Chapitre 5 : Les réfugiés (2/4) [V2]

** NOTE DE L'AUTEURE : cette partie contient des scènes de violence physique (à caractère non sexuel) **

Trois heures plus tard, Katrina regardait le père, la mère, la fille de six ou sept ans et le fils qui ne devait pas en avoir trois déposer leurs quelques possessions devant sa porte. Dans son appartement.

— Aucune chance, hein ?

Elle ravala toutes les réponses acerbes qui se bousculaient derrière ses lèvres serrées. Il y avait plus urgent à gérer : ces intrus devant elle. Ils venaient très vraisemblablement d'un endroit non pourvu de douches, à en juger par l'odeur. Sans compter leur dégaine négligée de clochards.

Il était pourtant impossible qu'ils se trouvent ici. Son appartement était hors limite, elle y avait veillé. Peut-être ne savaient-ils pas lire... Avaient-ils frappé à une porte au hasard ? Elle finit par calmer les questions qui se pressaient dans son esprit et s'avança vers les réfugiés. Le petit garçon lui passa devant telle une fusée et se mit à courir autour du canapé.

— Il y a erreur, vous n'avez rien à faire ici, reprenez vos affaires et dégagez ! s'écria-t-elle.

Ses yeux ne quittaient pas le môme turbulent qui s'approchait un peu trop de ses consoles.

— Euh... Nous nous trouvons bien dans l'appartement quatre cent dix au quatre, avenue du Président Lhom ? récita la femme. Un agent du Centre Local du Logement nous a indiqué le chemin, il nous a donné cette carte...

Katrina lui arracha le papier des mains. C'était bien son adresse qui s'y trouvait. Elle balança le carton dans un coin de la pièce d'un geste où se mêlaient rage et incompréhension.

— Arrête de courir, sale gosse ! hurla-t-elle au petit garçon.

Ce dernier ne se fit pas prier et se jeta tête la première sur le canapé où il frotta allègrement son visage plein de morve et de saleté.

Katrina poussa un grognement ulcéré. Vivre avec ces gens ? Les supporter nuit et jour ? Partager son espace, ce cocon dans lequel elle se sentait si bien ? Dire adieu à sa solitude bien-aimée ? Mikaël n'était là que temporairement, mais cette famille... Le père observait l'état de la pièce, sourcils froncés, la mère fixait la vampire, embarrassée, la fille se cachait derrière ses parents, le fils sautait sur le canapé... Trop de monde, trop de mouvements, trop de pensées insaisissables...

Une vague d'horreur déferla sur elle. Noyée par le malaise, elle chercha à en émerger, à trouver une solution pour effacer le problème, faire disparaître ces gens pour toujours... Elle ne voulait pas tirer un trait sur son quotidien rassurant et confortable. Hors de question. Jamais. Son anxiété atteignit bientôt un niveau insoutenable. Elle se sentit perdre pied. Ses poumons lui demandèrent plus d'air. Désemparée, la vampire se raccrocha à la seule émotion qui flottait à la surface de ce trop-plein, tel un radeau de sauvetage, solide et fiable, un vieil ami qui ne lui avait jamais failli.

Elle accueillit la rage à bras-le-corps, la laissa balayer ses incertitudes, l'ancrer à nouveau dans la réalité, réveiller ses sens. Elle savait exactement contre qui la diriger. La vampire enfila ses chaussures, se fraya un chemin entre les membres de la famille et se précipita dans le couloir.

Katrina remarqua le pas de course de Mikaël dans son dos mais ne prit pas la peine de se retourner.

— Où va-t-on ? demanda-t-il une fois qu'il l'eut rejointe.

— Voir un ancien ami, répondit sèchement Katrina en insistant sur le caractère révolu de leur relation.

Ils débarquèrent dans la rue qui n'avait pas désempli. La vampire joua des coudes pour fendre la foule jusqu'à la petite porte du Centre Local du Logement, s'attira des cris outrés quand elle doubla les gens qui attendaient leur tour et pénétra en furie dans la pièce.

À l'intérieur, trois tables, trois chaises, trois ordinateurs et trois hommes en uniforme gris sombre tapaient sur trois claviers. Chacun parlait à une famille habillée de guenilles dont l'odeur n'était pas sans rappeler les égouts.

