne sais où, mais une chose est sûre : le temps est magnifique et l'air plus que respirable. Marcher me réveille, moi qui suis plongé dans la léthargie depuis hier. Les oiseaux gazouillent, cela ressemble à un concert.

Je le suis tranquillement, aucun d'entre nous ne dit mot. Il ne parle pas beaucoup, et moi non plus je ne suis pas très bavard. J'aime être avec lui, je me sens en sécurité. Il a une apparence frêle mais un mental très fort. Ses yeux bleus regardent devant lui.

- Tu veux aller où ?

- N'importe, je te suis, dis-je.

- Alors je vais t'emmener quelque part.

Il sourit, ça me donne un frisson qui parcourt toute mon échine.
Je n'arrête pas de me poser des questions, ces temps-ci. Qui est Milo pour moi ? Qui suis-je ? Quel est mon but ? Tant de questions, et si peu de réponses. On dirait une définition de l'adolescence. "Période dans la vie où l'on est plutôt idiot et où l'on se pose des questions sans arrêt". Parfait.

Mes frissons continuent. Mais c'est parce que je commence à avoir froid. Milo s'en rend compte, il pose le dos de sa main sur mon front, jaugeant ma température. Je ne m'attendais pas vraiment à ce geste, je recule.

- Excuse-moi... tu as froid ? demande-t-il.

- Je suis gelé.

Et c'est la vérité. Je vois la culpabilité sur le visage doux de mon interlocuteur.

- Pourtant ton front est brûlant... on ferait bien de rentrer...

- Non, le coupé-je. Tu voulais m'emmener quelque part alors allons-y. Et puis, j'ai ramené l'attirail.

Je tapote mes poches.

- C'était une mauvaise idée. Je te trimballes dehors dans cet état...

Il mord sa lèvre. Il se retourne, la maison n'est pas très loin, nous n'avons pas parcouru une très grande distance.

- Montre moi, insisté-je.

Il secoue la tête et me prend sur ses épaules. Malgré mes aprioris, Milo est fort.

- Accroche toi, on rentre.

J'enroule mes jambes autour de son torse, et mes bras autour de ses épaules. Je fais la moue, je ne veux pas rentrer.

- Si, il le faut. J'ai été idiot. Je te montrerais quand tu iras mieux.

Il me transporte comme ça jusqu'à la maison. Je m'endors presque au rythme des ses pas foulant le sol. Arrivés à la maison, il me demande les clefs. Je les lui tend, il ouvre, me gardant toujours sur son dos. La balade a été de courte durée.

Il monte alors les escaliers. Je m'étonne presque de ne pas le voir s'écrouler sous mon poids. Il me dépose dans mon lit, telle une princesse.

Je tapote la place à côté de moi pour qu'il me rejoigne. Il ne se fait pas tarder.

- Qu'est-ce que tu voulais me montrer ? marmonné-je, fatigué.

- Tu verras une prochaine fois.

Son souffle parvient jusqu'à moi. Est-ce qu'il sent le mien aussi ?
Il me détaille, me fixe. Je me sens un peu bizarre. Comme si j'étais nu, devant lui. Voilà, c'est exactement ça. Je me sens à nu quand il me regarde comme ça.
Son regard va et vient, ici et là. Je pose finalement la tête sur mon coussin, celle-ci étant devenue trop lourde.

- Je suis heureux de t'avoir rencontré, Ulysse.

Je souris. J'éprouve la même chose, et c'est ce que je lui dis.

- Je crois que j'avais besoin de quelqu'un. Et ce quelqu'un, il s'est avéré que c'est toi.

Il sourit aussi. Nous sommes dans la confidence, c'est certain.

- Dis... qui est cette fille qui t'a larguée ? J'ai bien envie de lui casser la figure, dis-je avec un grand sérieux.

Il rit , avant de se mordre la lèvre. Il semble tendu. Je plisse les yeux, interloqué.

- Ulysse... c'est pas une fille. C'est un garçon.

- Oh.

C'est un peu bête de répondre "Oh" mais c'est la seule chose qui m'es venue à l'esprit. En fait, je crois que je m'en doutais depuis le début. Mais j'avais étrangement éloigné cette idée de mon esprit.

- Mais je lui casserais quand même la gueule, dis-je. T'es génial, il avait pas à faire ça.

Son visage retrouva son air habituel, je le sens soulagé. Peut-être qu'il a eu peur que j'aie une réaction homophobe et que je le chasse de ma maison comme la peste noire à coup de canne.

- T'es adorable, dit-il.

Il posa alors sa tête sur mon autre coussin. Ses yeux se fermèrent, les miens aussi. Est-ce que l'on est réellement en train de dormir dans le même lit ?

Sans vraiment évaluer si ça fait longtemps qu'on dort ou pas, je le sens se lever. Je sens aussi qu'il fait tous les efforts du monde pour ne pas me réveiller, en vain.

- Où tu vas ? chuchoté-je.

Et peut-être qu'à cet instant la fièvre agit comme une drogue, mais il me semble que Milo embrasse mon front.

- Je rentre chez moi. Repose-toi bien.

Il sourit en s'en va. Peu de temps après, j'entends la porte d'en bas claquer. Et voilà, Milo Blair s'en est allé. Il fait froid sans lui à côté de moi.

Je serre ma couette contre moi, sentant les odeurs de déodorant de Milo. Je referme mes yeux. J'ai envie de l'appeler, de le rattraper dans la rue comme dans les films, pour lui demander de rester. Mais je suis trop fatigué. Et oui, encore. Vivement que le méchant virus s'en aille. Et que je puisse pleinement me remémorer de ce soi-disant bisou sur le front.

Il me semble entendre des gouttes de pluie. Ou un aboiement de chien. Ou une voiture qui passe dans la rue. Je ne sais plus trop.

Une larme coule sur ma joue et vient tâcher ma taie d'oreiller. Mon estomac se noue. Est-ce que cela fait partie des symptômes de la grippe ? Quoi qu'il en soit, il manque quelque chose à ma vie. Et peut-être que ce quelque chose porte le nom doux et harmonieux de Milo Blair.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top