Genoux ensanglanté
Une nouvelle journée commence, plus encourageante que la dernière. J'enfile tout ce qui me passe sous la main et vais au lycée, en vélo.
Milo m'attends, de bonne humeur comme d'habitude. Avant lui, j'ignorais qu'un simple sourire pouvait réchauffer un cœur et une âme toute entière.
- Alors, comme hier ? Ou niveau supérieur ? me demande-t-il.
J'ignore ce qu'il appelle "niveau supérieur" mais si je veux récupérer ma Carmen, peut-être faudra-t-il y songer. J'hausse les épaules, le laissant prendre les commandes. On dirait que ce n'est pas son tout premier plan "jalousie", comme nous aimons l'appeler à présent.
Carmen, ses cheveux ondulés attachés en tresses serrées, passe à côté de nous. Elle nous aperçoit et nous adresse un petit sourire.
- Ulysse ? dit-elle, d'une voix légèrement hésitante.
Je la regarde, d'un air à lui demander de poursuivre. Je sens la méfiance de Milo. Il prend cette mission tellement à cœur, il m'amuse.
- Je peux te parler une minute ?
J'accepte, Milo s'éloigne dans la cour. Je suis face à face avec ma meilleure amie. Elle remet déjà pour la troisième fois une mèche derrière son oreille.
- Excuse-moi, m'annonce-t-elle d'un ton presque honteux.
Si je m'attendais à ça. Je fronce les sourcils et penche légèrement la tête, surpris de ces excuses.
- Pour ?
- Hier. Et avant-hier, aussi.
Elle tord ses doigts et je l'arrête, de peur qu'elle se casse tous les os.
- C'est bon, t'en fait pas, dis-je.
Est-ce que ce genre de compromis était prévu dans le plan ?
- J'ignorais que tu t'entendais si bien avec Milo, dit-elle, tout sourire.
- Oh, ouais, on se parle sur FaceBook de temps en temps...
J'ignore si je suis un bon menteur, mais elle semble croire à ma duperie. Je me décide alors à parler du sujet qui fâche.
- Et avec Eddy ? Ça a l'air d'aller.
- Ouais, il est adorable avec moi. Je ne l'imaginais pas comme ça. Mais on a appris à se connaître, tu vois...
Elle semble ravie de discuter de ça avec moi. Pas la peine de préciser que je ne le suis pas spécialement.
Eddy est un profiteur arrogant. Il se croit supérieur juste parce que ses parents roulent en voiture de marque. Et encore, on ne peut même pas le qualifier de riche. Faux-riche, ça existe ?
Je tente un sourire approximatif, qu'elle me rend. Cette discussion aura mit les choses au clair, au moins. Ils s'aiment. C'est horrible à admettre, mais Carmen et Eddy forment un couple. Improbable.
Finalement, nous rentrons ensembles dans l'établissement. Je cherche Milo du regard mais ne le voit pas : il a du déjà se rendre en cours. Nous faisons de même, attendant patiemment devant la porte des vestiaires pour aller en sport.
***
- Plus vite Lawford !
J'ai horreur de cette manie qu'a là professeur de sport à nous appeler par nos noms de famille. J'ai un prénom, merde ! Un joli prénom en plus. Tellement facile à porter.
L'endurance, c'est vraiment un sport que je déteste. "Cours et ne t'arrête pas", en gros c'est ça. Avec cette prof, c'est encore plus désagréable.
Le moindre chuchotement la fait entrer dans une profonde colère. Malgré sa petite taille, je n'oserais pas me confronter à elle.
Le plus incroyable, c'est qu'elle continue de donner ses cours à 7 mois de grossesse. Je tire mon chapeau.
J'accélère donc mon allure, passant devant Eddy au passage. Je suis plutôt rapide, je peux m'en venter. Mais pour tenir la cadence... c'est une autre histoire.
Les tours de terrain s'additionnent, Carmen s'arrête sur le bord (ce qui lui vaut des représailles).
Je continue, une douleur s'installant dans absolument tous les muscles de mon corps.
Les coureurs deviennent de moins en moins nombreux, si bien qu'à la fin, seuls moi et Eddy restons en lisse.
Nous courons au même niveau, sa mâchoire est contractée par l'effort.
J'accélère encore, prenant une avance minime. Il accélère à son tour. Ce petit jeu va encore durer longtemps ?
