Le banc près des toilettes

J'attends Carmen devant le lycée. C'est dingue à quel point je déteste les lundis. Enfin, j'en connais pas beaucoup qui aime ça de toute façon. Si, Carmen peut-être. Carmen aime tout, tout le monde, elle est gentille, drôle. Et après on la traite de "bizarre". Les critères sont vraiment bas pour qu'on vous range dans une case...
La voilà qui arrive, sur son vélo noir chromé. Un modèle plutôt chouette qu'elle a eu pour son dernier anniversaire. Elle l'accroche à côté du mien.
Les balades en vélo avec Carmen, c'est sacré. D'ailleurs, il me semble que notre rencontre avait un rapport avec les vélos... Oui, ça me revient. On avait quelque chose comme 7 ans. J'avais abandonné les petites roulettes, je faisais des tours dans mon quartier. Carmen, qui à l'époque n'habitait pas loin de chez moi, était retenue à la taille par sa mère. Elle l'aidait à ne pas vaciller. Écoutant sa fille qui disait qu'elle allait y arriver, elle a fini par la lâcher. Carmen avait réussi à tenir sur une distance honorable de quelques mètres avant de tomber. Les larmes avaient rapidement affluer, je m'étais dirigé vers elle et lui avait tendu un mouchoir sorti de mon merveilleux paquet Spider-Man. Elle avait séché ses pleurs. Et on était devenus amis.

- Hey ! dit la Carmen du présent en venant vers moi.

Elle est légèrement plus grande que moi, j'ai toujours eu du mal à digérer ça. On va dire que c'est génétique.
Elle arbore un T-Shirt des Arctic Monkeys, sans doute le seul groupe que nous avons en commun dans nos playlist.
Carmen ne se maquille pas. Elle se fiche bien qu'on puisse voir ces cernes ou les taches sur sa peau, plus claires que son teint d'origine. Elle est très bien comme ça.

- Bonjour, la grande malade clouée au lit, lui dis-je.

- Oh, ça va hein. Te fout pas de ma gueule dès le matin.

Elle rit et me prend par le bras vers l'intérieur. Le matin est toujours plus silencieux que le reste de la journée. Les élèves se parlent à voix basse, peut-être à cause d'une nuit trop courte.
Le couloir est morne en tout point. Mes yeux semblent rejeter les couleurs vives. Ou alors tout le monde à décider de s'habiller dans un style "nature morte".
J'ouvre mon casier. Enfin, j'essaye. Ce machin est tellement rouillé... je tourne la molette dans tous les sens. Alors je tente ce truc qu'on a tous vu dans un film, je tape sur la porte. Normalement, elle devrait s'ouvrir comme par magie, mais j'ai surtout réussi à me faire très mal à la paume. Je mords l'intérieur de ma joue pour éviter de jurer un peu trop fort.
Bon. Je tenterais à nouveau à la pause.

Carmen m'attend devant la salle de chimie. La cloche sonne à nous en retirer l'audition et le professeur nous fait signe d'entrer.
Mr. Lutz a la quarantaine. Il est très grand. Très grand, genre deux mètres. C'est lui qui nous l'a dit. Pour ajouter à sa taille impressionnante, il monte toujours sur une petite estrade pour que nous voyions mieux ces expériences. Sinon, c'est un fan éperdu de Breaking Bad. J'ai beaucoup de mal à le voir regarder ça, bizarrement.

Chacun s'installe à sa place, je suis au troisième rang avec mon acolyte de toujours. On enfile nos blouses (est-ce qu'elles servent réellement à quelques chose ?) et observons au tableau l'expérience du jour. Elle consiste à vérifier si une substance est aqueuse (qui continent de l'eau). Nous avons un tableau à remplir avec les résultats que nous auront trouver.

Une pomme verte bien juteuse, la poudre préalablement disposée dessus devient bleue. Donc ça continent de l'eau. Sans déconner, ça on aurait pu le deviner ! J'adore la logique.

