Chapitre 19 : Le foyer (4/4)
***NOTE DE L'AUTEURE : Attention, cette partie contient une scène de combat assez violente et une, très dure, d'enfant maltraité. Ne lisez pas si vous ne vous en sentez pas capable, je ferai un résumé de cette partie à la fin du chapitre. La santé avant tout, prenez soin de vous !***
Comme l'avait annoncé Joe, les premiers étages n'étaient qu'une succession de pièces aux larges fenêtres, tantôt laboratoires de recherche emplis de paillasses et de tubes à essai, tantôt salles chirurgicales. Ecaterina essaya de ne pas s'imaginer à quoi servait tout ce matériel. Elle poursuivit les recherches, l'esprit fermé à toute pensée parasite. Elle n'y autorisa qu'une seule image : Fiona assise dans son fauteuil, son livre d'images sur les genoux, et Nolan, l'avion rouge à la main, en pleine course autour de la table basse.
J'arrive... songea-t-elle, plus déterminée que jamais.
Au cinquième étage, l'obscurité reprit ses droits, ainsi qu'une odeur, pire encore que celle du rez-de-chaussée. Ecaterina plaqua une main sur sa bouche pour retenir un haut-le-cœur. De ce long couloir qui s'enfonçait dans les ténèbres émanait une pestilence sans pareil, mélange de déjections, de pourriture et de mort. Une puanteur qui s'infiltra jusqu'au plus profond de sa chair, jusque dans son âme. Ses mains furent saisies de tremblements incontrôlables et son front se couvrit de sueur malgré le froid glacial qui lui tordait le ventre.
Du coin de l'œil, elle aperçut Joe déglutir et s'avancer vers la première porte, si noire qu'elle semblait mener à un abîme de ténèbres. Il l'ouvrit délicatement sur une pièce plongée dans la pénombre, glissa la tête à l'intérieur avant de l'en retirer aussitôt, blême. L'horreur absolue se lisait dans les yeux qu'il posa sur Ecaterina. Sans un mot, il sortit son portable de sa poche et y pianota rapidement quelques mots.
— J'appelle du renfort, expliqua-t-il rapidement. Si tous les enfants sont dans l'état de ce petit, ils ne pourront pas s'enfuir sur leurs propres jambes.
— On commence par les adultes, donc ?
Joe ne demanda pas de quels adultes elle parlait. À son ton froid et implacable, animé d'une profonde colère, il comprit sans peine ce qui la démangeait : faire payer aux responsables de cet endroit l'enfer que vivaient ces enfants innocents.
Le vicomte acquiesça, la même rage indescriptible à présent clairement visible dans ses yeux. Tous deux se dirigèrent sans un bruit vers le fond du couloir, où une faible lueur s'échappait de sous la dernière porte. Si des employés étaient présents à cet étage, ils devaient se trouver dans la seule pièce où le jour était autorisé à pénétrer.
À mesure qu'ils approchaient, des éclats de rire vinrent effectivement briser le silence de mort qui régnait sur le lieu. La retenue d'Ecaterina atteignit alors ses limites. Elle marcha à grandes enjambées, ouvrit la porte à la volée et pénétra à l'intérieur telle une furie.
Les deux femmes et l'homme assis autour d'une petite table ronde, café et gâteaux disposés en son centre, se turent immédiatement. Une tasse glissa d'une main et se fracassa au sol. Sans attendre qu'ils se ressaisissent, la vampire saisit la femme la plus proche par le col et l'envoya voler contre le micro-onde installé dans un coin de la salle.
L'homme ôta précipitamment les pieds de la table. Dans sa hâte, il perdit l'équilibre et sa chaise bascula vers l'arrière. Sa tête vint heurter le meuble derrière lui. Il avait perdu connaissance avant d'atteindre le sol.
La dernière femme rampa jusqu'à la poubelle. Elle se roula en boule entre celle-ci et un plan de travail en gémissant de terreur. Peu émue par sa réaction, Ecaterina lui attrapa une jambe et la tira hors de sa cachette. Les ongles de sa proie raclèrent le sol, mais le carrelage ne lui offrait aucune prise. Elle se retrouva bientôt à découvert, à la merci des deux vampires enragés. Des larmes inondèrent son visage. Elle bredouilla excuses et supplications qui se heurtèrent à la froide indifférence de ses attaquants.
