Chapitre 6 : L'escalade (2/6) [V2]

Lorsque Katrina, Mikaël et Phil (qui avait finalement décidé de changer de tringle à rideaux pour la journée et avait migré dans celle de la chambre) débarquèrent dans le salon le lendemain soir, l'origine des cris qui les avaient tirés du sommeil leur apparut tout de suite clairement.

Sur la télévision, un homme grisonnant à la calvitie marquée que Katrina se souvenait avoir déjà vu quelque part s'adressait solennellement aux caméras, sous-titres en bas de l'écran et interprète en langue des signes derrière lui.

Je tiens à rassurer nos concitoyens vampiriques de notre plus total soutien en ces temps difficiles. Malheureusement, de telles mesures sont nécessaires afin de faire retomber les tensions grandissantes au sein de notre population. Citoyens, citoyennes, un ou plusieurs meurtriers courent actuellement les rues, il en va de notre devoir de nous unir contre cette menace. Bon courage à nous tous, soyons prudents.

L'homme arrangea ses papiers tandis que le commentateur reprenait la parole. Raymond semblait cependant peu intéressé par ce que celui-ci avait à dire.

— C'est une honte ! s'égosilla-t-il. « Nous unir contre cette menace commune » ? Nous seuls sommes concernés par ces restrictions ! Et le gouvernement se dit conservateur ? Ils font le jeu du parti protectionniste !

Isabella, assise à côté de lui dans le canapé, tendit une main apaisante vers son épaule.

— Que se passe-t-il ? s'enquit poliment Mikaël.

Katrina, déjà devant le réfrigérateur pour y récupérer une bière, suivait la conversation d'une oreille distraite. Elle comprenait que l'homme à la télévision s'était exprimé sur les meurtres en série, mais elle ne voyait pas quelles « mesures » avaient bien pu être mises en place pour régler le problème. Un emprisonnement de tous les vampires ? Elle doutait sérieusement que la Prison Pourpre, seul centre de détention qui leur était destiné à Prémices, soit assez spacieuse pour tous les accueillir. L'attribution à chacun d'eux d'un toutou de garde personnel ? Son regard s'arrêta sur le sien. Mikaël n'avait pas l'air plus au fait qu'elle.

— Le gouvernement a instauré un couvre-feu pour tous les vampires à partir de vingt heures, ragea Raymond.

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? Tu es couché à vingt et une heures... ricana Katrina.

Le vampire la fixa d'un œil assassin. Elle arbora en retour son plus beau sourire effronté. Pourtant, au fond d'elle, l'humeur n'était ni à la plaisanterie, ni à la joie. Pour elle qui vivait la nuit, savoir qu'elle n'était plus autorisée à poser le pied dehors pendant ses heures d'éveil était un coup dur. Sans parler du côté logistique de la chose : comment se réapprovisionnerait-elle en bières ?

— Le problème n'est pas de savoir si je suis confiné chez moi à partir d'une certaine heure. Le problème, c'est que seuls les vampires sont concernés. Pourtant, les informations parlent d'imitateurs ! Qui nous dit que des humains ne profitent pas de la situation pour satisfaire leurs pulsions meurtrières primaires ?

Katrina aperçut du coin de l'œil le regard renfrogné de Mikaël. Ce dernier n'avait pas l'air d'avoir apprécié cette remarque, mais il garda le silence. Elle-même ne releva pas l'insistance avec laquelle Raymond avait prononcé les mots « chez moi ». Ses yeux étaient fixés sur le petit avion en plastique rouge que Nolan baladait dans la pièce à toute allure. D'où sortait l'objet ?

Un bruit de papier attira ensuite son attention. Fiona, assise silencieusement dans son fauteuil habituel, tournait doucement les pages d'un livre d'images, l'air fasciné. Un livre ? Chez elle ?

La vampire en oublia temporairement ses préoccupations et observa tour à tour l'avion en plastique et le livre. Isabella remarqua ses sourcils froncés et expliqua rapidement :

— Je les ai trouvés dans la rue...

Sous-entendu dans une poubelle ? Il manquait en effet une aile au jouet en plastique et les feuilles qu'observait Fiona étaient jaunies, froissées et déchirées par endroit.

— Ces mesures ne sont que temporaires, essaya de tempérer Mikaël. Le gouvernement ne les maintiendra pas plus que de raison...

— Tant que les Égalitaristes auront la majorité, peut-être, mais les élections législatives approchent et les sondages donnent clairement les Protectionnistes vainqueurs. Ces gens sont loin de porter les vampires dans leur cœur... S'ils remportent les élections, qui nous dit que ces mesures ne sont pas les premières d'une longue série ?

