Chapitre 21 : Le sauvetage (2/6)
Il fallut à peine trente minutes à Joe pour faire le trajet depuis les quartiers sud. Ecaterina l'entendit descendre les marches quatre à quatre, puis la porte s'ouvrit à la volée et le vicomte apparut, essoufflé. Derrière lui, Sean essayait de suivre le rythme, un air outré sur le visage.
- Hécate, je suis désolé, j'ai essayé de le retenir, mais...
Elle l'ignora et s'adressa directement à Joe :
- Occupe-toi de le retenir, j'ai une urgence à régler.
Le vampire s'avança aussitôt. Sean le regarda faire, abasourdi.
- Hécate, enfin ! C'est le chef des Iris de Sang, il n'a rien à faire...
- C'est moi qui lui ai demandé de venir, l'interrompit Ecaterina. Il s'occupera de l'enfant pendant mon absence, gare à quiconque essaye de s'en prendre à lui.
Sur ces mots, elle croisa le regard de Joe et ce dernier acquiesça. Soulagée, elle relâcha légèrement son étreinte sur le petit et celui-ci se débattit de plus belle.
Joe s'empressa de lui attraper un bras. L'enfant dégagea le second et son poing vint heurter le côté droit du visage d'Ecaterina. Elle retint un grognement de douleur quand l'un de ses ongles longs et crasseux s'enfonça dans sa blessure à peine cicatrisée, lui arrachant au passage le mouchoir qui faisait office de pansement. Après quelques courtes minutes de lutte, le chef des Iris de Sang tenait fermement l'enfant et son homologue se redressait, libre.
- Je ne serai pas longue, lança-t-elle à Joe avant de se précipiter vers les escaliers.
Sean la suivit, toujours aussi perdu.
- Ecaterina, que se passe-t-il, enfin ? Pourquoi lui demander de l'aide à lui ? Il te suffisait de m'appeler et...
- Et tu te serais retrouvé seul avec un enfant addict incontrôlable, dans le sous-sol d'un immeuble rempli d'hommes et de femmes prêts à lui faire la peau. Quelle excellente idée, pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ?
Le petit vampire se tut. Ecaterina sentait son mécontentement et son insatisfaction, mais elle n'avait pas le temps de lui remonter le moral.
- Joe est un noble et un allié, annonça-t-elle simplement. Il a la force nécessaire pour s'occuper du petit, vous n'avez rien à craindre.
La vampire entendit les bruits de pas s'arrêter dans son dos. Après deux courtes secondes de silence, Sean la rattrapa et reprit, la gorge serrée par le choc :
- Un noble ? Mais... Et... Tu lui as dit ? Il sait que tu...
- Évidemment.
Arrivée au rez-de-chaussée, Ecaterina bifurqua vers l'entrée en rabattant sa capuche sur sa tête.
- Où vas-tu ? s'étonna Sean.
- Chercher Phil et Mikaël.
Sans attendre sa réaction, elle s'élança à toute allure dans les rues de Prémices.
***
Comme le lui avait annoncé l'agitation du petit addict, la nuit était tombée à l'extérieur. Elle décida donc de coupler au mieux vitesse et discrétion en rejoignant les toits. Heureusement, les quelques heures qu'elle avait passées au sous-sol avec l'enfant lui avait permis de recouvrer ses forces. Jauger les distances avec un œil en moins s'avéra en revanche plus difficile. Après un saut trop court, puis un saut trop long, elle parvint cependant à estimer la puissance nécessaire pour traverser les avenues de la ville et put avancer à bonne allure.
Une dizaine de minutes plus tard, la lumière qui irradiait du centre-ville dans le ciel nocturne lui semblait à portée de main. Elle força donc l'allure, pressée d'arrivée. Presque trois quarts d'heure s'étaient écoulés depuis le message de Mikaël. Qu'avait-il bien pu se produire au cours de ce laps de temps ? Elle s'efforça de bannir toute image désagréable de son esprit et se concentra sur sa course.
