Chapitre 2 : Éloignement - Partie 2

Son réveil le tira d'un semi-sommeil agité et trop court. Il ignora les courbatures agonisantes et se traîna vers la douche. L'eau froide acheva de le réveiller. Il enfila de nouveaux vêtements, puis descendit pour enfiler son armure de nouveau. Il lutta contre l'envie de fuir. Mais il ne le pouvait plus. Son destin était entre les mains d'Asgore, et arriver en retard pourrait bien accélérer sa décision. Il soupira.

Sans était déjà sorti pour prendre son tour de garde. Il était seul. D'un pas lent, et avec l'impression d'aller à l'abattoir, le squelette emprunta le bâteau pour arriver à temps au palais. Il descendit à la frontière des Hotlands et se dirigea à grand pas vers l'ascenseur, saluant d'un signe de tête les quelques gardes royaux en faction qui s'écartèrent pour le laisser passer.

Une fois les portes fermées, il ferma les yeux quelques instants et fit le vide dans son esprit. Les émotions, les pensées, les remarques, tout devait partir. Asgore ne tolérait aucune faiblesse, aucun état d'âme, aucune contestation. Approuver, toujours approuver pour ne jamais le contrarier. Il prit une grande inspiration et sortit. L'ascenseur menait directement à l'entrée du palais royal. Il était trop tard pour reculer à présent.

— Sois brave, s'encouragea-t-il. Sans a peut-être raison. Il n'a rien vu. Il n'a rien vu. Il n'a rien vu.

Le squelette avança d'un pas militaire vers la porte et l'ouvrit. Il se figea net face à la scène inattendue qui se jouait devant lui. Il cligna plusieurs fois des yeux, comme pour s'assurer que c'était bien réel.

Undyne était là, en armure intégrale, dans les bras immenses d'Asgore, et embrassait le roi des monstres à pleine bouche. Il en fut immédiatement déstabilisé, entre horreur et incompréhension. C'était impossible ! Tout simplement impossible, il n'arrivait pas à y croire !

Undyne détestait Asgore. Elle le détestait de toute son âme et elle ne l'avait jamais caché. Quelle était cette sorcellerie ?! Elle ne pouvait pas juste avoir retourné sa veste d'un seul coup ? Il n'arrivait pas à comprendre. Était-ce un autre de ses plans pour tenter de s'en prendre au roi ? Ou avait-elle vraiment succombé au monarque à ce point sans qu'il ne s'en soit rendu compte ?

Terriblement mal à l'aise, il ne put rien faire d'autre que regarder jusqu'à ce que le roi la relâche. Undyne tressaillit lorsqu'elle remarqua la présence du squelette. Bouche bée, Papyrus tenta de croiser son regard, mais elle n'osait pas relever les yeux.

— Tu peux partir, gronda la voix d'Asgore. Nous nous reverrons demain pour le rapport du mois, n'est-ce pas ?

— Oui, votre Majesté, répondit-elle dans un souffle.

Elle prit le couloir en sens inverse. Le squelette voulut l'arrêter, lui hurler d'attendre et de lui expliquer, mais elle ne lui accorda pas un regard et quitta la pièce sans un mot de plus.

— Ah, Papyrus. Avance.

Le squelette sursauta lorsque la voix grave s'adressa à lui. Il ravala tant bien que mal le choc de ce à quoi il venait d'assister et s'approcha. Arrivé au pied du roi, il se mit à genou et s'inclina, comme l'exigeait le protocole.

Asgore était terrifiant. Gigantesque, il dépassait le squelette facilement de deux ou trois têtes, et était au moins trois fois plus large que lui. Ses mains, aussi grandes que son crâne, pouvaient briser le moindre de ses os sans la moindre difficulté. Son visage sévère, surmonté de deux immenses cornes, lui valait d'être craint et respecté.

— Repos, capitaine.

Papyrus se releva et plaça ses mains derrière son dos, silencieux. Le roi l'inspecta d'un regard sombre et vicieux. Il ne bougea pas d'un poil, malgré cette impression tenace de n'être qu'une souris entre les pattes d'un gigantesque chat affamé. L'heure de vérité était arrivée.

Lentement, Asgore retourna s'asseoir sur son trône, toujours yeux dans les yeux avec lui. Le squelette ne baissa pas le regard. Asgore détestait quand ses pions montraient qu'ils avaient peur.

— Je souhaitais m'entretenir avec toi pour discuter de ton travail. Je suis impressionné, capitaine. En quelques années de service, Snowdin est de nouveau docile et tes méthodes de commandement sont si populaires qu'elles ont commencé à être appliquées ailleurs dans les Souterrains. Je savais que je misais sur le bon cheval quand je t'ai choisi.

Papyrus serra les poings. C'était faux. Il ne l'avait choisi uniquement parce que tuer toute sa promotion aurait fait parler de lui négativement et que le grand roi Asgore ne pouvait risquer une rébellion des familles des victimes. Il n'avait pas été choisi pour ses capacités et avait dû improviser pendant longtemps avant qu'Undyne ne le prenne sous son aile pour le former de manière plus effective.

