Chapitre 19 : Le foyer (3/4)

Joe la guida sans la moindre hésitation dans les rues d'un quartier qu'elle connaissait à peine. Ils se retrouvèrent rapidement dans une rue piétonne peu fréquentée, trop large pour être une ruelle, trop étroite pour être une avenue. Les bâtiments de part et d'autre, plus récents que ceux de son territoire à l'est, semblaient en meilleur état. Leur hauteur, en revanche, empêchait les rayons du soleil levant d'atteindre la chaussée, plongée dans une ombre perpétuelle. L'absence de reflets sur les vitres ainsi que le silence du lieu lui donnaient un côté surréel. Sans vie.

Un frisson parcourut l'échine d'Ecaterina. Si un foyer pour orphelins se trouvait bien ici, l'ambiance des environs ne lui disait rien qui vaille. Comme un aperçu de ce qu'elle craignait de découvrir.

Devant elle, Joe s'immobilisa. Elle s'empressa de le rejoindre, déjà énervée à l'idée qu'il ait pu changer d'avis si près du but. Comme elle le craignait, les yeux du vicomte brillaient une nouvelle fois de cette douleur sans fin, à laquelle était venue se greffer une profonde appréhension.

— Si tu veux rester ici, ça ne me dérange pas. Ne te mets pas en travers de mon chemin, c'est tout, soupira Ecaterina sans s'arrêter.

Tandis qu'elle passait à côté de lui, la main de Joe lui saisit le bras. Non pas pour la retenir comme un peu plus tôt. Simplement pour attirer son attention.

— Il vaut mieux que tu saches ce qui se trouve à l'intérieur... Avant...

La vampire se retourna, de plus en plus anxieuse. Elle ne pouvait pas attendre. Elle devait tirer Fiona et Nolan de là le plus vite possible. Le teint blême de Joe et le tremblement de ses mains ne faisaient que l'inciter à avancer au lieu de l'écouter.

— C'est un site de tests gouvernemental... expliqua l'homme d'une voix étranglée. Les enfants sont traités comme des cobayes.

Ecaterina ne chercha pas à masquer son ébahissement. Elle cessa aussitôt de tirer sur cette main posée sur son avant-bras et toute son attention se porta sur les mots de Joe.

— Un de mes hommes et sa femme se sont fait avoir par les flics, il y a deux ans. Leurs enfants ont été conduits ici, j'ai voulu aller les récupérer, mais...

Sa gorge serrée l'empêcha de terminer sa phrase. La vampire sentit son cœur battre la chamade.

— Je me suis enfui. Je n'ai pas eu la force de faire autre chose. Et je le regrette. Tant d'enfants ont souffert parce que j'ai tourné les talons sans demander mon reste ce jour-là...

Il leva brusquement la tête et braqua dans les yeux d'Ecaterina un regard animé d'une détermination nouvelle.

— Il est temps d'en finir, conclut-il.

Elle acquiesça, satisfaite d'avoir trouvé un allié sur la même longueur d'onde qu'elle. La vampire vérifia que sa capuche recouvrait bien tout son visage avant de suivre Joe vers une imposante porte en bois massif sur laquelle un simple écriteau de métal stipulait : « Foyer ». Peu éloquent. Et bientôt peu existant.

Ecaterina fit signe à Joe de prendre les devants et celui-ci détruisit avec force motivation le battant qui leur barrait le passage.

L'intérieur était à l'image de la rue qu'ils venaient de quitter : sombre, vide et silencieux. Trop silencieux. Les deux vampires pénétrèrent dans le hall d'entrée. Seul le claquement de leurs semelles sur le carrelage noir et blanc à la propreté impeccable venait perturber le calme absolu du lieu. Les murs immaculés, percés de nombreuses portes d'ébène fermées, s'élevaient vers un haut plafond noyé dans la pénombre.

