Chapitre 19 : Le foyer (2/4)

Le cœur lourd, Ecaterina s'arrêta dans cette même ruelle où elle avait retrouvé Joe le premier soir. Elle n'eut pas à attendre bien longtemps : le chef des Iris de Sang fit bientôt son apparition au coin de l'avenue et il se dirigea d'un pas assuré vers elle.

La vampire le salua d'un vague signe de tête en essayant de ne pas détourner le regard de ces yeux dérangeants qui la dévisageaient avec curiosité.

— J'imagine que tu n'es pas là pour parler de « Cula », supposa-t-il aussitôt. En quoi puis-je t'être utile ?

Ecaterina croisa les bras et effaça toute trace de hâte de ses traits. Si son interlocuteur voyait la moindre faille dans son expression, nul doute qu'il l'exploiterait sans une hésitation.

— Effectivement, c'est une affaire personnelle, confirma-t-elle. Je veux tout ce que tu sais sur le foyer pour vampires orphelins de ton quartier.

Contrairement à ce qu'elle s'était imaginé, Joe ne lui répondit pas par un sourire calculateur. Toute bonne humeur déserta immédiatement ses traits et il détourna le regard. Ecaterina eut l'impression qu'un mur invisible s'était dressé entre eux. Cette réaction ne fit que confirmer ses craintes.

— Alors c'est pas le paradis, hein ? soupira-t-elle en essayant de masquer la peur qui cherchait à s'immiscer dans sa voix.

— Ne t'en approche pas si tu veux rester saine d'esprit.

Le ton de Joe était cassant, sans appel. Cette étincelle qui irritait tant Ecaterina d'ordinaire avait déserté ses yeux, remplacée par une peine dont elle eut du mal à voir jusqu'où elle se propageait. Visiblement, le chef des Iris de Sang avait constaté de lui-même ce qui se déroulait derrière les murs de l'orphelinat. Et il en était ressorti meurtri.

Que subissaient Fiona et Nolan dans un endroit pareil ? L'imagination d'Ecaterina chercha à combler son ignorance et elle tressaillit d'effroi, assaillie d'images insoutenables.

Toute pensée rationnelle quitta aussitôt son esprit, elle bondit dans la direction du foyer. Elle allait passer en courant à côté de Joe quand la poigne de l'homme l'arrêta. Surprise par la force qu'elle sentait dans le bras tendu de son interlocuteur, elle s'immobilisa et braqua un regard stupéfait sur son visage.

— Rebrousse chemin. Tu ne trouveras rien de ce que tu cherches là-bas.

— Laisse-moi passer.

Ecaterina repoussa d'un geste sec la main qui lui faisait obstacle. Elle y insuffla toute l'inquiétude, toute la frustration et toute la colère qui tourbillonnaient au creux de son ventre. Un cri de douleur échappa à Joe quand son bras fut propulsé vers l'arrière. La vampire reprit sa course sans tarder, peu réceptive à la souffrance de l'homme tant ses pensées étaient occupées par Fiona et Nolan. Elle devait les tirer de là, quoi qu'il en coûte.

C'est alors que quelque chose la saisit par la capuche et la propulsa vers le sol. Elle se retrouva plaquée à terre, dans les flaques d'eau qui maculaient le bitume. Joe posa un genou sur son dos et lui tordit le bras. Une décharge électrique se répandit de son épaule jusqu'à son cerveau et elle poussa un grognement étouffé.

Comment ce type avait-il pu la mettre à terre ? Elle, Ecaterina Basarab ? C'était impossible... À moins que...

Faisait-il partie de la noblesse ? Elle s'était déjà mesurée aux majordomes qui suivaient Louis, tous descendants directs du premier humain transformé en vampire par ses soins. Les plus puissants de ses serviteurs. Pourtant, même cette lignée de vicomtes et vicomtesses n'avait pas tant de force dans les bras, et chaque nouveau détenteur du titre faisait pâle figure face à son prédécesseur. Selon Louis, il s'agissait là d'une tendance généralisée parmi la population vampirique, tous rangs confondus, il paraissait donc invraisemblable qu'un simple noble soit en mesure de déployer une telle puissance à l'heure actuelle.