Je commence à être épuisé, et de plus le soleil tape fort aujourd'hui. Nous courons encore, encore. Je compte deux tours de terrain depuis que nous sommes les dernière à courir. La prof semble ravie.
- Le dernier à courir aura une jolie note sur son bulletin, nous dit-elle lorsque que nous passons à son niveau.
Super. Maintenant ça va être la guerre. On court encore, un tour, deux tour... on dirait que ça ne va jamais se finir. J'ai mal partout, le soleil me donne des vertiges.
Je le vois qui commence à ralentir, je me dis que c'est bon, mais juste à ce moment, je trébuche sur le gravier. Mes jambes ont surement décider de se mettre en veille au moment où j'allais recevoir la meilleur note de ma vie en sport.
Je me mets assis et constate les dégâts. Les genoux en sang, super. Je frotte pour enlever les cailloux collés à ma peau.
Le reste de la classe arrive vers moi, certains grimaçant à la vue du sang s'écoulant sur mes jambes. J'imagine qu'Eddy a gagné.
- Tout va bien ? me demande Mme. Richard.
Je réponds que oui, elle m'aide à me relever. On me tend un mouchoir pour essuyer le plus gros. Ça pourrait être pire.
Les deux heures étant passées, nous rentrons aux vestiaires. Dans ceux-ci, Eddy me dit que je m'en suis bien sorti. Je réponds que lui aussi.
Je récupère quelques pansements au fond de mon sac que je colle avec soin sur mes plaies. Ça me rappelle toutes ces fois où je suis tombé en enlevant les petites roulettes.
À la pause de midi, Carmen va s'assoir avec Eddy. Je comprends qu'elle veuille manger avec son petit-ami, mais de là à m'oublier... je suis légèrement vexé.
Je m'assois donc avec Milo, qui mange en révisant une carte de l'Amérique du Sud. Je l'observe faire. Ses yeux parcourent le papier, l'analysant avec intérêt.
Nous discutons de tout, de rien. J'essaye de ne pas avoir l'air trop différent, mais je ne peux pas m'empêcher de jeter des coups d'œil à la table de Carmen. Elle discute avec Eddy, avec ses amis. Quel supplice.
Elle finit par sortir, accompagnée de sa nouvelle bande. Milo suit mon regard.
- T'inquiètes, le plan tient toujours, me dit-il.
Je souris et termine mon plateau. Nous débarrassons et allons à l'extérieur. Le soleil continue de répandre sa chaleur plus qu'attendue pour un mois d'avril.
Nous nous asseyons au banc près des toilettes et profitons jusqu'à notre prochain cours.
***
Au cours de la semaine, notre plan n'a pas beaucoup avancé. Carmen continue de passer la plupart de son temps avec son amoureux et semble presque m'avoir oublier. Je deviens de plus en plus ami avec Milo. Les maths sont toujours aussi chiants.
Ce matin, en arrivant en cours, je remarque que Carmen n'est pas là. Aucune trace d'elle. Elle n'est pas avec Eddy, pas dans la cour, pas sur notre banc, pas dans les couloirs, nulle part. J'hésite à lui envoyer un message, mais je me résigne.
La journée avance au rythme du soleil et du temps, je ne parviens pas à rester concentré. Je regarde par la fenêtre, je gribouille sur une feuille, je compte les dalles au plafond. Tout est mis en ordre pour que je ne suive aucun cours de la journée. Plusieurs fois, les professeurs me demandent d'être plus attentif.
Les cours sont longs, mais les pauses aussi.
- Tu m'entends ?
La voix de Milo me ramène à la réalité. Nous sommes au self, je lui dis de continuer.
- Oui, et donc... il paraît que la vieille prof de français sort avec un gars plus jeune de 30 ans !
Des discussions banales, en somme. Je me demande parfois si Milo est devenu ma nouvelle Carmen. Ou si Carmen est devenue mon nouveau Milo. Une inconnue.
Quoiqu'il en soit, j'aime cette relation entre lui et moi. On rit, on discute, on se sourit.
Il est beau, ses yeux me transpercent. Je repense à ce baiser sur la joue, et je ressens comme un picotement sur celle-ci. Je repense également à l'éventualité de ce baiser sur les lèvres pour rendre Carmen jalouse, et bizarrement, ça ne me dérangerais pas.
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