Chapitre 7 : L'originel (5/5) [V2]
— Lève-toi, lui ordonna Cula.
Son esclave obéit puis se tint immobile, les bras ballants, un regard vide tourné vers la foule de vampires.
Un grondement sourd commença alors à se répandre dans la salle. D'abord inaudible, il gagna peu à peu en force. Des voix. Celles de tout l'auditoire qui scandait de concert un mot. Un seul.
— Sânge ! Sânge ! Sânge !
Katrina tourna la tête vers Raymond, catastrophée, et vit ses lèvres bouger au rythme de la clameur. Ses yeux, brillants de larmes de joie, fixaient intensément Cula, le visage barré d'un sourire plein d'espoir.
Elle baissa donc le regard et un pincement sur la peau nue de son épaule lui apprit que Phil venait d'y enfoncer ses griffes. Elle sentit ses tremblements contre son cou. La fascination avait disparu de son petit corps, remplacée par le malaise et la peur. Peut-être réagissait-il simplement à la contrariété de son perchoir. Il avait été chauve-souris pendant si longtemps que les instincts de l'animal avaient dû supplanter ceux de l'homme. Mais il n'était pas tout à fait stupide non plus, sans doute avait-il compris que les intentions de ce groupe étaient loin d'être louables. Leurs méthodes encore moins.
Sânge. Quoi que ce mot signifie pour eux, il ne faisait que confirmer le lien de ce groupe aux meurtres en série qui ensanglantaient Prémices.
Te-am găsit. NR.
Katrina leva la tête vers l'estrade. Dans les yeux de Cula qui balayaient à présent la foule, un air de général en pleine contemplation de ses troupes sur le visage, elle décela une autre émotion. Celle qu'elle lui avait connue il y avait de cela deux ans : une haine abismale.
Elle ne le laisserait pas se jouer d'elle. Jamais.
***
Le retour s'effectua dans le silence le plus total. Les voitures avaient déserté les rues et ils volèrent d'une traite jusqu'à leur immeuble. Arrivée dans le hall, Katrina récupéra ses vêtements et les enfila rapidement.
— Dis-nous, Raymond, qu'est-ce que c'était que cette petite sauterie ? demanda enfin Phil.
— Ce n'était pas évident ? répondit l'intéressé en terminant de boutonner sa chemise.
— Bah... Ça avait tout l'air d'un drôle de mélange entre réunion révolutionnaire et rassemblement de boys band satanique. Mais puisque Kat souffre d'un étrange mutisme, je vais poser la question pour elle : pourquoi nous y avoir emmenés ?
Katrina tendit une oreille. L'autre partie de son cerveau réfléchissait toujours à ce qu'elle venait de voir et aux conséquences que cela aurait sur sa vie quotidienne. Rien si elle faisait profil bas. Du moins l'espérait-elle.
Raymond resta silencieux un moment. Puis il soupira et se lança :
— Le but de la réunion était de rassembler un maximum de personnes susceptibles d'être intéressées par les idéaux du groupe.
— Donc tu as emmené Kat, avec qui tu te prends la tête tous les soirs à propos de ces mêmes idéaux... C'est tellement logique, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?
La vampire se retourna à moitié pour observer discrètement la scène. Raymond se tenait devant la porte fermée, tête baissée. La joie et l'excitation qu'elle lui avait découvertes quelques instants plus tôt dans cette salle de classe s'étaient dissipées, remplacées par la préoccupation et une profonde tristesse. C'était la première fois qu'elle le voyait ainsi, tourmenté et fatigué.
Il tourna la tête et leurs regards se croisèrent. Derrière son tourment, elle aperçut une pointe de supplication qui acheva de la surprendre. Décidément, quelque chose clochait cette nuit-là. Mais elle n'avait ni le temps ni l'envie de s'interroger sur la question.
— Katrina, j'ignore qui a créé ta lignée, mais tu me donnes l'impression d'être forte. Très forte. Bien plus que moi, physiquement et mentalement. Je t'en supplie, aide-moi. Aide-nous. Je veux offrir une vie meilleure à Isabella, Fiona et Nolan. Je veux qu'ils soient heureux et libres. S'il te plaît.
La vampire aurait voulu lui hurler de s'occuper de sa famille tout seul, qu'il se passait des choses autrement plus graves que ce qu'il pouvait s'imaginer et qu'actuellement, elle n'en avait rien à faire d'une femme et de deux gosses.
Pourtant, les mots restèrent coincés dans sa gorge. À quoi bon ? Lui balancer sa frustration et sa haine à la figure y changerait-il quoi que ce soit ?
— Non, finit-elle par répondre, simplement.
Raymond parut surpris. Ses lèvres tremblèrent, comme si de trop nombreux mots s'y bousculaient. Il ferma les yeux et expira profondément. Quand il rouvrit les paupières, son visage était barré d'un sourire las.
— Je m'en doutais. Tu n'es pas du genre à te soucier des autres, du moment que ta petite vie tranquille est préservée. J'espérais que voir le comte Dracula sortir de son isolement pour nous venir en aide te convaincrait... J'étais bien naïf.
Katrina l'ignora et se mit à gravir les escaliers vers son appartement. Phil la rejoignit de quelques battements d'ailes et vint se poser sur son épaule.
— Le tact, Kat. Le tact, soupira-t-il.
Elle ne répondit pas davantage. Elle avait déjà eu la décence de ne pas balancer ses quatre vérités au visage de Raymond, il ne voulait pas non plus qu'elle s'excuse d'avoir refusé sa demande à la con ?
Katrina fulminait encore quand elle atteignit le palier du dix-neuvième étage. Elle se figea. Raymond, encore plongé dans ses pensées, la heurta de plein fouet.
— C'est quoi, ce truc ? demanda Phil.
Il vola jusqu'à la masse étendue devant la porte de leur appartement et se posa sur la couverture bleu électrique qui la recouvrait de la tête aux pieds. Pieds chaussés de mocassins noirs usés.
La vampire grogna, s'avança et donna un petit coup dans les semelles qui dépassaient.
— Réveille-toi, gros tas. Qu'est-ce que tu fous devant chez moi ?
La couverture se rabattit aussitôt et Phil se retrouva par terre. Dans le même mouvement, l'homme dans la fleur de l'âge qui dormait en dessous se redressa en position assise, un grand sourire sur les lèvres. Il dirigea des yeux encore aux trois-quarts fermés par la fatigue vers Katrina et s'exclama :
— Bonsoir, Cat ! Tu avais oublié de me donner ta nouvelle adresse !
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