Chapitre 21 : Le sauvetage (5/6)

Le visage du petit homme se décomposa, comme frappé de plein fouet par un éclair. Il joignit ses paumes et ouvrit finalement la bouche, suppliant. Aucun son n'eut le temps de franchir ses lèvres.

— Monsieur, laissez-le partir.

— Mais enfin, Louise !

La domestique qui accompagnait le père de Mikaël s'avança de quelques pas dans la lumière. De sa tenue à sa posture, en passant par son air sévère et ses cheveux grisonnants tirés en un chignon serré, tout en elle rappelait les serviteurs d'une époque à présent révolue. Il brillait cependant dans ses yeux marron une autorité qu'Ecaterina ne s'attendait pas à voir chez une gouvernante s'adressant à son maître. Il fallut quelques secondes à la vampire pour reconnaître sa voix : c'était celle de la gouvernante qui était venue fouiller la chambre de Mikaël un soir où elle lui rendait visite.

— Cette femme s'est mise en danger pour secourir votre fils, croyez-vous vraiment qu'elle lui fera le moindre mal ?

Le maître des lieux ouvrit la bouche, sans doute pour riposter, mais aucun mot ne sembla lui venir à l'esprit. Il fixa donc son employée d'un œil noir, mâchoire serrée. Si celle-ci remarqua la réaction de l'homme, elle ne s'en soucia aucunement, trop occupée à observer le désordre qui régnait dans la pièce.

— De plus, force est de constater que monsieur Mikaël sera plus en sécurité à ses côtés qu'enfermé dans sa chambre, surveillé par ces mêmes policiers qui ont tenté de l'emmener.

Cette fois-ci, le père du jeune homme se renfrogna clairement. Ecaterina ne pouvait qu'approuver les commentaires sensés de la gouvernante, mais ce n'était visiblement pas le cas du ministre. Ses yeux affolés se posaient sporadiquement sur son fils, comme pour s'assurer que ce dernier n'avait pas été vidé de son sang pendant les quelques secondes où il avait détourné le regard. Face à cette réaction, Louise soupira en levant les yeux au ciel, s'approcha davantage encore et posa une main rassurante sur l'épaule de son employeur.

— Monsieur, cette femme n'est pas le vampire qui a tué Madame. Le jeune maître est assez grand pour prendre ses propres décisions. S'il souhaite partir avec elle, c'est qu'il estime qu'elle est digne de confiance, nous n'avons donc aucune raison de le retenir plus longtemps ici.

Le père de Mikaël planta des yeux désespérés dans ceux, confiants, de la gouvernante. Enfin, après ce qui parut une éternité à Ecaterina, l'homme soupira et se passa une main tremblante sur le visage. Il fixa un instant la vampire, sa peine et son indécision clairement visibles sur ses traits.

— Pouvez-vous me promettre qu'il ne lui arrivera rien ? finit-il par la supplier.

L'esprit encore grandement accaparé par la douleur, Ecaterina fut tentée d'acquiescer pour hâter leur départ. La pression qu'exerça Mikaël sur ses épaules l'y incitait également. Pourtant, l'expression de son interlocuteur fit hésiter la vampire. Elle refoula son empressement et sa souffrance, se redressa comme elle put avant de planter son regard dans celui du père du jeune homme.

— Je ne peux vous assurer qu'il sortira indemne de cette histoire, mais je le protégerai quoi qu'il arrive, quitte à y laisser la vie, jura-t-elle.

— Eh ! Pas question ! Je me sacrifierai pour toi avant, marmonna Mikaël entre ses dents serrées.

Ecaterina retint un soupir d'agacement. Elle tourna la tête vers lui et répondit sur le même ton :

— Toi ? Te sacrifier pour moi ? Comment ? En assommant Cula à coups de paroles fleuries ?

— Je suis sérieux...

— Et en quoi annoncer que tu veux faire chair à canon pour moi va aider à convaincre ton père de te laisser partir ?

— C'est toi qui as commencé, bougonna Mikaël.

— Si je me porte garant aussi, vous croyez qu'il dira oui ? souffla Phil.

Son intervention fut suivie d'un silence incertain. Ecaterina avait oublié sa présence sur son épaule et son esprit peu alerte mit quelques secondes à comprendre ce qu'il proposait. Elle tentait comme elle pouvait de retenir son rire quand ses yeux se posèrent sur les lèvres serrées de Mikaël et ses traits crispés. Leur regard se croisa et ils pouffèrent à l'unisson.

— Ça veut dire non ? murmura la chauve-souris, une pointe de déception dans la voix.

Ecaterina lui gratta la tête du bout des doigts pour le réconforter. Elle cherchait un nouvel argument à avancer auprès du père de Mikaël quand celui-ci reprit la parole :

— Vous... Vous ferez vraiment tout votre possible ? Vous le protégerez ?

La vampire reporta son attention sur l'homme. Ses yeux larmoyants ne l'avaient pas quittée. La terreur et la supplication s'y trouvait toujours, mais elle y vit également une autre émotion : l'espoir.

