Ennemi nº 1

La semaine suivant l'intervention de Milo, je retourne enfin en cours. Je n'irais pas jusqu'à dire que ça m'a manqué, mais presque. Dès l'instant où je franchis les grilles, Carmen se précipite vers moi.

- Ulysse ! Ulysse !

- Du calme, je sais comment je m'appelle...

- Il s'est passé quelque chose de complètement dingue !

Je fronce les sourcils. Carmen semble se retenir de me dire quelque chose depuis un bon bout de temps.

- Je sors avec quelqu'un... dit-elle d'un ton exalté.

J'hausse un sourcil. Elle sautille sur place. Je ne sais pas vraiment comment réagir.

- Félicitations, qui est l'heureux élu ?

- Eddy Miller !

Le temps que mon cerveau assimile... Eddy Miller ? Ce gars est complètement idiot ! Il croit être le centre du monde.

- Quoi, mais... Eddy, tu es sûre ? Ce mec est une plaie !

Elle ne semble pas entendre mes réflexions et continue :

- Eddy Miller, je sais ça a l'air dingue... il m'a laissé un mot dans mon casier, un mot anonyme, me disant de le retrouver au banc près des toilettes à 15h00... quelle surprise ça a été en le voyant ! Il m'a dit qu'il me trouvait belle, intelligente... mais qu'il n'avait jamais osé ! Je n'en reviens pas !

Carmen parle très vite, avec une expression qui ne lui est pas habituelle, une expression qui ressemble à... de l'amour ? Je secoue la tête et la coupe. Toute cette histoire est insensée.

- Attends... t'es en train de m'expliquer que tu sors avec Eddy sur un coup de tête parce qu'il t'a dit que tu étais jolie et intelligente ? Il ne connaît même pas le sens du mot intelligence !

Elle ignore à nouveau ma remarque.

- En effet. Son attention était vraiment adorable. Et si ça ne marche pas entre nous je compte bien couper les ponts. Mais pour l'instant c'est du pur bonheur !

Alors là, je me suis pris la vague en pleine poire. Eddy et Carmen ensembles, mon dieu... que s'est-il passé d'autre durant mon absence ?
Carmen semble être totalement ailleurs, d'ailleurs son bel amant le prince charmant arrive au même moment. Sa peau est basanée, ils feront de beaux enfants métisses. Pouah, quelle horreur. Il ne m'adresse même pas un regard et vient saluer sa dulcinée en embrassant sa main. C'est normal que j'ai envie de vomir alors que je suis censé être guéri ?

- On se voit au self, murmure-t-elle en s'éloignant avec Eddy.

Je reste planté là, décontenancé. Tout ça venait vraiment d'arriver ? Je suis très heureux qu'elle ait trouvé quelqu'un mais, pas lui, pas ce mec... et puis elle s'en va avec lui, comme ça. Peut-être que je suis un peu jaloux... ma Carmen n'est plus entièrement à moi.

La cloche sonne, je me dirige mollement vers mon premier cours. Je n'écoute pas vraiment, observant les amoureux du coin de l'œil. Ils ont l'air d'être fait l'un pour l'autre, ça me rend encore plus mal. Il chuchotent, pouffent en silence. En sortant de chaque cours, ils se tiennent la main. Tout ça est arrivé tellement vite, c'est complètement surréaliste.

La fin de journée arrive rapidement. Je n'ai pas eu d'occasion de parler à Carmen. C'est comme si dès que monsieur Eddy était entré dans sa vie, j'en étais aussitôt sorti. Visiblement, il n'y a qu'une place dans son cœur. Et peut-être que ma place ne tenait pas vraiment, puisque j'ai été remplacé en l'espace de quelques jours.

Milo me rejoint à la sortie des cours. Je me sens un peu plus léger.

- Hé, c'est qui ce mec qui traîne avec ta copine depuis ce matin ? dit-il.

- Son copain. Je crois qu'elle ne m'a rien dit pour me faire la surprise aujourd'hui. Pour une surprise, c'en est une...

Je soupire, qu'elle journée affreuse. Moi qui pensait retrouver ma meilleure amie de toujours, c'est raté. Milo pince ses lèvres.

