Chapitre 17 : Le gang (4/4)
Lorsqu'Ecaterina arriva devant la fenêtre de Mikaël, elle s'aperçut avec une certaine satisfaction que le volet comme la fenêtre avaient été laissés ouverts. Elle se glissa donc entre les deux battants et jeta un œil dans la pièce illuminée.
Le ciel n'avait pris ses teintes sombres que depuis quelques minutes et le jeune homme n'était pas encore couché. D'ailleurs, il n'avait visiblement pas l'intention de se mettre au lit tout de suite. La vampire l'observa un instant, partagée entre l'ébahissement et le fou rire.
Mikaël était allongé sur un appareil de sport, une barre d'haltère entre les mains. Il souleva avec difficulté les quatre petits disques enfoncés de chaque côté, mouvement accompagné d'un souffle d'effort.
Après deux ou trois répétitions, il posa la barre dans les crochets et se redressa, son torse nu brillant de sueur. Ecaterina devina aux muscles naissants qui protrudaient sur son ventre et ses bras qu'il ne s'était pas mis au sport la veille. Par souci de se montrer utile en cas de combat ? Il devait pourtant savoir que même un vampire de bas rang pouvait soulever cette barre sans le moindre effort.
Les yeux de Mikaël se posèrent sur la petite chauve-souris posée sur le rebord de sa fenêtre et il retint de justesse un hoquet de surprise. Il bondit sur ses pieds, lança à sa visiteuse la même robe de chambre que la veille et prépara ses feuilles et son crayon pendant qu'Ecaterina, son apparence humaine retrouvée, s'enveloppait dans le doux tissu de soie.
Un mouvement sur le canapé attira l'attention de la vampire et elle aperçut Phil qui émergeait doucement de sous un coussin. Le chiroptère lui adressa un petit geste de l'aile avant de se replonger dans le feuilleton à l'eau de rose qui passait à la télévision. Ecaterina ne put s'empêcher de se demander si la série était vraiment si intéressante que cela ou si c'était elle qui lui faisait peur après les révélations de la veille.
Mikaël ne la laissa pas s'interroger plus longtemps et lui tapota le bras pour lui montrer ce qu'il avait inscrit sur sa feuille à l'encre invisible : « J'ai de nouvelles informations sur Cula. »
D'abord très intéressée, Ecaterina acquiesça pour l'inviter à en dire plus. Puis la raison de sa venue se rappela à elle et elle lui prit le crayon des mains pour inscrire son propre message sous le sien.
« Moi aussi. Il est de mèche avec le gouvernement. Prenez vos affaires, on s'en va. Vous êtes en danger, ici. »
Mikaël la dévisagea un instant, stupéfait. Puis il reprit le stylo.
« Surtout pas ! Même si je suis assigné à résidence, je peux encore communiquer avec mon père. La situation ne lui plaît pas vraiment, donc il se montre particulièrement bavard pendant les repas. »
Il fallut quelques secondes à Ecaterina pour se souvenir que la famille Lhom faisait partie du gouvernement de Prémices depuis sa création. Le père de Mikaël devait donc avoir son mot à dire dans les affaires de la Cité-État, sans oublier des oreilles qui traînaient un peu partout dans les bureaux. Si le politicien ne savait pas tenir sa langue, il était vrai que le jeune homme tenait là un véritable puits d'informations. Cependant, les liens qu'entretenait Neculai avec les autorités de Prémices inquiétaient sérieusement la vampire.
« Mikaël, si Cula a vent de mon retour à Prémices, ça m'étonnerait beaucoup qu'il te laisse tout seul dans ta chambre... Il te gardera près de lui, là où il peut te surveiller, ou alors il se débarrassera de toi ! Ça me surprend déjà pas mal que tu ne sois pas surveillé plus que ça. »
Visiblement agacé, le jeune homme griffonna sa réponse en soupirant.
« Tu rigoles ? Ils ont truffé cette pièce de micros ! Je ne vois pas ce que tu voudrais qu'ils fassent de plus... »
Lui coller quelqu'un aux fesses vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? Installer des caméras ? Ecaterina garda ses réflexions pour elle. Évidemment, Mikaël n'était pas un vampire, mais un humain. De la haute société, qui plus est. Il n'aurait pas été acceptable de lui réserver un tel traitement, contrairement à ses concitoyens aux yeux rouges.
Le jeune homme sembla remarquer l'amertume qui se dessinait sur les traits d'Ecaterina et s'apaisa aussitôt.
