Chapitre 5 : Les réfugiés (3/4) [V2]

Katrina fut entraînée par Mikaël dans les avenues noires de monde jusqu'à une zone un peu moins fréquentée. Elle ignorait ce qu'ils venaient faire dans ce quartier mais n'en avait cure. Elle se revoyait empoigner Simon, le soulever, l'étrangler... Elle s'imaginait approcher ses crocs de son cou, les y enfoncer et s'abreuver de son sang. La pulsion avait été si puissante qu'un goût métallique fantôme était apparu dans sa bouche. Il s'y trouvait toujours. D'abord source d'une étrange extase mêlée de dégoût, c'était désormais cet unique sentiment qui dominait ses pensées.

Katrina n'était pas une tueuse. Elle ne le deviendrait jamais. Elle se l'était promis. Et elle avait failli manquer à sa parole sur un simple coup de colère. Si seulement ces réfugiés n'avaient pas posé leurs valises chez elle... Le souvenir de leur arrivée se raviva alors dans sa mémoire et le désespoir l'envahit : la petite vie calme, tranquille et solitaire qu'elle avait construite au cours de ces derniers mois était terminée. Elle devrait désormais partager le peu d'espace qui était le sien avec quatre personnes dont elle ne savait rien.

Cinq. Katrina concentra ses sens sur sa paume, en contact avec la peau douce et chaude de Mikaël.

Le jeune homme ne lui était plus vraiment étranger. Elle savait qu'il était idéaliste comme son ancêtre, un peu collant et têtu, aussi, que son but dans la vie était d'aider naïvement son prochain, qu'il était doué en cuisine et qu'il savait occuper Phil quand elle ne voulait pas être dérangée. Et puis...

C'était tout. Avait-il une famille ? Des amis ? Les Lhom occupaient encore des positions importantes dans le gouvernement, Mikaël devait donc avoir un parent, un oncle ou un cousin impliqué dans la politique. Un frère, peut-être ? Elle ignorait s'il était fils unique ou non... Quant aux amis, obsédé comme l'était le jeune homme par son devoir de justicier, elle doutait sérieusement qu'il en ait beaucoup, si ce n'était un seul. Elle n'avait jamais pris la peine de demander.

Un inconnu de plus dans sa vie. Un inconnu qu'elle laissait à présent la traîner à travers les rues de Prémices. La raison de leur présence dans cette avenue lui échappait certes, mais le calme de l'endroit, malgré la puanteur des égouts et la saleté de la voirie, l'apaisa peu à peu.

Au détour d'un carrefour, ils se retrouvèrent seuls sur le trottoir. Enfin, Mikaël sortit de son silence. Il commença par un soupir, rendu à peine perceptible par le bruit d'une voiture qui les dépassait à ce moment-là.

— J'essaye vraiment de comprendre, mais... Je n'y arrive pas. Tu vas devoir m'expliquer, Katrina.

— T'expliquer quoi ?

Sa propre voix lui parut rauque et lointaine. Elle voulut déglutir pour lui rendre un peu de naturel, pour retrouver sa verve habituelle, pour redevenir elle-même. Cependant, sa bouche était désespérément sèche.

— Tout ! Toi ! J'ai envie de croire que tu es quelqu'un de bien, que je n'ai rien à faire à tes côtés, à te surveiller. Mais c'est déjà la deuxième fois que je te vois manquer de tuer quelqu'un. En une semaine. Pour des broutilles !

— Ce n'étaient pas des broutilles, il n'a pas tenu parole.

Le goût amer qui demeurait dans sa bouche se rappela à elle sur ces mots. Tenir parole ? Était-elle bien placée pour se plaindre alors qu'elle avait failli arracher la gorge d'un être humain ?

— Tu as demandé à cet homme de mettre une famille entière à la rue ! Une famille avec deux enfants !