— Vous avez ma parole, lui assura-t-elle.

Une goutte d'eau salé glissa sur la joue du père de Mikaël. Il sortit un tissu rouge de sa poche pour l'essuyer et se moucha allègrement avant de se tourner vers sa gouvernante.

— Nous avons assez perdu de temps, déclara cette dernière. Vous devez quitter les lieux sur-le-champ, je vais vous faire apprêter une voiture.

— Accompagne-les, ordonna son employeur.

La femme demeura interdite un moment, puis elle reprit contenance et tourna vers l'homme des yeux étonnés.

— Enfin, monsieur... Vous...

— Ne t'en fais pas pour moi. Assure-toi qu'ils arrivent sains et saufs à destination. Tu es la plus qualifiée pour mener cette mission à bien.

Louise sembla réfléchir, indécise. Enfin, elle acquiesça et se tourna vers les domestiques qui s'étaient glissés dans le hall pour commencer à nettoyer les dégâts.

— Amenez-moi le sac de Monsieur au garage. Ainsi qu'une trousse de premiers secours et quelques vêtements de rechange pour sa compagne, ajouta-t-elle après un coup d'œil à Ecaterina.

La vampire allait protester, mais la main de Mikaël se referma dans la sienne. Un léger signe de tête lui enjoignit de laisser tomber et elle s'exécuta à contre-cœur. Cette perte de temps supplémentaire l'agaçait, cependant, elle devait bien avouer que la douleur qui pulsait dans son bras était de moins en moins supportable. Si quelques minutes de perdues pouvaient l'apaiser, ne serait-ce que d'un iota, elle pouvait bien patienter.

Ses ordres donnés, Louise signifia à Ecaterina et au jeune homme de la suivre. Mikaël serra rapidement son père dans ses bras, puis il emboîta le pas aux deux femmes à travers une porte dérobée qui menait au sous-sol de la résidence.

La vampire remarqua à peine que les boiseries et autres richesses avaient disparu au profit de murs en pierres noires brutes, que l'humidité baignait l'air de son odeur et que la faible lumière jaune que dégageaient les ampoules nues ne lui permettaient pas de voir à plus de dix mètres devant elle. Son regard était fixé sur le dos de Louise, concentré sur ce point d'ancrage pour ne pas défaillir. À chaque pas, la souffrance remontait le long de son bras tel un coup de poignard. Lorsqu'arriva enfin la dernière marche, son pied râpa le sol et elle manqua de s'effondrer. Seule la poigne ferme de Mikaël derrière elle la maintint debout.

Le sous-sol n'était ni plus accueillant, ni plus éclairé que les escaliers. Vaste et nu, il abritait une demi-douzaine de voitures toutes plus rutilantes les unes que les autres. Ecaterina, peu aidée par sa faible connaissance en la matière, n'en reconnut qu'une, tout au fond : la moins luxueuse, un véhicule noir à la carrosserie cabossée comme on en voyait partout dans les quartiers populaires de Prémices, et peut-être même du monde.

C'est vers cette dernière que se dirigea Louise. Elle ouvrit la portière arrière à ses passagers et Ecaterina se glissa sur la banquette où elle se tint immobile un instant, la tête posée sur le dossier, une main sur les yeux. La vampire savait le regard inquiet de Mikaël posé sur elle, mais elle n'y fit pas attention. Elle entendit Phil voleter sur ses genoux pour s'y lover. Un léger ronflement lui signala que toutes ces émotions avaient eu raison de ce qu'il lui restait d'énergie.

Quand elle sentit la douleur refluer, Ecaterina se détendit légèrement et donna un petit coup de poing sur l'épaule du jeune homme.

— Ce n'est pas un bras cassé qui va me tuer, arrête de me fixer comme ça, marmonna-t-elle.

Mikaël frotta l'endroit où elle l'avait touché – peut-être un peu trop fort, finalement –, mais ne détourna pas les yeux pour autant.

— Ecaterina, qu'est-il arrivé à ton visage ?

Elle porta une main à son œil droit, étonnée par la question. Son globe oculaire n'avait toujours pas récupéré ses facultés, mais elle le sentait sous sa paupière. Peut-être sa chair était-elle encore marquée par la blessure qui avait manqué de la tuer quelques heures plus tôt. Elle ne s'était pas arrêtée devant un miroir pour vérifier.

La vampire frémit quand les doigts du jeune homme se posèrent sur les siens. Il traça doucement le contour de sa peau encore fragile et sensible, une peine immense au fond des yeux.

Elle allait s'écarter, embarrassée par l'attention qu'il lui portait, quand la portière côté conducteur s'ouvrit. Louise prit place derrière le volant. À présent vêtue d'un long manteau noir, ses longs cheveux gris relevés en queue de cheval, elle tendit deux sacs à dos à Mikaël et démarra la voiture.

— Les quartiers est ? s'enquit-elle.

— Je vous guiderai, acquiesça Ecaterina.

Pour tout accusé-réception,Louise écrasa la pédale d'accélérateur et se dirigea en trombe vers la sortie.

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