Chapitre 18 : La succession (5/5)
Ecaterina courait à toutes jambes d'une ruelle à l'autre, le vent frais s'engouffrant dans ses mèches noires chaque jour un peu plus longues. Elle approchait de la frontière invisible entre le centre-ville et les quartiers populaires quand un cri étouffé lui parvint. Elle s'arrêta net à l'entrée d'une avenue à l'éclairage défaillant et scruta les ténèbres. Rien ne bougeait.
Le bruit trouvait pourtant son origine dans la rue, elle en était certaine. Celui qui l'avait poussé était un homme. Visiblement en très mauvaise posture pour avoir réussi à faire passer tant de terreur en un son si court.
Les yeux d'Ecaterina se posèrent finalement sur une zone plus sombre encore que les environs. Vraisemblablement l'entrée d'une autre ruelle.
Elle s'y précipita sans attendre un instant de plus. Par les temps qui couraient, que son agresseur soit humain ou vampire, la victime risquait d'y laisser plus que son portefeuille.
Ses craintes se confirmèrent lorsque l'odeur de sang atteignit ses narines, portée par le vent glacé. Ses pulsions se réveillèrent aussitôt. Elles lui enjoignirent de se laisser aller, de demander son dû au criminel. Elle les chassa tant bien que mal de ses pensées et s'obligea à respirer par la bouche. Une méthode peu efficace sur le long terme, Ecaterina le savait. Mais elle lui permettrait peut-être de rester saine d'esprit suffisamment longtemps pour secourir cet homme. S'il était encore en vie.
Lorsqu'elle pénétra dans la ruelle, les images de cette nuit, quelques semaines plus tôt, se rappelèrent à elle. Ce jour-là, le plan de Neculai s'était mis en branle. Ce jour-là, elle n'avait rien pu faire, n'avait rien voulu faire.
Cette fois, malgré sa soif incontrôlée, ce serait différent.
Deux silhouettes lui apparurent et elle bondit aussitôt sur celle qui avait le dessus. Sa cible et elle firent un rouler-bouler sur plusieurs mètres. Ecaterina bondit ensuite sur ses jambes, prête à en découdre. Le vampire qui lui faisait face dénuda ses crocs. Ceux-ci brillèrent dans la pénombre d'un liquide rouge dont elle obligea ses pensées à se détourner.
Derrière elle, un gémissement monta des lèvres de la victime. Ecaterina sentit une pointe de soulagement monter en elle : elle était arrivée à temps.
— Eh, si tu peux te lever, barre-toi vite ! lança-t-elle sans se retourner.
Malheureusement, l'homme poursuivit ses lamentations sans bouger. Il devait être en mauvais état.
— Tu bosses pour ce salaud de Cula, pas vrai ? demanda-t-elle à l'addict.
Ce dernier se contenta de se tasser légèrement sur lui-même, sur le point de sauter, les yeux rivés sur elle. Ecaterina se tint prête. Enfin, l'homme passa à l'action. Dans un mouvement souple, la vampire lui attrapa un bras en plein vol et le plaqua au sol. L'addict poussa des râles inaudibles, une main tremblante tendue vers sa victime. C'est à peine s'il semblait remarquer son adversaire assise sur son dos.
Ecaterina suivit son regard jusqu'à l'homme gisant au sol. Il tenait une main plaquée contre son cou pour tenter d'endiguer l'hémorragie, ses paupières s'entrouvraient par moment pour venir fixer des yeux fiévreux sur son agresseur et sa sauveuse. Le champ de vision de celle-ci se rétrécit, se teinta peu à peu d'écarlate. Aussitôt, elle détourna son attention en déglutissant. La vampire concentra avec difficulté tous ses sens sur l'addict qui se débattait au sol. Elle ne voulait pas tenter ses propres démons, au risque d'achever la victime elle-même.
— Dis donc, toi, tu l'as bien amoché, ce pauvre humain, susurra-t-elle à l'oreille de l'agresseur. Tu aimerais que je te fasse pareil ? Tu comprendrais peut-être que ce n'est pas très gentil d'attaquer les gens comme ça.
