Le plan "jalousie"

8h00. La cloche sonne. Le plan "jalousie" a officiellement commencé.

J'ai rapidement salué Carmen sans plus de bavardages avant de rejoindre Milo. Nous parlons bien fort de sujets qui fâchent, comme cette histoire qui s'est mal finie entre deux filles du groupe de musique.

Les élèves se retournent, consternés d'un tel vacarme à une heure pareille. Ça m'amuse d'être le centre de l'attention. Je crois que la plupart d'entre eux ne soupçonnaient même pas mon existence.

Carmen parle avec son affreux copain, mais semble s'intéresser à nous. 1 point bonus. Elle m'adresse un sourire, je ne lui réponds pas. De la provoc, bravo Ulysse. 1 point en plus.

Nous finissons par nous séparer, nous promettant de passer au niveau supérieur à la pause de 10h00.

Premier cours : espagnol. La salle est plutôt agressive avec ces couleurs rojo y amarillo.
Le prof, assez vieux pour être allé 3000 fois à Barcelone, nous demande de rendre nos projets.

- Merde, on a rien foutu... chuchote Carmen, assise à côté de moi.

- Moi j'ai fais quelque chose.

Je me lève et pose ma copie sur son bureau. Elle me regarde, surprise. Elle n'ajoute rien, je lui ai cloué le bec. Encore un point. Je finis par me prendre au jeu.

Entre chaque cours, elle va rejoindre Eddy pour lui faire des câlins/bisous. La nouvelle sensation du lycée. Moi je trouve ça plutôt répugnant.

- Psssst, dit une voix avec un semblant de discrétion.

Je rejoins Milo, caché entre le mur et les casiers avec un air d'agent secret raté. Je l'imagine presque portant un chapeau noir feutré et des lunettes de soleil.

- Ton amie n'a pas très l'air jalouse, dit-il.

- Ça fait seulement une heure, sois patient.

Nous rions de la situation improbable, je finis même par laisser mes doutes s'envoler. Carmen est ma meilleure amie, et elle a le droit de sortir avec qui elle veut. Qui elle veut sauf cet abruti, évidemment. Je ne suis pas en colère contre elle. Peut-être même que ma jalousie enfantine s'est quelque peu dissipée.

10h00 sonne, je me précipite un peu trop rapidement vers l'extérieur. Milo est déjà assis sur le banc, parfait. Je m'installe à côté de lui.

- Donc. On parle fort. On prend toute la place. On rigole. On s'embrasse ?

Je ris. Peut-être que c'était pas pour rire, mais il se joint à moi.

- Seulement en cas d'extrême urgence, dis-je.

Les autres élèves finissent par affluer dans la cour, visiblement moins pressés que nous. Nous nous mettons à discuter, un débit assez fort dans la voix. On doit avoir l'air d'attardés, mais c'est pas grave, je m'amuse bien.

Carmen débarque en discutant avec Eddy. Notre discussion devient encore plus passionnée.

Carmen me remarque et m'adresse un petit geste de la main. Je lui réponds pour ne pas qu'elle croit que quelque chose cloche, mais Milo semble décontenancé.

- Non, non ! Il faut la rendre jalouse ! Pas jouer à faire coucou !

Je ris en levant les yeux au ciel. On est vraiment pitoyables. C'est n'importe quoi, et j'ai encore plus envie de continuer ce petit jeu.

Carmen fait signe à son copain d'attendre, celui-ci s'empresse d'aller rejoindre ses potes aussi idiots que lui.

- Hey, nous dit-elle. Milo, c'est ça ?

Elle tend sa main, pour faire les présentations. Milo plisse les yeux et serre sa main, gardant toujours cette mine. J'essaye de ne pas rire.

- Donc... vous vous entendez bien, non ?

- Oui, très bien ! dit Milo avec un sourire qui a l'air un peu superficiel.

Au tout de Carmen de sembler méfiante. Mais son visage se détend, quoi qu'il ait l'air un peu triste.

- Bon... alors je vous laisse. Ulysse, Skype ce soir ?

- Euh... je verrais.

Elle se leva alors, visiblement déçue. Elle s'éloigne sans rien ajouter de plus, retournant avec EddyGueuleDeCon.

- Elle est jalouse ! s'écria Milo.

- Non... elle a l'air plutôt triste, dis-je.