Katrina resta silencieuse. Elle n'avait pas dit à Simon de mettre les nouveaux venus à la rue... Enfin, pas tout à fait... Enfin, si, peut-être. Sans doute. Et donc ? Ils étaient à Prémices, désormais, les chasseurs ne les y traqueraient pas. Ils étaient saufs. Elle voulait simplement retrouver son quotidien, sa tranquillité, sa solitude. Cohabiter avec d'autres la fatiguait... La désespérait, même. Qu'y avait-il de mal à vouloir vivre sa vie comme elle l'entendait, avec le moins de contacts, humains comme vampiriques, possible ?

— J'espère que ton silence est un signe de réflexion, marmonna-t-il. Parce que j'attends une réponse digne de ce nom.

Il n'en obtiendrait pas. Katrina savait qu'il n'accepterait jamais les pensées qui lui traversaient l'esprit en cet instant. Ils vivaient dans deux mondes bien distincts, leurs repères comme leurs priorités divergeaient. Mikaël plaçait les autres au même niveau que lui, voire au-dessus. Cependant, depuis toujours, elle ne s'était jamais vraiment souciée de qui que soit d'autre qu'elle-même.

Le silence que Mikaël laissa s'installer en attendant qu'elle prenne la parole s'alourdit. C'est d'une voix énervée qu'il le brisa finalement au bout de quelques minutes.

— Tu ne veux rien me dire ? Très bien. Nous n'avons aucun lien qui puisse justifier que tu te confies ainsi à moi, j'accepte donc ton silence. En revanche, j'exige que tu répondes à ce qui suit.

Il s'arrêta, lui lâcha la main et la regarda droit dans les yeux.

— Que comptais-tu faire à cet homme, exactement ?

Katrina dut user de toute sa force mentale pour ne pas détourner le regard. Si Mikaël, et la police à travers lui, la soupçonnait d'avoir failli boire le sang de Simon, elle avait une assez bonne idée de ce qui risquait de lui arriver. Or, avoir des forces de l'ordre désireuses de l'éliminer aux trousses n'était pas compatible avec l'idée qu'elle se faisait d'une petite vie tranquille à Prémices.

— Je ne voulais pas le tuer, si c'est ce que tu te demandes.

Les sourcils froncés du jeune homme lui firent comprendre qu'il avait du mal à la croire.

Katrina marqua un temps d'arrêt sur le visage de son interlocuteur, et plus particulièrement sur son teint, pâle... L'avait-il toujours été à ce point ? Peut-être était-ce la luminosité qui lui donnait cette impression...

— Je ne voulais pas le tuer, répéta-t-elle en fixant les yeux sur un point au niveau de son épaule. Pas au début, en tout cas. Ensuite, je l'avoue, j'ai un peu perdu les pédales et je l'aurais bien étranglé.

Aucun changement chez Mikaël, il n'était toujours pas convaincu. Au diable sa fierté, donc, elle prononça les mots qui brûlaient dans un petit coin de sa tête depuis qu'ils avaient quitté le Centre Local du Logement :

— Merci d'être intervenu.

Son malaise se changea aussitôt en embarras. Elle détourna légèrement la tête pour tenter de masquer le sang qui n'avait pas manqué d'affluer à ses joues. Se placer en position de vulnérabilité la révulsait, mais si cela pouvait lui permettre d'échapper à une arrestation et, surtout, à une peine de mort, soit.

La méfiance se lisait toujours sur les traits du jeune homme, mais celui-ci sembla se détendre un peu.

— Si tu le dis... grommela Mikaël.

Il fit quelques pas puis s'arrêta à nouveau.

— Au fait, on est loin de chez toi, là ?

Katrina le regarda avec étonnement. Son teint était maintenant blafard et d'énormes gouttes de sueur perlaient de son front. Il se tenait légèrement plié, une main pressée contre son torse.

— Je crois que j'ai une côte ou deux de cassées... grommela-t-il dans un souffle.

La vampire retint un sourire partagé entre la honte et l'amusement, se retourna et reprit la route vers son appartement.

— Fragile... ricana-t-elle à mi-voix.

Mikaël répondit par un gémissement contrarié.

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