— Nous sommes quand même plus en sécurité qu'à l'extérieur de Prémices, lui fit remarquer Isabella d'une voix douce. Nous venons à peine d'arriver, satisfaisons-nous de ce que nous avons.

Raymond lui adressa un regard noir.

— Ce n'est pas parce que nous sommes nouveaux ici que nous ne pouvons pas avoir d'opinion. Nous sommes des citoyens comme les autres et devrions être traités comme tels.

— Vous croyez que les vampires changés perpétuellement en chauves-souris sont concernés ? s'enquit alors Phil.

Personne ne sembla noter son intervention. Katrina décida enfin qu'elle ne comprenait rien à ce charabia politique et laissa tomber. Elle ouvrit la porte du réfrigérateur pour y prendre une bière, histoire de se remonter le moral et de commencer la soirée sur une meilleure note. Elle marqua alors une pause et recompta. Quatre canettes.

— Eh, il me restait cinq bières, ce matin ! protesta-t-elle.

Son regard se posa aussitôt sur Raymond, puis sur la table basse où le récipient métallique manquant siégeait bien en évidence, languette ouverte.

— Tu seras ravie d'apprendre que j'ai trouvé du travail, annonça le vampire sans même lui faire face. Je me disais que nous pourrions fêter ça. Tu m'excuseras, je ne t'ai pas attendue.

Katrina fulminait. Elle observa la canette qu'elle tenait à la main. Elle s'entraînait régulièrement avec Phil et se pensait suffisamment précise au tir pour la balancer à la tête de Raymond sans toucher la télévision derrière lui. Elle croisa alors les yeux désolés d'Isabella, aperçut Fiona qui se recroquevillait dans son fauteuil et desserra sa prise sur la bière.

Il ne lui en restait que quatre. Avec ce couvre-feu, il était hors de question de gaspiller une canette en la faisant exploser. Au lieu de râler, Raymond aurait plutôt dû être reconnaissant envers le gouvernement qui venait de lui sauver le crâne.

Elle ouvrit sa bière et la porta à ses lèvres d'un geste rageur. C'est alors que quelque chose heurta violemment ses jambes. Elle serra le poing par réflexe et sa bière lui jaillit au visage.

Katrina baissa des yeux assassins sur le mini-vampire qui se remettait déjà debout, trempé de la tête aux pieds, et reprenait sa course.

Lui, en revanche, venait de signer son arrêt de mort...

— Nolan ! le gronda sa mère d'une voix aussi énervée qu'épuisée. Je suis navrée, Katrina...

Elle bondit sur ses pieds, attrapa le gosse que ses trottinements avaient malencontreusement menés devant elle et s'éclipsa avec lui dans la salle de bain dans un concert de cris assourdissants.

Katrina arrêta de démolir du regard la porte derrière laquelle le petit avait disparu avant de jeter rageusement sa canette vide et tordue à la poubelle. Bouillonnante de colère, elle ouvrit violemment le robinet de l'évier pour rincer l'alcool qui dégoulinait de son menton. Et se retrouva avec la poignée dans la main.

Merde... pesta-t-elle en observant l'eau ruisseler abondamment dans le bac en étain, le seul moyen qu'elle connaissait pour l'arrêter confortablement logé dans sa paume.

Merde...

Paniquée, elle essaya de remettre la poignée à sa place, sans succès. Elle saisit alors le bec et le tordit jusqu'à ce que la cascade cesse.

Elle observa la nouvelle sculpture art-déco qui ornait l'évier de la cuisine.

Merde...

Son regard se tourna brièvement vers Mikaël et Raymond qui discutaient encore des nouvelles mesures prises par le gouvernement. Ils n'avaient pas l'air d'avoir remarqué quoi que ce soit. Peut-être auraient-ils réussi à réparer le robinet si elle le leur avait demandé. Elle n'y avait même pas pensé.

Elle s'imagina quelques secondes plus tôt, fébrile, hurler aux deux hommes d'intervenir. Cette scène lui tira une moue dégoutée. Ses yeux se posèrent sur le bec tordu et sec du robinet. Elle l'avait endiguée toute seule, cette fuite. Inutile de faire appel à ces deux squatteurs.

À cet instant, Isabella sortit de la salle de bain en poussant Nolan devant elle, tout propre et changé. Katrina se dirigea donc à son tour vers la douche pour y réaliser le brin de toilette avorté par sa force un peu trop monstrueuse.

Elle croisa ce faisant Mikaël qui commençait déjà à discuter dîner avec la mère de famille en prenant la direction de la cuisine.

Elle pressa le pas.

— Euh... Que s'est-il passé, ici ? Katrina ? l'appela le jeune homme tandis qu'elle fermait rapidement la porte derrière elle.

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