Il y a quelques minutes

- Est-ce que je viens de comprendre que tu as déjà essayer de t'imaginer ma chambre ?

- En effet. Elle est à ton image, j'aime beaucoup.

Il sourit et se lève, allant à l'endroit où je range mes livres. Il regarde les tranches, en sort un de temps en temps, lit le résumé, sent l'odeur des pages, le range à nouveau. Il me fait rire.

- Où étais-tu pendant toute la semaine ? demandé-je soudainement, me rappelant ne pas l'avoir vu une seule fois.

- J'étais en stage. Tu me cherchais ? dit-il un air moqueur en se rasseyant.

Il est vrai que j'aurais aimé le voir, lui parler. Mais je ne vais pas lui dire ça.

- Oui... enfin, peut-être que tu aurais pu encore me dépanner en maths.

Il sembla alors déçu. Aïe, j'aurais pas dû dire ça.

- Ah oui, les maths...

Je m'insulte de tous les noms dans ma tête avant de me lever. Il me suit du regard. Je cherche dans mes livres, il doit être quelque part... là. Je le prends. La couverture s'est dégradée avec les années et les pages on jaunies, mais le voilà. Mon exemplaire de l'Odyssé d'Homère. Je le lui tends.

- C'est l'histoire d'Ulysse ? me demande-t-il.

- Oui. Peut-être que tu vas te découvrir une passion pour la mythologie, et tu vas peut-être appeler ta fille Circé, et ton fils Achille.

Il rit un peu et prends le livre délicatement, comme si c'était un trésor très précieux. Mes mains effleurent les siennes et je me recule. Il l'observe.

- C'était un peu comme un livre de contes pour moi quand j'étais petit. Je m'imaginais en héros, tu vois... expliqué-je.

Il hoche lentement la tête et le pose à côté de sa veste, pour ne pas l'oublier.

- Moi aussi je te prêterais un livre que je lisais quand j'étais petit, me dit-il.

- Non, Milo le matheux lit des livres !

- Oh ça va, t'exagère.

Il rit, ce qui a le pouvoir de me faire rire aussi. En bas, la voix de ma mère nous appelle.
On descends et arrivons dans la cuisine. Il y a une assiette en plus de d'habitude, à ma gauche. Les autres sont déjà assis, ce que nous faisons à notre tour.

Nous commençons à manger, Milo ne semble pas du tout gêné et redemande même une assiette. Un vrai caméléon qui s'adapte en fonction de là où il se trouve.

- Alors, Milo... ça fait longtemps que tu connais Ulysse ? demande mon père.

Mince. Avec toutes les questions qui existent, et il fallait que ça soit celle-là. Je toussote, faisant semblant d'avoir avalé de travers. Milo comprend, heureusement.

- Oh... depuis le début de l'année. Il n'arrivait pas à ouvrir son casier, alors je l'ai aidé. Et puis on est devenus amis.

Il m'adresse un clin d'œil discret. Mes parents semblent satisfaits de cette réponse. Mais moi, je me demande comment a-t-il pu savoir que j'avais des problèmes avec mon casier...

- Tu veux que je te raccompagne tout à l'heure ? demande ma mère, buvant une gorgée d'eau.

Milo accepte et nous finissons le repas. On me congédie de ma corvée de vaisselle pour que je passe plus de temps avec mon "ami". En fait, je crois que je peux le considérer comme un ami. Je l'aime bien.

Milo remarque que mon réveil fait également radio. Il l'allume sans demander mon avis et le règle sur une station au hasard. Celle-ci diffuse Creep de Radiohead, Milo se met à se trémousser, imitant quelqu'un qui joue de la guitare. Je ris et suit son jeu en imitant quelqu'un qui fait de la batterie.

- Yeah ! dit-il en riant lorsque la chanson se termine.

Il se rassoit à côté de moi, légèrement essoufflé. Il passe une main dans ses cheveux blonds.

- Tu joue d'un instrument ? demandé-je.

- Plus maintenant. Quand j'étais petit j'avais pris quelques cours de piano, mais ça ne me plaisait pas...

Il respire fort et cherche son souffle entre chaque mot.

- Est-ce que ça va Milo ..?

- Ouais... t'inquiètes. Juste un peu d'asthme.