« Ne t'inquiète pas pour moi, Ecaterina. Si je sens que la situation s'envenime, je me ferai la malle ! »
Comment ? Une fois de plus, la vampire garda sa question pour elle. Mikaël la couvrait d'un sourire confiant qu'elle devinait à des lieux de ce qu'il ressentait réellement. Il en avait assez d'être protégé, de devoir sans cesse compter sur les autres, de se sentir faible. Il avait trouvé une tâche que lui seul pouvait accomplir et était prêt à risquer sa vie pour la mener à bien.
Un instant, Ecaterina s'imagina l'emmener de force. Il lui suffisait de détruire ce bracelet, de le traîner à l'extérieur et de le conduire jusqu'au repaire des Crocs Écarlates. Là-bas, il serait en sécurité.
Et après ? Allait-elle le laisser seul dans l'appartement de Sean pendant qu'elle se battait contre Neculai ? L'accueillerait-il tous les jours avec ces yeux tristes et désespérés qu'il lui avait adressés maintes fois, quand elle sortait la nuit avec leurs compagnons en l'abandonnant dans le canapé ?
Elle réprima l'inquiétude qui commençait à lui tordre le ventre et reprit le crayon :
« Très bien, tu peux rester. Mais sois discret. »
Elle vit le regard de Mikaël s'illuminer de joie. Il fit mine de récupérer le stylo, peut-être pour la remercier. Elle reposa cependant la mine sur la feuille pour poursuivre la discussion. Les remerciements, ce n'était pas son truc, elle ne savait jamais comment réagir.
« Alors, qu'est-ce que tu as, de ton côté ? »
« Comme tu l'as toi-même supposé, je soupçonne ce pseudo-Dracula d'être en contact avec certains membres du gouvernement. Les deux partis principaux sont plus divisés que jamais : les Égalitaristes essayent de faire lever les restrictions qui pèsent sur les vampires, mais les Protectionnistes leur barrent la route. Mon père a entendu d'étranges rumeurs comme quoi ses opposants s'étaient alliés à un vampire, il n'a en revanche pas connaissance de son identité. J'imagine qu'il s'agit de ton Neculai Rudolf. »
Ecaterina avait bien conscience de fixer le long paragraphe avec des yeux de poisson mort. Égalitaristes ? Protectionnistes ? Elle se souvenait avoir entendu ces termes à la télévision mais ne s'y était jamais intéressée. Après avoir relu deux ou trois fois le message, elle comprit que les Égalitaristes prenaient le parti des vampires, contrairement aux Protectionnistes, qui donnaient la priorité aux humains. Ainsi, c'étaient ces derniers qui l'emportaient dans le débat actuel... Pourtant, elle avait cru comprendre que le gouvernement était plutôt du côté des Égalitaristes depuis sa création.
Elle leva les yeux vers Mikaël qui ne semblait ni agacé, ni étonné. Il observait l'expression perdue d'Ecaterina avec patience et amusement. Son ignorance totale sur le sujet n'était visiblement pas une surprise pour lui.
« Égalitaristes = pro-vampires, Protectionnistes = anti-vampires, confirma le jeune homme. Ces derniers ont obtenu la majorité au Parlement après l'attentat, pour la première fois de notre Histoire. Donc même si notre Président et son gouvernement sont égalitaristes, ils sont pieds et poings liés. »
Non. Décidément, elle n'y comprenait rien à ces histoires d'humains. Et elle n'en avait pas grand-chose à faire, à vrai dire. Tout ce qui l'intéressait, c'était de réunir toutes les informations possibles sur Neculai pour le mettre hors d'état de nuire. Et surtout, de lui nuire.
Le crayon cessa de frotter le papier quand Mikaël s'aperçut que les yeux de son interlocutrice ne suivaient plus ce qu'il écrivait. Il retint un sourire amusé et abrégea donc :
« En gros, je pense que Neculai dirige les Protectionnistes dans l'ombre. J'imagine qu'il complote pour faire tomber Prémices ou aligner notre politique vampirique sur le reste du monde. En retirant tous leurs droits aux tiens et en autorisant le genre de chasse qu'il affectionne tant, par exemple. »
Donc l'objectif de Cula ne se limitait peut-être pas à lui pourrir la vie ? La surprise passée, elle dut bien reconnaître qu'elle n'avait pas essayé de pousser plus loin la réflexion sur les motivations de son ennemi. Elle était la comtesse Dracula, l'originelle qui l'avait changé en vampire, il lui paraissait jusqu'à présent évident qu'elle seule se trouvait dans son viseur et que la ville n'était peuplée que de potentielles victimes collatérales dont Neculai n'avait que faire. Pourtant, c'était oublier la profession de ce dernier, celle qui l'avait poussé à s'attaquer à elle deux ans plus tôt et à se retrouver serti de ces yeux rouges qu'il méprisait tant : chasseur.