Un frisson parcourut l'échine d'Ecaterina. Cet endroit ne lui plaisait pas. Pas du tout. Malgré le vaste espace au-dessus de sa tête et la caisse de résonnance qu'il offrait pour le bruit de leurs pas, un intense sentiment d'oppression gonflait peu à peu en elle. Seule la pensée de Fiona et Nolan l'empêcha de faire volte-face et de retrouver l'air libre de la rue.

Elle déglutit donc et poursuivit son chemin, l'oreille tendue, à la recherche du moindre son qui pourrait indiquer une présence dans le bâtiment à première vue désert.

Rien.

Son regard se tourna naturellement vers Joe, en quête d'une explication, ou tout simplement du signe qu'elle attendait pour faire demi-tour et quitter les lieux. Sans doute lui dirait-il que ce n'était pas normal, que les enfants avaient dû être conduits ailleurs, qu'il savait exactement où... Ce ne fut pas le cas. Le visage du vicomte était pale, ses traits tirés par l'anxiété. Ecaterina voyait presque les images du passé tourner en boucle dans son esprit à travers ses rétines perdues dans le vide. Le calme du foyer ne l'avait ni apaisé, ni convaincu de rebrousser chemin. Sans un bruit, il se dirigea vers la porte au fond du long couloir et la vampire le suivit avec appréhension.

Les panneaux en bois sombre devant lesquelles ils passaient sans faire mine de s'arrêter lui tendaient les bras, la poussaient à les ouvrir pour vérifier ce qu'ils dissimulaient, mais Joe ne leur accorda pas même un regard. Toute son attention était focalisée sur ce double battant vers lequel il s'avançait, en transe. Avait-il encore conscience du présent, ou seul le passé accaparait-il son esprit ?

Ecaterina fut tentée de poser une main sur son épaule pour s'assurer qu'il était bel et bien ancré dans la réalité. En cas d'attaque, elle ne voulait pas se retrouver avec un poids mort sur les bras. Avant qu'elle n'ait pu concrétiser son geste, Joe secoua pourtant la tête et tourna vers la cheffe des Crocs Écarlates un regard brillant de détermination. Son moment d'absence était passé, il était prêt à en découdre. Les portes précédentes ne trouvaient en revanche toujours pas grâce à ses yeux, Ecaterina en déduisit donc qu'il s'y était déjà intéressé lors de sa première visite et que ce qu'ils cherchaient se trouvait plus loin.

Le chef des Iris de Sang ouvrit un battant, la vampire poussa l'autre et tous deux s'engouffrèrent dans un couloir plus sombre encore que le hall d'entrée. Ce qui saisit aussitôt Ecaterina fut l'odeur de renfermé que dégageait l'endroit. Un parfum dont l'intensité la dégoûta autant que le décor bicolore, identique au corridor qu'ils quittaient à peine. Elle plaqua une main sous son nez pour essayer de le protéger au mieux.

— De quel côté ? demanda-t-elle, pressée d'en terminer avec cet endroit.

Joe indiqua la droite d'un signe de tête et ils reprirent leur route. Quelques mètres plus loin, le couloir marquait un angle droit derrière lequel se dissimulaient des escaliers. Ecaterina suivit les marches du regard jusqu'à ce qu'une nouvelle bifurcation les fassent disparaître dans l'inconnu.

— Les enfants sont dans les derniers étages, lui apprit Joe. Les premiers niveaux sont occupés par des laboratoires. Comme c'est le week-end, on devrait trouver moins de personnel qu'en semaine.

La notion du temps avait échappé à Ecaterina depuis longtemps, aussi n'avait-elle pas pris la date en compte avant de foncer tête baissée au foyer. Le week-end, donc... Le silence trouvait là son explication.

— Je propose que nous commencions par secourir tous les enfants, fit Joe en commençant à gravir les marches. Cela fait, tu pourras chercher tranquillement ceux que tu cherches parmi eux.

Évidemment, il avait compris qu'Ecaterina n'avait pas pris le foyer pour cible par bonté de cœur. Bien qu'agacée, elle acquiesça sans protester. Plus vite ils auraient secouru tous les enfants, plus vite ils pourraient détruire cet endroit qui lui fichait la nausée.

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