Joe lui tordit un bras dans le dos avant de la soulever à quelques centimètres du sol. Les hurlements de la femme prirent les tonalités de la douleur.
— La fenêtre ? suggéra le vicomte.
— Trop rapide. Laissons-les là et voyons s'ils arrivent à sortir avant qu'on ne détruise l'immeuble.
Joe acquiesça, un sourire vengeur sur les lèvres. D'un mouvement d'épaule, il envoya la femme contre un mur. Elle glissa vers le sol où elle demeura immobile. Ecaterina tourna les talons et se dirigea vers la porte sombre qui faisait face à la pièce. Sans laisser le temps à son esprit de s'imaginer ce qu'elle pourrait trouver derrière, elle l'ouvrit à la volée et fit un pas à l'intérieur.
L'odeur, pire encore que dans le couloir, la saisit à la gorge et fit naître des larmes au coin de ses yeux. Au fond de la pièce obscure et souillée, un léger mouvement attira son attention, à peine perceptible. La vampire ignora la répulsion que la scène lui inspirait et s'avança à grandes enjambées vers la petite silhouette recroquevillée sur elle-même.
— On va te sortir de là, annonça-t-elle.
L'enfant demeura immobile, tout son être dégageant un sentiment qu'Ecaterina ne connaissait que trop bien : la terreur à l'état pur. Si elle s'amusait parfois de découvrir cette émotion dans les yeux de ses proies, cette fois-ci, c'était différent. Elle s'arrêta à bonne distance, ôta sa capuche et s'accroupit pour se mettre à la hauteur des yeux rouges qu'elle distinguait à grand-peine dans l'obscurité.
— Tu n'as plus rien à craindre. Ne t'en fais pas. Je viens t'aider.
L'enfant ne bougea pas davantage. Un soupir ironique échappa à Ecaterina : visiblement, son charme avec les petits ne fonctionnait qu'avec ceux qu'elle voulait voir déguerpir, à savoir Nolan.
Alors qu'elle hésitait encore entre s'approcher davantage et continuer à parler depuis sa position actuelle, une clarté soudaine dans son dos vint illuminer la pièce. Elle n'eut pas besoin de se retourner pour comprendre que Joe venait d'allumer la lumière dans le couloir. Elle se focalisa pleinement sur l'enfant et un frisson d'horreur la parcourut.
Il était difficile de donner un âge à la petite fille qui la fixait de ses yeux vides. Sa peau nue marbrée de cicatrices était livide, presque transparente par endroits, où ses veines ressortaient en un entrelac de filaments sombres. Ses cheveux blancs clairsemés laissaient apparaître le sommet de son crâne qu'elle dissimulait de ses doigts squelettiques et tremblants. Le reste de son corps n'était pas en meilleur état. Sans doute n'avait-elle pas été nourrie depuis plusieurs jours.
Ecaterina déglutit difficilement, le cœur au bord des lèvres, et fit un pas de plus vers la petite. Celle-ci, bien que toujours aussi inexpressive, eut un léger sursaut apeuré et la vampire s'immobilisa. Ses yeux se baissèrent vers la cheville de l'enfant. Sa chair était rongée par la chaine de métal froid qui l'attachait au mur.
C'en fut trop. Folle de rage, elle se redressa d'un bond et fit demi-tour, droit vers la salle de repos où les adultes inconscients attendaient de recevoir toute la haine qui brûlait en elle. Elle considéra un instant la femme qu'elle avait jetée contre le micro-onde et la ramassa d'une main tremblante. Elle voulait la faire souffrir... Lui faire subir ce que vivait la petite fille dans sa cellule depuis des jours, peut-être même des semaines.
C'est alors qu'un coup de feu retentit au loin. Ecaterina lâcha sa proie et sortit la tête dans le couloir. Dans la pièce d'à côté, elle vit Joe faire de même. Lorsqu'un tintement clair émana de sa poche, le vicomte en sortit son téléphone. Son visage s'éclaira à la lumière de l'écran et se para d'appréhension.