Une première sirène de police lui parvint, quelques dizaines de mètres sous ses pieds. Puis une seconde. Et une troisième. D'abord peu intéressée, Ecaterina finit par ralentir l'allure à contre-cœur quand les gyrophares d'une quatrième voiture apparurent sur les murs devant elle. Ses craintes se confirmèrent quand les lumières jaune et bleue s'immobilisèrent devant elle : elle était prise en chasse.
Elle changea donc de direction. Au lieu de poursuivre tout droit, vers la résidence des Lhom, elle continua vers l'ouest. Ce contretemps angoissait au plus haut point la vampire, mais elle n'avait pas le choix. Peu lui importait comment la police l'avait repérée, elle y réfléchirait plus tard. Elle devait d'abord leur échapper pour ne pas les mener tout droit vers ceux qu'elle cherchait à protéger.
Malheureusement, elle eut beau changer plusieurs fois de direction, les sirènes la suivaient toujours. Tandis que son regard désespéré se portait vers le centre-ville, elle comprit soudain : un guetteur posté sur les toits informait la police de ses déplacements en temps réel.
Ecaterina jura. Peut-être pourrait-elle échapper à ses poursuivants si elle redescendait dans la rue, mais elle devrait alors sacrifier sa vitesse au profit de la discrétion. Sans ralentir, elle sortit son portable de sa poche et jeta un coup d'œil à l'écran. Cela faisait près d'une heure qu'elle était sans nouvelles de Mikaël. Le souvenir de Fiona et Nolan s'imposa alors à elle et sa gorge se serra. Elle ne voulait pas perdre deux autres de ses proches.
À court d'idées, elle se débarrassa de ses vêtements et les glissa sous un réservoir d'eau, à l'abri des regards et des intempéries. Avant que la brise glaciale n'ait eu l'occasion d'effleurer sa peau, elle battait déjà des ailes entre les hauts immeubles, à l'abri du guetteur.
Après quelques minutes de vol, son instinct animal s'agita. Un malaise pressant, impérieux. Elle tourna la tête, à la recherche de ce qui l'affolait tant.
Un étau se resserra sur elle. La douleur lui transperça le côté gauche. Elle tenta de se débattre, mais la souffrance devenait plus déchirante à chaque mouvement. Abasourdie, elle leva la tête.
Un rapace aux yeux rouges brillants la surplombait, ses puissantes serres refermées sur elle. L'incompréhension lui fit marquer un temps d'arrêt. Que faisait un gardien des frontières de Prémices en pleine ville ?
Ecaterina repoussa ses interrogations dans un coin de sa tête pour se concentrer sur sa situation. Elle jeta un coup d'œil en contrebas. Le sol se trouvait à plusieurs dizaines de mètres. La chute ne serait ni agréable ni indolore. Quand bien même, elle se retransforma. Les doigts acérés du rapace s'écartèrent et elle tomba.
La vampire demeura quelques secondes allongées sur le sol, le corps endolori. L'oiseau de proie traçait toujours des cercles au-dessus de sa tête, prêt à fondre sur elle à l'instant où elle reprendrait sa forme de chiroptère. Ce n'était pas dans ses plans.
Son flan la brûlait à la base des côtes. Elle sentait un liquide chaud s'échapper de son ventre. Les doigts de sa main gauche ne lui répondaient plus. Ce constat l'étonna à peine quand elle vit l'angle étrange que décrivait son bras. Même si elle l'avait voulu, elle n'aurait plus été en état de voler une fois transformée.
Quand les sirènes de police se rappelèrent à elle, Ecaterina se redressa difficilement et claudiqua jusqu'à une ruelle sombre. Elle observa les alentours à la recherche d'un endroit où se cacher et aperçut un conteneur poubelle ouvert dans lequel elle se glissa. Elle allait refermer le couvercle quand une tache brillante attira son attention sur le sol.
Non seulement ses blessures la faisaient-elles souffrir, elles indiquaient également le chemin à suivre à ses poursuivants, tels des petits cailloux ensanglantés.
