Ecaterina atteignit la résidence des Lhom avec un soulagement non dissimulé. Celui-ci ne dura pourtant pas.

Une chape de plomb s'abattit sur elle quand apparut sur les murs la lueur bleue et jaune des voitures de police. Elles étaient trois, garées devant la porte d'entrée grande ouverte. Malgré l'heure tardive, toutes les fenêtres du bâtiment ou presque crachaient leur lumière dans l'avenue.

Son ouïe de vampire capta alors les cris colériques qui émanaient de la résidence. Elle ne prit pas le temps de chercher à comprendre. Son sang ne fit qu'un tour et ses pieds nus se mirent en mouvement. En quelques secondes, elle se trouvait dans le hall d'entrée.

Ce n'était pas la première fois qu'elle y mettait les pieds. Pourtant, même si la hauteur sous plafond, la richesse des boiseries, la finesse de l'ameublement et la décoration m'as-tu-vu étaient dignes des plus grands palaces, Ecaterina ne leva pas un sourcil. Son attention toute entière était focalisée sur Mikaël.

Le jeune homme avait le teint livide et les gouttes de sueur qui perlaient sur son front témoignaient de sa grande nervosité. Il tentait malgré tout de garder un air digne, un bras retenu par un policier tandis qu'un autre le menottait. Le raffut qu'Ecaterina avait entendu dans la rue provenait d'un homme assez petit aux cheveux blancs clairsemés. Celui-ci interrompit ses hurlements en la voyant entrer et fixa sur elle des yeux au vert bien familier.

Une dizaine d'agents en uniforme bleu et jaune occupait la pièce, un fusil gros calibre sur l'épaule. Des pleurs provenaient du poing de l'un d'eux et la vampire y découvrit Phil, les yeux exorbités par la terreur.

Une rage sans nom s'éveilla en elle.

En un instant, elle assommait d'un coup dans la nuque le policier qui retenait le chiroptère. Ce dernier s'envola aussitôt pour se réfugier sur le lustre qui illuminait la pièce, quelques mètres au-dessus de leur tête. Ecaterina envoya ensuite valser son collègue le plus proche d'un coup de pied.

Elle se tourna vers Mikaël. Les iris du jeune homme brillaient d'une joie et d'un soulagement qui remuèrent ses tripes. Un léger sourire aux lèvres, la vampire réduisit d'un bond la distance qui les séparait. Du plat de la main, elle propulsa sur plusieurs mètres l'agent qui passait les menottes au jeune homme. Les anneaux métalliques ne résistèrent pas à sa poigne plus d'un dixième de secondes.

C'est alors que le cliquetis d'un fusil lui fit tourner la tête. Son regard se posa sur l'homme qui se tenait un peu en retrait, dépourvu d'uniforme, un sourire satisfait sur le visage. Farein. Ses subordonnés s'empressèrent de l'imiter et ce furent bientôt huit fusils gros calibre qui se retrouvèrent pointés sur elle.

— Ah non ! Si vous voulez vous servir de vos machins, faites-le dehors ! hurla le petit homme aux yeux verts en se plaçant entre Mikaël et Farein. Vous avez mis assez de bazar chez moi comme cela !

— Je vous conseille de vous éloigner, monsieur le ministre. Dans de telles circonstances, une balle perdue est vite arrivée.

Le père de Mikaël blêmit. Il prit son fils par le bras sans tenir compte de ses protestations et l'entraîna rapidement en dehors du cercle de mort qui s'était refermé sur eux.

— Je me doutais que nous vous reverrions bientôt, madame Katrina, poursuivit alors Farein. Surtout après l'explosion du foyer sud. Est-ce là votre idée d'un retour discret à Prémices ?

La vampire haussa les épaules. Elle aurait voulu le faire parler, gagner du temps pour réfléchir à une voie de sortie. Malheureusement, les seuls mots qui lui venaient à l'esprit étaient des insultes, toutes plus virulentes les unes que les autres. Si les laisser franchir ses lèvres lui procurerait la plus intenses des satisfactions, elle sentait qu'elles ne feraient ni chaud ni froid à Farein.

Pour la seconde fois, elle se retrouvait acculée et encerclée par son ennemi numéro deux. Pour la seconde fois, elle faisait face à l'humiliation d'être en position de faiblesse.

Ses poings la démangeaient. Plus que tout au monde, elle rêvait à cet instant de les enfoncer dans les fossettes complaisantes de ce sale type, dans son nez qui n'en serait visiblement pas à sa première fracture, dans ses côtes que le gilet pare-balles dissimulé sous sa veste n'aurait pas la force de protéger...

Un claquement sec et violent résonna alors dans la pièce. Les yeux de Farein se révulsèrent et il tomba à genoux, puis sur le ventre. Derrière lui, Mikaël haletait, les yeux posés sur l'homme à terre, un chandelier tordu entre les mains. Il leva des yeux incrédules sur Ecaterina.

Celle-ci le gratifia d'un sourire et profita de la confusion qui s'était emparée des autres policiers pour passer à l'action. Une pluie de morceaux de verre s'abattit dans le même temps sur le hall d'entrée. La vampire n'eut pas besoin de lever la tête pour comprendre que Phil détruisait allégrement le lustre pour s'en servir de munitions. Un hurlement dans son dos, étrange mélange de motivation et de terreur, lui annonça que Mikaël lui prêtait également main forte.

Le constat l'amusa autant qu'il l'affola. Elle s'immobilisa et fit volte-face, prête à lui porter secours. Le jeune homme courait vers deux policiers, chandelier levé au-dessus de sa tête. Ses cibles le regardèrent faire, abasourdies.

— Mikaël, qu'est-ce que tu fous ? s'étrangla l'un d'eux.

— Mais enfin, arrête ! renchérit l'autre.

— Pardon ! Évanouissz-vous, s'il vous plaît !

Une vague de soulagement submergea Ecaterina. Ces hommes étaient les anciens collègues de Mikaël. Ils n'avaient pas tourné leur fusil vers lui, ne l'avaient pas menacé. Ils ne lui voulaient aucun mal.

Rassurée, mais également attristée pour le jeune homme, la vampire s'empressa de fondre sur les derniers policiers encore debout. Elle devait s'en occuper avant que Mikaël ne brandisse à nouveau son arme improvisée vers ses anciens camarades.

Une dizaine de secondes plus tard, six policiers gisaient à terre, deux s'étaient enfuis et deux se tenaient à genoux, les mains derrière la tête.

— Déguerpissez, leur ordonna Ecaterina.

Ils s'exécutèrent sansdemander leur reste.