— Les autres sont là, mais ils ont été reçus par un comité d'accueil.
— Un comité d'accueil ? Quel comité d'accueil ? D'où est-ce qu'il sort ? s'étonna Ecaterina.
Le rez-de-chaussée et les premiers étages semblaient déserts lorsqu'ils les avaient traversés. Les gardes se trouvaient-ils dans l'une de ces pièces fermées qu'ils avaient ignorées ? Pourquoi n'avaient-ils pas réagi en les entendant passer à côté ?
— Soit notre arrivée a déclenché un signal d'alarme quelconque et ils ont rappliqué, soit ils se planquaient quelque part. Au sous-sol, par exemple.
Ecaterina avisa un bouton rouge placé bien en évidence sur un mur dans le couloir, à quelques centimètres à peine de son visage.
— Tu crois que les surveillants des étages supérieurs nous ont entendus régler leur compte à leurs collègues et qu'ils ont appelé à l'aide ? suggéra-t-elle en désignant sa trouvaille.
— Possible. Il faut vite sortir les enfants d'ici.
Ecaterina observa les nombreuses portes qui perçaient le couloir, dépitée. Jamais ils n'arriveraient à sauver tous les enfants à eux deux, il leur fallait des renforts de toute urgence. Renforts qui se trouvaient actuellement quelques étages plus bas, aux prises avec un groupe armé.
La solution lui apparut comme une évidence et comme un soulagement.
— Je vais m'occuper des gardes. Libère autant d'enfants que tu peux en attendant tes subordonnés.
La vampire ignorait comment le chef des Iris de Sang allait réagir à ses ordres. Il était vicomte et elle n'avait pas annoncé son rang. Aux yeux de Joe, elle avait donc certainement le même titre que lui, voire un inférieur. Cependant, son petit tour de force dans la ruelle semblait encore porter ses fruits et il acquiesça sans mot dire.
La culpabilité l'accablait, mais elle était heureuse d'abandonner la puanteur de l'endroit et les yeux vides d'enfants innocents. La détresse qu'elle avait ressentie face à cette petite fille était inqualifiable. Elle s'était retrouvée démunie, incapable de réagir autrement qu'en transformant son angoisse en colère. Pourtant, passer ses nerfs sur les tortionnaires ne l'aurait apaisée qu'un court instant. Seul savoir ces enfants sains et saufs pourrait panser son cœur blessé. Il fallait donc que les membres des Iris de Sang parviennent jusqu'aux étages supérieurs, jusqu'aux cellules, jusqu'aux petits prisonniers. Pour ce faire, une seule solution, sa spécialité : combattre.
***Résumé de cette partie (non, si vous décidez de vous contenter de ce qui suit, ce n'est pas parce que vous êtes faible ou que sais-je, c'est parce que vous connaissez vos limites et que vous faites passer votre santé avant tout... Bravo, donc !) :
Ecaterina et Joe fouillent les premiers étages, qui s'avèrent n'être que des laboratoires et salles chirurgicales. En atteignant le cinquième niveau, en revanche, l'obscurité et la puanteur saisissent les deux vampires. Joe jette un œil derrière l'une des portes et appelle son gang à la rescousse : les enfants n'arriveront pas à fuir seuls et à eux deux, ils ne pourront tous les sauver. Enragés, Ecaterina et Joe se dirigent vers une pièce éclairée au fond du couloir où ils découvrent des employés du foyer. En deux temps, trois mouvements, les humains sont à terre, assommés. Les deux nobles décident de les laisser en plan. S'ils ne se réveillent pas et ne s'enfuient pas avant que les vampires ne détruisent le bâtiment, ce sera tant pis pour eux.
Ecaterina pénètre dans l'une des cellules et y découvre une petite fille très, très mal en point. Elle tourne alors les talons, bien décidée à faire payer de ses mains aux adultes responsables. C'est alors qu'un coup de feu retentit dans les étages inférieurs. Joe reçoit un message de ses subordonnés : ils sont arrivés sur place, mais des gardes armés, sortis de nulle part, les attendaient au rez-de-chaussée. Ecaterina décide d'aller aider leurs renforts et de laisser le sauvetage des enfants à Joe.***
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