Si elle n'était pas l'unique cible de Cula, si tous les vampires l'étaient également, les prochains mouvements de son adversaire n'en seraient que plus difficiles à prédire. Qui viserait-il en premier ? Par quel moyen ? Le retrouver s'avérerait plus compliqué que prévu, sans parler de le devancer et de l'arrêter.
Ecaterina secoua la tête et empêcha le désespoir de la saisir. Elle devait se concentrer sur ce qui comptait vraiment pour elle sans s'éparpiller. Les morts, passées comme futures, étaient regrettables, mais sauver tout Prémices était irréalisable. Une chose était cependant certaine : c'était elle que le chasseur voulait en priorité. Tout ce qu'il entreprendrait ou presque la concernerait de près ou de loin. Si la vampire voulait limiter le nombre de victimes, c'était donc ses proches qu'elle devait protéger et mettre en lieu sûr. Lorsque Neculai n'aurait plus aucun moyen de pression contre elle, alors seulement, elle apparaîtrait devant lui pour lui régler son compte.
« Tu sais où pourraient se trouver Isabella et les enfants ? » s'enquit-elle.
« J'imagine qu'Isabella est incarcérée dans la Prison Pourpre, c'est un centre de détention réservé aux vampires. Si Leonid s'est fait arrêter, il doit également y être. Quant aux enfants, je n'en ai pas la moindre idée, malheureusement. »
La Prison Pourpre. Ecaterina nota le nom dans un coin de sa tête. Elle en avait déjà entendu parler à l'époque de ses premiers pas chez les Crocs Écarlates, mais ne s'était jamais sentie concernée. Après tout, à l'époque, il lui suffisait de deux ou trois coups de poing pour se sortir de n'importe quelle tentative d'arrestation. Le nom du lieu était donc tout ce qu'elle connaissait à son propos. Il lui faudrait se renseigner auprès de Sean pour en apprendre davantage.
Après quelques secondes de silence, à l'oral comme sur le papier, il devint évident à Ecaterina que Mikaël n'avait pas d'autre information à lui transmettre. Elle considéra un instant la possibilité de partir sur un nouveau sujet de conversation, mais son esprit semblait peu disposé à en trouver un.
Ses yeux se posèrent alors sur la télévision allumée. Phil se trouvait sur le canapé qui y faisait face, caché de l'autre côté du dossier. Il n'en avait pas bougé depuis son arrivée.
« Il vaudrait peut-être mieux que j'emmène Phil avec moi, suggéra-t-elle. Je sais qu'il n'apprécie pas les Crocs Écarlates, mais il serait plus en sécurité qu'ici... »
À mesure que les yeux de Mikaël parcouraient ces quelques lignes, la vampire vit ses traits se tordre en un rictus embarrassé. Il lui prit le crayon des mains, hésita encore un instant, puis écrivit :
« Je vais le garder ici encore un peu. Il m'assure que non, mais ce que tu nous as avoué hier le travaille malgré tout. »
Ecaterina sentit son cœur se serrer. Elle le savait, Phil tenait plus de l'animal que de l'humain, à présent, et il n'était pas téméraire au point de s'approcher innocemment d'un danger potentiel. En tant qu'originelle, elle devait être l'égal d'un boss final à ses yeux. La vampire s'était convaincue que son étreinte de la nuit dernière signifiait qu'il l'acceptait, mais peut-être avait-il ravalé temporairement sa terreur, histoire de ne pas s'attirer les foudres du monstre qu'elle était.
Le bruit léger du crayon qui glissait sur le papier ramena son attention à ce qu'écrivait Mikaël.
« Laisse-lui un peu le temps de s'y faire, il redeviendra vite ce pot de colle qui t'ennuyait tant. »
La vampire leva le regard sur le visage de son interlocuteur et aperçut le sourire rassurant qu'il lui adressait. Elle acquiesça. Elle voulait y croire. Après tout, elle n'avait pas changé. Elle était toujours elle-même, cette colocataire détestable et violente que Phil avait appris à supporter. Un timide sourire se dessina sur ses lèvres : que deviendraient les réflexes du chiroptère si elle ne s'entraînait pas quotidiennement au lancer de coussin sur lui ?
Quelque peu rassurée, Ecaterina salua Mikaël de la main, se dirigea vers la fenêtre tout en reprenant sa forme de chauve-souris et s'envola dans la nuit.
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