- Tu vas la récupérer, t'inquiètes.

Et on continue notre petit jeu tout au long de la journée, jusqu'à la fin des cours, la fin de notre première journée de mission. Nous marchons ensembles jusqu'à l'entrepôt des vélos.

- Cette journée s'est bien passée, si ça se trouve à la fin de la semaine elle rompt avec ce Edward.

- Eddy, le corrigé-je.

- Pareil.

Il me fait sourire. Ces derniers temps, sa joie de vivre m'a semblé s'accroître. Peut-être que le type qui l'a largué n'en valait pas la peine. Et c'est surement le cas. Je crois pouvoir dire officiellement que j'ai deux amis, ou un et demi.

Je ne veux pas une bande de 10, 20 copains. Je n'arriverais même pas à retenir les prénoms.
Carmen et Milo sont spéciaux. Ils sont juste eux. Est-ce qu'ils me voient comme ça aussi ?

- Demain, faudra faire plus fort, dit-il.

J'acquiesce d'un signe de tête.
Nous arrivons au local, je prends mon vélo.

- À demain Inspecteur Gadget, dis-je avec un clin d'œil.

Je m'éloigne, mais l'entends crier :

- À demain Kim Possible !

Je ris seul comme un con sur mon deux roues sans moteur et rentre dans mon cocon familial.

                             ***

Au dîner, papa a essayé de se lancer dans une préparation osée de lasagnes aux légumes. C'est pas si mauvais.

- Papa ! Il faut que tu cuisines plus souvent ! dit Calypso, cette fervente admiratrice de légumes.

J'ai toujours eu un peu de mal à comprendre cet être à part. Parfois, j'ai l'impression que c'est elle, l'aînée. Ce qui n'a pas l'air de la déranger. Si elle était un personnage de roman, elle serait Hermione dans Harry Potter. C'est elle tout craché. Moi, je pourrais prendre le rôle de Lupin, j'aime bien Lupin.

Le repas se déroule dans la plus grande normalité, sans plus de formalités. Maman rit à propos d'une vieille femme venue tout à l'heure dans sa pharmacie. Papa raconte les exploits -pittoresques- d'un de ses élèves de sixième. Tout se passe pour le mieux.

Le chat, Ponyo, se frotte à moi en miaulant.

- Quoi ? demandé-je, m'attendant presque à une réponse.

Il continue de miauler bruyamment, je prend un petit morceau de lasagne qu'il renifle avec appréhension. Il le mange finalement, léchant ses babines. Même le chat apprécie, c'est un grand pas pour papa. Je l'imagine presque tout plaquer pour ouvrir un restaurant végétarien avec des décorations grecques partout. Un concept plutôt intéressant.

Je fais ma part de la vaisselle avant de monter dans ma chambre et d'allumer mon téléphone. Un message de Carmen, me demandant si on pouvait faire un Skype. Je lui réponds que non, il est tard.

Je souffle un peu et envoie un message à Milo :

Le plan marche plutôt bien, je commence déjà à manquer à Carmen.

Sa réponse ne tarde pas.

Super dans ce cas ! Après on pourra devenir un trio de choc.

Ouais. Un vrai trio de choc.
Mais... Pourquoi Milo ne traîne plus avec ce gars, en première aussi, ils étaient toujours ensembles pourtant... Oh. Je crois que je viens de comprendre.

Le gars avec qui tu traînais tout le temps, c'était ton petit-copain ?

Son message met du temps à arriver, comme s'il essayait de trouver des mots en accord avec sa pensée.

Ouais. Je ne veux plus lui parler.

Ça se comprend. Milo n'avait qu'un ami -qui était également petit-ami- et il l'avait perdu.
Je n'ai pourtant pas l'impression d'être le bouche-trou. On s'apprécie mutuellement, c'est très bien comme ça.

Nous nous saluons solennellement pour la nuit à la manière de personnes de la haute société. J'éteins mon téléphone et m'étale sur mon lit comme une étoile. Ponyo débarque et se pose sur mon ventre. Ce chat m'ignore toute l'année et décide de me coller aujourd'hui. Il doit sentir quelque chose d'inhabituel, les animaux sont doués pour ça.

Je m'endors donc, avec cette boule de poil sur mon ventre, ronronnant à chaque fois que ma cage thoracique se soulève.

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