Katrina ignora sa répulsion et se précipita sur l'un des hommes en uniforme, un jeune d'une trentaine d'année à la chevelure brune bouclée et au teint mat. Quand les yeux de ce dernier se posèrent sur elle, il les écarquilla, terrifié, comme si la mort elle-même fondait sur lui. Il poussa un petit cri et se recula précipitamment. Sa chaise tomba à la renverse, il se prit les pieds dedans et s'affala sur le carrelage dans un claquement sec.

La vampire ne s'émut pas de sa réaction. Elle poussa le réfugié venu trouver un toit, sauta souplement par-dessus la table et attrapa sa cible par le col. Quand elle ouvrit la bouche, le contraste entre le calme enjoué de sa voix et la rage pure de son visage arracha un hurlement à l'homme.

— Salut, Simon, ça va depuis mon dernier SMS ? fit-elle.

— Pardon... Pardon... Pardon... Je suis désolé, s'il te plaît ! gémit-il.

C'est à cet instant que Mikaël reprit enfin ses esprits devant ce déferlement de violence. Il poussa la table dans un crissement clair et attrapa le bras de la vampire.

— Katrina... murmura-t-il derrière ses dents serrées.

Elle ignora l'avertissement qui poignait dans sa voix et se concentra sur Simon.

— On avait un accord, non ? Tu étais bien content que je t'aide à améliorer tes stats sur Dance with Blades IV, pourtant...

— Je n'ai pas eu le choix... Je n'ai pas eu le choix, je le jure ! Il n'y a plus de place, vraiment plus ! Sinon, jamais je n'aurais...

— Trouve de la place ailleurs ! hurla la vampire. Chez toi, dans une cage d'escalier, sous un pont, j'en ai rien à foutre ! Je ne veux pas de ces gens chez moi !

— Katrina ! la rembarra Mikaël, clairement outré, cette fois.

Elle sentit ses mains essayer de la tirer, de l'éloigner de Simon, mais ce n'était pas avec ses muscles d'enfant de chœur humain qu'il allait réussir à la faire bouger.

— Je ne peux pas ! Le logement a été enregistré à leur nom, je n'ai pas les droits pour modifier le dossier... Tu peux bien faire une exception, non ? Je t'ai refilé des adresses, l'autre nuit... Je t'ai aidée, non ?

Ses derniers mots étaient teintés d'un vague espoir qui mourut aussi rapidement qu'il était né face à la furie inextinguible de Katrina.

La colère et la détresse aveuglèrent totalement la vampire. Elle souleva l'homme d'une main et sentit le sang de Simon pulser contre sa paume. Sous cette peau si humaine, si fragile. Une onde glacée se répandit dans ses membres. Ses crocs la démangeaient. Elle s'imagina les plonger dans cette chair chaude, aspirer le précieux liquide entre ses lèvres, jusqu'à la dernière goutte.

De rouge, le visage de Simon devint bleu. Derrière elle, elle sentait l'agitation. Mais plus rien n'avait d'importance. Seul comptait ce sang dont elle rêvait de se délecter.

Un bras autour duquel brillait un bracelet rouge passa devant ses yeux et lui masqua sa proie. Elle agita une main agacée pour se débarrasser de l'obstacle. Un cri étouffé atteignit alors ses oreilles et se glissa jusqu'au plus profond de son esprit, là même où se terrait une dernière once de conscience. Elle cligna des yeux une fois. Puis deux.

Elle vit Simon, au bord de l'évanouissement, Mikaël, affalé à l'autre bout de la pièce, un bras enroulé autour de ses côtes, et les deux derniers employés du Centre Local du Logement qui la dévisageaient, terrifiés. Les familles présentes dans la pièce quand elle y était entrée s'étaient réfugiées à côté de la porte. Prêtes à fuir si la situation l'exigeait, prêtes à reprendre leur première place devant les bureaux si le calme revenait.

— Katrina, ça suffit. On s'en va, marmonna Mikaël d'une voix rendue sifflante par la douleur.

Il se releva tant bien que mal, lui attrapa la main et la tira vers la sortie.

Elle se laissa faire. Toute sa rage avait disparu, remplacée par un vide glacial.

Qu'avait-elle été sur le point de faire ?

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