Désespérée, elle observa une nouvelle fois son environnement puis se rabattit sur les sacs poubelles à ses pieds. Déchets alimentaires, vieux journaux... Malheureusement, il ne s'y trouvait aucun moyen évident d'échapper à la police.
Lorsque les gyrophares jaunes et bleus commencèrent à illuminer les murs, elle leva les yeux au ciel et, dans un dernier sursaut de forces, bondit vers le toit. Ses doigts agrippèrent le rebord de justesse et elle s'y hissa.
Le cœur battant la chamade, Ecaterina se laissa tomber à genoux et examina rapidement sa blessure au ventre. Heureusement, celle-ci paraissait superficielle et les saignements se tarissaient déjà. Le plus handicapant restait son bras cassé. La vampire le maintint comme elle put et, tout en prenant soin de rester cachée derrière les tuyaux de ventilations, elle se dirigea en rampant vers l'autre côté du toit. Une fois accroupie au bord, ses yeux se baissèrent sur la ruelle opposée, à la recherche des escaliers de secours qui lui permettraient d'y descendre.
Ils se trouvaient là, à quelques mètres à peine. Si proches et pourtant si loin. Elle se glissa sur le rebord, se laissa pendre dans le vide à l'aide de son bras intact et balança son corps d'un côté à l'autre. Lorsqu'elle eut assez d'élan, elle lâcha prise. Sa main trouva la rampe des escaliers et elle se laissa tomber sur le palier inférieur.
Une fois ses pieds nus sur le sol rugueux, froid et humide, elle ouvrit un conteneur poubelles, fouilla les sacs et revêtit rapidement un vieux pantalon et une veste en cuir bien trop grands pour elle.
Sur les murs des avenues perpendiculaires, les lueurs bleues et jaunes des gyrophares en rotation lui rappelaient la présence toute proche de la police. Son bras serré contre elle, Ecaterina fit quelques pas dans une direction qu'elle estimait être celle du centre-ville. Elle jeta un œil aux deux voitures des forces de l'ordre, immobilisées sous le rapace qui marquait encore des cercles à l'endroit où il avait perdu sa proie. Quatre agents se trouvaient sur la chaussée, arme au poing. Leurs yeux étaient rivés sur le sol, là où son sang avait goûté. Pendant que trois d'entre eux suivaient la piste, le dernier resta planté au milieu de la route, l'œil aux aguets.
Ecaterina observa leur petit manège en réfléchissant à toute allure. Il lui fallait s'éloigner aussi vite que possible. Malgré l'interstice entre deux immeubles qui s'enfonçait dans l'obscurité de l'autre côté de l'avenue, la présence de la police à proximité immédiate du trajet le rendait inaccessible. Elle allait rebrousser chemin pour tenter sa chance de l'autre côté quand des faisceaux de lampes torches commencèrent à éclairer les murs.
La vampire jura et s'accroupit aussitôt. Ces policiers ne se laissaient pas avoir si facilement. Elle était cernée.
À court d'idées, elle reporta son attention sur l'homme qui attendait à côté des voitures. Il semblait tendu. Très tendu. Un peu trop, peut-être ?
Ses yeux accrochèrent une petite pierre à ses pieds. Elle la ramassa, la soupesa. D'un mouvement souple du poignet, elle l'envoya voler un peu plus loin, en direction de la ruelle où elle s'était enfoncée quelques minutes plus tôt. À l'opposé de son trajet.
L'homme sursauta et se retourna, arme brandie. Ecaterina s'élança sans attendre, aussi rapidement que le lui permettaient ses jambes. Elle jeta un dernier coup d'œil au policier qui lui tournait toujours le dos, à l'affût, son stress clairement visible. Enfin, elle s'engouffra dans la trouée sombre entre les deux immeubles qui lui faisaient face.
La vampire retint un soupir de soulagement et poursuivit aussitôt sa course, droit vers le centre-ville.
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