- Je vois... on va la rendre jalouse.

- Qu'est-ce que tu racontes ? m'étonné-je, les sourcils froncés.

- Si elle est jalouse, elle voudra te récupérer, parce que tu comptes à ces yeux.

- Oui, je compte assez pour avoir été remplacé en deux deux comme une vieille chaussette...

Je ris, plein de sarcasme. Je ne me connaissais pas aussi rancunier.

- Elle se fait des films parce qu'elle a un petit-copain, c'est tout. C'est la lubie au début, crois-moi.

J'hausse alors les épaules, j'espère sincèrement qu'il n'a pas tort.

- Bon... et comment on va la rendre jalouse ?

Il sembla alors réfléchir. J'imagine des petits engrenages s'activer dans sa boîte crânienne. Soudain, l'ampoule (basse consommation évidemment) s'allume au dessus de sa tête.

- On va monopoliser le banc près des toilettes. Tous les deux. Et on parlera, on rigolera bien fort, histoire que tout le monde nous entende. Le banc près des toilettes c'est votre spot, non ?

Il sourit, visiblement fier de son idée. Elle n'est pas mauvaise, pas dangereuse, et plutôt simple. J'accepte sans tarder. On se serre la main pour conclure le pacte.

- Parfait ! dit-il. On commence le plan dès demain. Et si ça ne marche pas, on passera à l'étape 2.

- C'est quoi l'étape 2 ?

- Aucune idée !

Je ris un peu et il s'éloigne de l'autre côté, vers le centre-ville. Quant à moi, je récupère mon vélo accroché devant le lycée. Je préfère des fois venir en vélo, le bus me donne envie de vomir dès le matin, pas top comme début de journée.

Arrivé devant chez moi, je m'arrête et pousse mon vélo jusqu'au garage. J'entre et salue la maisonnée en parlant assez fort. Je me débarrasse et débarque dans le salon. Calypso fait ses devoirs, papa corrige des copies. Celle qu'il tient entre les mains contient une quantité impressionnante de stylo rouge.

Ils me répondent tous les deux vaguement, trop impliqués dans leur travail respectif.

Je monte dans ma chambre et sort mes propres devoirs. Ils se font de moins en moins nombreux à mesure que les grandes vacances arrivent.
Je réponds rapidement à des questions en biologie, avant de faire des recherches pour un projet en espagnol. Projet que j'étais censé faire avec Carmen. Je n'ai pas vraiment envie de lui parler, c'est vraiment la mierda.

Je trouve ça vraiment bizarre qu'Eddy s'intéresse à Carmen. Pas que Carmen ne puisse pas être appréciée, loin de là... c'est juste que je n'aurais jamais fait aucun rapprochement entre eux. Je ne sais pas quoi penser. Milo a peut-être raison, peut-être que le début d'une relation possède toujours ce feu d'artifice indescriptible en nous. Et Carmen m'a dit que si ça n'allait pas, elle ne continuerais pas. En outre, je n'ai aucune raison de m'inquiéter.

Mais je m'inquiète quand même, parce qu'elle est ma meilleure amie. Je ne supporte pas qu'elle ait des sentiments pour ce lourdeau.

Un long soupire sort naturellement et je me laisse tomber sur mon cher lit, lui qui est là en toute situation. Dure reprise. Je me tourne sur le côté, vers ma fenêtre. Je jette rageusement mon coussin contre celle-ci avant de me lever en furie. À cet instant, tout ce qui me passe sous la main est susceptible de se retrouver en miettes, dans la limite de ma force physique quasi inexistante.

Je me reprend et souffle un bon coup. Je suis jaloux. Tellement jaloux.
Je suis pourtant très loin d'être amoureux de Carmen, et c'est sincère. Je ne peux pas m'empêcher de croire qu'il finira par faire quelque chose qui la rendra triste.

Je me calme et vais dans la salle de bain. Je fais couler l'eau, de l'eau gelée pour me remettre les idées en place. Lorsque je plonge dans l'eau, je me retiens de grelotter. Ça c'est sûr, mes idées sont claires maintenant. Nous allons mettre le plan "jalousie retournée" en marche.

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