Se trouvait-elle en présence d'un autre originel ?

Lorsque l'hypothèse s'imposa à son esprit, surprise et panique s'emparèrent d'Ecaterina. Elle se débattit de toutes ses forces. Son adversaire lâcha enfin prise et elle bondit sur ses pieds pour lui faire face.

Les questions se pressaient sur ses lèvres. Elle avait envie de l'interroger, de hurler, de l'immobiliser à son tour pour reprendre le contrôle de la situation. Louis lui avait assuré qu'il avait abattu tous les autres originels après qu'ils avaient succombé à l'addiction au sang humain. Qui était cet homme ?

Lorsque ses yeux croisèrent à nouveau ceux de Joe, elle y lut un étonnement égal au sien, sinon plus grand encore. Il se tenait légèrement recourbé, prêt à se battre, une main posée sur son bras droit qui pendait mollement le long de son corps.

— Je dois dire que tu m'épates... haleta-t-il. J'ai toujours été considéré comme le fils prodige de ma famille, mais là...

Son souffle était court et des gouttes de sueur commençaient à perler sur son front. Ces courts affrontements l'avaient visiblement plus amoché qu'Ecaterina le pensait. Face à ce constat, la vampire sentit un certain soulagement se répandre en elle : elle était bel et bien plus forte que lui. D'autre part, la façon dont il avait mentionné sa famille laissait entendre qu'eux aussi étaient des vampires. Joe n'était donc pas un originel.

Voir son invincibilité remise en question par Neculai non pas une, mais deux fois l'avait déjà secouée, apprendre qu'un autre vampire que Louis pouvait se mesurer à elle n'aurait fait qu'enfoncer le couteau dans la plaie.

Ne restait donc qu'une question : quel était son rang ?

— Tu es un vicomte ? demanda-t-elle, prudente.

À l'origine, ce titre était attribué aux descendants des originels. Il avait finalement été adopté par les héritiers des premiers vampires transformés, qui le transmettaient à l'enfant le plus puissant de chaque génération. C'était du moins ce qu'Ecaterina avait retenu de l'un des épisodes de Mon voisin le vampire !, l'émission culturelle qui présentait les spécificités des êtres aux yeux rouges aux enfants de Prémices.

Elle se garda de mentionner ses sources et attendit la réponse de Joe, sourcils froncés. Le chef des Iris de Sang la dévisagea un instant, peut-être pour évaluer les différentes réponses possibles et la suite de la conversation qui en découlerait. Il finit par acquiescer.

— Pareil pour toi, j'imagine ?

Ecaterina ne répondit pas. Elle se contenta de le fixer dans les yeux avec assurance. Peu lui importait que Joe prenne ce regard pour un oui ou pour un non, elle ne comptait pas se dévoiler tout de suite. Ce qui primait dans l'immédiat, c'était qu'il la laisse passer.

— Je vais me rendre dans ce foyer, que ça te plaise ou non, Joe.

L'homme soutint son regard, visiblement indécis. Enfin, tous les muscles de son corps se détendirent et il se redressa, une lueur nouvelle dans les yeux.

— Très bien. Je n'ai que deux conditions.

Il vint se planter devant elle, menton levé.

— D'une, je t'accompagne. De deux, on fait de cet enfer sur terre un champ de ruine.

Ecaterina serra fermement la main qu'il lui tendait. Ces clauses ne changeaient finalement rien à son objectif : si l'orphelinat avait fait le moindre mal à Fiona et Nolan, elle ne comptait pas quitter les lieux autrement qu'en démolissant le bâtiment tout entier.

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