Je sais très bien quels sont les effets de l'asthme, c'est assez courant. Seulement, Milo est très essoufflé et je m'inquiète. Lui me dit que ça va. Y'a-t-il différentes sortes d'asthme ?
Lorsqu'enfin il reprend son souffle, je le regarde, m'attendant presque à ce qu'il tombe dans les pommes. Pourtant, il me sourit.

- T'es tout pâle Ulysse. T'a eu peur pour moi, vraiment adorable.

J'entrouvre la bouche et secoue la tête.

- Mais... bien sûr que j'ai eu peur ! T'étais en train de t'étouffer devant moi !

- N'exagère pas... ça va.

Je suis tout de même rassuré qu'il me sourit. Il doit encore me dire quelques fois que ça va avant que je ne le crois vraiment.

- Ça t'arrive souvent ..? demandé-je.

- À chaque effort, la nuit parfois, quand j'ai peur, et puis des fois ça vient sans raison.

Il me dit ça tout naturellement, sans distinction particulière dans sa voix.

- C'est grave ?

- Ulysse, c'est de l'asthme ! Ce n'est rien. Bon, de l'asthme sévère, mais j'ai des médicaments à prendre. J'ai de la ventoline en inhalateur aussi, mais ça doit faire deux semaines que je l'ai perdu...

Je pince mes lèvres. Bon, il m'a dit que ce n'est pas grave, alors je ne rajoute rien de plus.
Un silence pesant s'installe. La nuit est déjà là, je regarde le ciel par la fenêtre. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression que Milo m'observe. Je ne détourne pas le regard et continue mes observations du ciel, à distance.

Il pose alors sa tête sur mon épaule sans rien dire. Je me raidis un peu. Je ne le savais pas aussi tactile.

- Ulysse ?

J'ai horreur de ces mono-phrases constant uniquement mon prénom. C'est toujours que quelque chose d'important va être dit.

- Je me suis fait plaqué ce matin. J'étais rendre visite à mon grand-père pour penser à autre chose. Et tu es arrivé, tu m'a également changé les idées, alors merci.

- Oh, mince...

Ulysse, mais quel idiot tu es. Il vient de te dire qu'il s'est fait plaqué et toi tu lui dis "Oh mince" ? Quel idiot...
Je m'en veux de ne pas pouvoir être plus réconfortant, mais je le laisse garder sa tête sur mon épaule.
Il semble alors très intéressé par ses mains, il les regarde en triturant ses doigts. Je crois qu'il se retient de pleurer. Je me sens mal pour lui.
Je me demande avec qui il sortait... mais en tout cas, cette personne a brisé son cœur.

Il reste encore comme ça un moment avant de se redresser, les yeux légèrement rougis. Je lui demande s'il a besoin de quelque chose.

- Non merci. T'a déjà fait beaucoup.

Moi qui ai l'impression que je n'ai absolument rien fait...
Je mords l'intérieur de ma joue puis regarde mon réveil, il indique 21h45. Ma mère nous appelle au même moment.

Milo enfile son gilet et prends l'Odyssée. Il passe devant moi et descends les escaliers deux par deux. Il salue mon père et ma sœur, puis nous sortons. Je veux l'accompagner.

Nous entrons dans la voiture, Milo indique l'itinéraire. Tout droit, gauche, droite, droite...
Je le regarde. Lui, observe les paysages urbains depuis sa fenêtre. Je n'ose rien dire.

On arrive finalement devant un grand appartement résidentiel. Milo remercie ma mère et nous dit au revoir. Avant de disparaître dans l'appartement, il me fait un signe de la main et me sourit. Je lui rend la pareille, et on rentre à la maison.

- Vraiment charmant ce Milo, pourquoi ne jamais nous en avoir parlé ? dit ma mère en retirent ses chaussures, dans l'entrée.

J'hausse les épaules et marmonne quelques paroles incompréhensibles avant de retourner dans ma chambre.
Et voilà que je me remets à penser à Milo. Il était assis là, il y a quelques minutes. Il a posé sa tête sur mon épaule, il y a quelques minutes. Il a dansé, il y a quelques minutes. Il m'a dit qu'il a aimé, y'a quelques minutes. Et qu'il en a eu le cœur brisé.

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