Son cerveau luttait comme il le pouvait contre les frissons glacés qui commençaient à se répandre dans ses membres. Elle le savait, elle approchait de ses limites. L'addict était toujours focalisé sur sa proie, visiblement incapable de tenir la moindre conversation, encore moins de la renseigner sur les plans de son ennemi. Plus une once de conscience ne transparaissait dans ses gestes. Ecaterina avait sous les yeux une simple machine à tuer obnubilée par le sang humain.
— Je suis désolée, souffla-t-elle.
D'un geste vif, elle enfonça sa main dans son dos. Droit dans son cœur. Le seul moyen qu'elle connaissait pour exterminer en un seul coup un vampire de bas rang. Ce dernier se raidit. Il poussa un dernier râle assoiffé, puis son corps s'effrita peu à peu. Quelques secondes plus tard, seuls les vêtements étalés sur le bitume humide, tâchés de sang et de cendres, témoignaient encore de son existence.
Dans un soupir, Ecaterina se leva et s'approcha de l'humain.
— Eh ! Portable, exigea-t-elle en tendant la main.
Le blessé fit mine de prendre quelque chose dans sa poche, mais le peu de forces qu'il lui restait ne lui suffit pas pour achever ce simple mouvement. La vampire plongea donc les doigts dans le manteau et en sortit le téléphone, la manche de son blouson tirée de sorte à ne pas laisser la moindre empreinte digitale. À l'aide de la main froide de l'homme, elle composa le numéro des services de secours et attendit.
— Bonsoir, quelle est votre urgence ? s'enquit poliment une voix de femme.
— Un homme se vide de son sang dans une ruelle perpendiculaire à l'avenue de l'Égalité, annonça-t-elle en rendant sa voix aussi fluette que possible.
Un court silence lui répondit, puis son interlocutrice reprit la parole :
— Les secours sont en route. Restez avec la victime, parlez-lui, ne quittez pas les lieux.
— Parlez-lui vous-même, j'ai aqua-poney.
Ecaterina posa le téléphone à côté de l'oreille du blessé.
— Bon courage, murmura-t-elle avant de repartir en courant.
Quand elle rejoignit l'avenue, elle tomba sur le groupe de Foxley, couteaux à la main, capuches et masques dissimulant leur visage. Peut-être étaient-ils aux trousses de l'addict qu'elle venait de réduire au silence. Si c'était le cas, ils arrivaient beaucoup trop tard.
— Les flics sont en route, on se tire, ordonna-t-elle.
Le vampire musculeux acquiesça sans un mot. À la lueur qui brillait au fond de son regard, Ecaterina vit qu'il ne poserait pas de questions : il avait compris que cette histoire était réglée.
Peu décidée à rentrer, la vampire se joignit au groupe pour la suite de la chasse. Sa petite démonstration de force de la nuit précédente semblait avoir fait son effet, puisque Foxley accepta tacitement sa présence et se plia à ses ordres sans protester.
Lorsque les chasseurs d'addicts eurent rejoint leur territoire, ils se séparèrent. Le partenaire de patrouille d'Ecaterina ne payait pas vraiment de mine : c'était un vampire en apparence plus jeune qu'elle dont le manque d'assurance se voyait comme le nez arqué qui ornait le milieu de sa figure. Les petits mouvements nerveux qui agitaient ses mains ainsi que ses sourires peu assurés irritèrent sa cheffe dès leur première rencontre, mais elle passa outre lorsqu'elle découvrit avec surprise qu'il parvenait à la suivre sans le moindre problème.
Ils sillonnèrent les rues, l'oreille aux aguets. Pourtant, lorsque les premières voitures commencèrent à sortir des parkings pour encombrer les rues et qu'ils décidèrent de rentrer au quartier général du gang, aucun addict n'avait croisé leur chemin.
La main à la bouche pourmasquer un bâillement, Ecaterina rejoignit l'appartement de Sean et se laissatomber dans le canapé. Elle jeta un œil à son téléphone. Son visage s'éclaira d'unsourire quand elle découvrit le SMS non lu qui l'y attendait depuis quelquesheures déjà : « Passe une bonne nuit ! ». Elle réponditrapidement à Mikaël et se laissa happer par le sommeil qui ne demandait qu'àl'engloutir.
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