Il méprisait le roi plus que n'importe quel monstre dans les Souterrains. Sournois, foncièrement mauvais et capable de retourner sa veste à la moindre contrariété, il était à l'opposé de toutes ses valeurs. Papyrus ne devrait déjà plus être en vie. Il représentait tout ce que le roi détestait : une trop grande liberté dans les prises de décision, capable d'empathie selon les situations et loin d'être infaillible comme pouvait l'être Undyne, qui préférerait mourir que d'avouer qu'elle avait des problèmes. Et pourtant, il était là, à son nez et à sa barbe, le défiant simplement par son existence.

— J'aimerais te proposer la place de général.

Papyrus écarquilla les yeux, sous le choc. La fonction de général n'était plus pourvue depuis quelques mois, le précédent ayant été tué par un groupe de rebelles que le squelette et Undyne traquaient toujours aujourd'hui. Mais... Cette place était censée revenir à Undyne, pas à lui, et il se sentit subitement mal à l'aise face à cette proposition indécente. Prendre le poste ne le gênait pas, bien au contraire, il lui permettrait de rapporter plus d'argent à la maison et de garantir pour de bon la protection de son frère, mais il avait l'impression de trahir Undyne.

C'était stupide, il le savait. Il fallait être fou ou suicidaire pour refuser l'offre d'Asgore, et il savait que ce n'était pas vraiment un choix de toute manière. Mais il ne comprenait pas. Undyne était plus forte que lui, aussi bien au niveau physique que pour son palmarès de chasse impressionnant. Papyrus ne se l'avouerait jamais, bien sûr, pourtant, c'était bien de l'admiration qu'il ressentait à son égard et... Autre chose. Ils passaient tellement de temps ensemble, avaient survécu à des tempêtes que certaines personnes ne pourraient jamais imaginer, qu'ils avaient fini par se rapprocher avec le temps.

Au point de devenir amis ? Non, c'était ridicule. L'amitié n'existait pas dans les Souterrains. Alliés, en revanche, très certainement.

Après avoir fait ses preuves sous le commandement d'Undyne, devenir son supérieur hiérarchique sonnait faux.

— Eh bien, tu ne dis rien ? demanda le roi, légèrement surprise par son manque de réaction.

— Oh ! Ce serait un grand honneur, votre Majesté, répondit-il de manière automatique. Je ferai tout mon possible pour ne pas vous décevoir.

Il avait des centaines de questions à l'esprit, mais il savait qu'aucune d'elle ne trouverait de réponses, ou pire, se retournerait contre lui. Alors il se tut et se résigna à son sort. Que pouvait-il bien faire d'autre de toute manière ?

— Tu as tout intérêt à ne pas me décevoir, confirma Asgore d'une voix menaçante. Tu seras bientôt le monstre que chacun jalousera dans les Souterrains, l'un de mes plus proches conseillers. Un intouchable. Mais si j'apprends que tu as fauté ou abusé de ton pouvoir, n'oublie pas que le peuple sera le premier à applaudir lorsque ta tête sautera sur l'échafaud. Il n'y aura pas de secret l'un pour l'autre, est-ce clair ? Je déteste les mauvaises surprises.

Papyrus déglutit discrètement. Si Asgore apprenait pour Frisk, personne ne pourrait le sauver. En revanche, il pourrait se sacrifier pour permettre aux autres de gagner assez de temps pour fuir si les choses tournaient mal.

— Bien sûr, votre Majesté, répondit-il d'une voix contrôlée. Je n'oserai jamais trahir la foi que vous avez placé en moi.

— Bien. Très bien. Ton rôle t'ouvre également de nouveau droit, dont celui de tuer à vue tout monstre qui te manque de respect. Je ne veux plus seulement que les gens te craignent, mais qu'ils soient terrifiés à la simple mention de ton nom. Tu es la figure de la justice de ses Souterrains, tu as le droit de vie et de mort sur tout ce qui se trouve sous toi. Tu devras aussi nommer un nouveau capitaine pour Snowdin, d'ici la semaine prochaine. Tu te rendras compte bien vite que ton emploi du temps va se remplir rapidement.

Papyrus hocha la tête. Il voulait en terminer avec cette rencontre au plus vite.

— J'enverrai chez toi ta nouvelle armure et quelques dossiers que le précédent général a laissé en attente. Nous nous verrons à présent chaque fin de semaine, et j'attends un rapport complet de la situation des Souterrains. Quant à l'annonce de ton nouveau rang, elle se fera demain à la télévision. Je te conseille de ne dormir que d'un œil. Nous savons tous les deux que jusqu'à ce que tu fasses tes preuves, tu vas devenir la cible de milliers de petits tueurs à la sauvette. Je veux voir leur sang couler dans les rues. Rends-moi fier.

— Je ne vous décevrai pas, votre Majesté.

Le roi hocha la tête et lui offrit un sourire, avant de pointer la porte. Papyrus quitta la pièce à grands pas, le cœur battant la chamade. Il avait négligé ce détail. D'ici quelques heures, et une fois la localisation de sa maison dévoilée aux yeux de tous, de nombreuses personnes viendraient tenter leur chance pour le détruire avant qu'il ne gagne trop de pouvoirs et vienne compliquer leurs petites magouilles.

Il devait évacuer Sans, le plus vite possible.  

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