On continue comme ça avec du pain, du savon, de l'huile, et d'autres conneries comme ça.
On rend notre petit tableau à Mr. Lutz. Je suis obligé de lever la tête pour voir son expression en voyant mes réponses. Rien à signaler. Je crois que je ne suis pas trop bête pour réaliser une expérience aussi banale.

S'ensuit alors un long monologue du professeur ponctué de bâillements acharnés. Pas de chance que ton cours soit le lundi à 8h00, mec. Je suis sûr que c'est hyper intéressant pourtant, hum hum...

L'interclasse vient rompre la sieste de certains. Je roule ma blouse en boule et la pousse tout au fond de mon sac à dos rapiécé maintes et maintes fois. La horde de zombie qu'est ma classe va au prochain cours.

                               ***

La pause de 10h00 est arrivée. On va dans la cour avec Carmen, direction le banc près des toilettes. Celui-là, on est bien sûrs que personne ne va le prendre. Vu les odeurs...

Elle se met en tailleur et ferme ses yeux. À quoi pense-t-elle ? Elle sourit.

- Je sais que je suis extrêmement jolie, mais pas la peine de me dévisager comme ça, me dit-elle.

Je lève les mains en signe d'innocence avant de me rendre compte qu'elle ne peut pas me voir. Je regarde ailleurs. En face de moi.
Quelqu'un me regarde, de l'autre côté de la cour. Un garçon, fluet. Ses cheveux blonds recouvrent son front. Il penche la tête en voyant que je l'observe également.

- Plutôt chiant le cours de Lutz, hein ? me demande Carmen, me sortant de ma rêverie.

J'acquiesce par un simple "mh mh". Elle fronce les sourcils.

- Qu'est-ce qui t'arrive d'un coup ?

Je lui montre le blondinet d'un coup de tête et lui demande qui c'est. Elle le regarde à son tour.

- Milo Blair. J'ai déjà entendu son nom dans les couloirs. Je crois qu'il va à l'atelier d'arts.

C'est donc lui, Milo, le gars de première année plutôt bon en maths qui m'a demandé en ami sur Facebook.

- Pourquoi tu me demandes ?

- En fait, mademoiselle Harrington m'a proposé des... comment dire... des espèces de cours de soutien. C'est ce mec qui était censé me les donner. Mais j'ai refusé.

Elle hoche simplement et lentement la tête, en signe de compréhension. Elle se couche nonchalamment sur le banc et s'étire de tout son long.

Voici maintenant une de nos seules heure de libre de la semaine, cette heure si rare et si précieuse où l'on peut à peu près tout faire. Carmen a besoin de s'acheter le nouveau livre que nous allons étudier en littérature. Elle me propose de l'accompagner, mais je refuse. Pas parce que je l'ai déjà acheté, mais parce que j'ai du travail à faire. Du moins, c'est ce que je lui dis. En réalité, j'ai un peu la flemme de marcher jusqu'à la librairie.

Je vais donc au CDI et m'installe à une table, près de la fenêtre. Je sors mon exemplaire du Journal d'Anne Frank et poursuit ma lecture là où je l'avais achevée.
Soudain, une voix m'interpelle.

- J'adore ce livre, dit une voix masculine.

Je relève les yeux. Milo Blair se tient devant moi, une main posée sur la table à laquelle je me trouve. Il m'adresse un sourire.
Ses lèvres sont gercées et quelques boutons discrets ressortent au coin de ses joues. Mais ces yeux sont d'un bleu magnifique. On dirait presque des lasers capable de cerner n'importe qui en une fraction de seconde.

Voyant que je ne réponds pas, il poursuit.

- Je suis Mil...

- Je sais qui tu es, dis-je pour l'interrompre. Milo Blair, première, plutôt doué en maths, légèrement collant sur Facebook.

Son sourire s'étire un peu plus à ma dernière remarque.

- Moi aussi je sais qui tu es, finit-il par ajouter.

Il regarde à nouveau mon livre, avant de me fixer de ces yeux lasers.

- Un peu de maths, ça te dit ?

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