Chapitre 15 : Le camp (2/3)
Comme convenu, Katrina se présenta à la tombée de la nuit autour du feu. Elle salua d'un signe de tête les deux femmes et l'homme qui avaient été chargés de surveiller les environs dans la journée et s'installa à côté des flammes dansantes. La douce chaleur qu'elles dégageaient se répandit peu à peu dans ses membres, où elle vint contrecarrer l'action du froid mordant en cette fin d'automne. Katrina inspira avec délice l'odeur du bois brûlé et se laissa aller à un brin de nostalgie. Elle s'imagina un instant de retour dans son château, assise sur les genoux de sa mère devant la cheminée, un livre ouvert devant elles...
Le craquement sonore d'un morceau de charbon la tira de sa rêverie. Elle secoua la tête pour se débarrasser de ce sentiment de paix qui l'avait envahie. L'heure n'était pas à la détente.
Bientôt, les deux autres vampires qui lui tiendraient compagnie pendant la nuit s'approchèrent à leur tour. Elle ne les avait jamais vus. Peut-être des nouveaux dans le camp. Ils avaient l'air de ne pas trop savoir où se mettre ni quoi dire.
Katrina leva la main pour leur indiquer d'approcher.
— Venez vous asseoir, leur proposa-t-elle quand l'équipe de la journée eut libéré la place.
Ils se regardèrent avec inquiétude puis reportèrent leur attention sur elle, des questions plein les yeux, visiblement perdus.
— Ils comprennent rien, c'est bien ma veine... marmonna-t-elle.
Elle tenta le roumain, puis le français, sans succès.
Enfoiré d'Aldric... pesta-t-elle intérieurement.
Résolue à passer la nuit dans un silence complet, elle se désintéressa totalement de ses deux camarades et remua les bouts de bois sur lesquels dansait leur source de chaleur. Ses deux camarades se lancèrent dans une conversation à voix basse, dans une langue chantante qu'elle ne connaissait pas.
Trois heures plus tard, la fatigue commença à se faire sentir. Elle se leva donc, mima le geste de la balade aux deux autres gardes avant d'enfoncer les mains dans les poches trop grandes de son blouson.
Elle se mit à marcher, à mi-chemin entre le camp et l'orée de la forêt, ses sens entièrement focalisés sur le sous-bois obscure. Le parfum de terre mouillée, le hululement des chouettes... L'ambiance familière de la forêt éveillait les instincts de chasseuse qu'elle avait développés au fil des siècles. Animaux sauvages, humains imprudents, les uns comme les autres finissaient toujours par se trahir. Une branche qui craquait, des feuilles qui bruissaient... Au moindre son potentiellement suspect, elle s'immobilisait et guettait. Puis elle reprenait sa route.
Ce qui l'alerta ne fut pourtant pas un bruit naturel de la forêt, mais le claquement caractéristique du chargement d'un fusil.
Katrina fit immédiatement face au son et bondit dans sa direction. Elle aurait pu zig-zaguer pour rendre la visée difficile, mais c'était risquer qu'une balle perdue ne touche l'un des réfugiés endormis derrière elle. En tant qu'originelle, ce n'était pas une cartouche ou deux qui allaient l'effrayer, elle guérirait bien assez rapidement de ses blessures. Tout ce qu'elle avait à faire, c'était éviter l'hémorragie.
Un frisson lui parcourut l'échine quand le souvenir des fusils gros calibres se rappela à elle. La vampire écarta aussitôt les éclairs de souffrance et d'horreur qui traversèrent son esprit pour se concentrer sur son combat. Elle serra les dents et accueillit volontairement le tir qui lui perfora le ventre.
Heureusement, elle comprit immédiatement au choc qu'il s'agissait d'une arme plus classique que celles dont la police de Prémices s'était dotée. Un sourire se dessina sur ses lèvres, signe extérieur du soulagement qui gonflait en elle. Cette fois-ci, la victoire lui reviendrait. Comme cela aurait toujours dû être le cas. Elle était une originelle, l'un des êtres les plus puissants du monde, elle ne devrait pas avoir à se soucier d'autre chose que de ses vêtements.
Sans ralentir pour constater les dégâts sur son blouson, elle sauta sur le chasseur qui l'avait touchée et lui arracha le fusil des mains. D'un coup de genou, elle brisa l'arme en deux et la lui rendit.
L'homme récupéra son bien, son air sidéré parfaitement visible malgré les lunettes à vision nocturne et les peintures de camouflage qui maquillaient son visage. D'un coup de pied, elle l'envoya au pays des songes où il pourrait réfléchir tranquillement à ce qui l'attendait s'il revenait faire des trous dans ses vêtements.
La seconde balle manqua sa tête de quelques centimètres.
Les chasseurs s'étaient apparemment donné rendez-vous cette nuit-là. Ses yeux perçurent le faible reflet des lunettes à vision nocturne du deuxième tireur et elle sourit. Un peu d'exercice facile lui faisait du bien après cette semaine des plus frustrantes. Apparemment, son rictus ne passa pas inaperçu chez le chasseur. Celui-ci la visa une nouvelle fois, les dents serrées, visiblement apeuré d'avoir été découvert. Il tira, mais la balle se ficha dans un arbre à quelques centimètres d'elle.
Katrina s'avança sans vraiment se presser, savourant la mine en pleine décomposition du tireur et ses balles de moins en moins précises. Quand elle arriva à sa hauteur, l'homme tomba à la renverse dans un buisson. Elle lui prit son fusil sans rencontrer la moindre résistance et fit subir à l'arme le même sort qu'à celle de son collègue.
Elle s'accroupit ensuite pour bien le regarder dans les yeux.
— Alors, dis-moi, vous êtes combien, aujourd'hui ? demanda-t-elle, un grand sourire sur les lèvres.
C'était apparemment l'expression qui faisait le plus d'effet à ceux qu'elle menaçait, elle ne s'en priva donc pas.
— Pardon... Pardon... Ne me tue pas... Pardon...
Katrina ricana. Enfin une langue qu'elle connaissait...
— Combien êtes-vous, aujourd'hui ? répéta-t-elle en roumain.
Le fait qu'elle parle sa langue sembla effrayer davantage encore le chasseur. Il recula prestement jusqu'à ce que son dos se retrouve contre un arbre.
— J'attends... insista Katrina.
— Di... Dix... bredouilla l'homme. Par pitié...
— Travaillez-vous avec Cula ?
Cette fois-ci, il sembla surpris.
— Qu... Qui ?
— Neculai Rudolf, précisa-t-elle. Un ancien collègue à toi, j'imagine.
Le chasseur se mordit la lèvre et baissa les yeux. Il n'en fallut pas davantage à Katrina pour comprendre.
— Merci pour ces informations, déclara-t-elle en l'assommant.
Ainsi, même devenu vampire, Cula travaillait toujours main dans la main avec les chasseurs. Si ses alliés se trouvaient aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de Prémices, elle allait au-devant de quelques difficultés.
Katrina attrapa le deuxième homme par une jambe, puis le premier et les ramena vers le camp de réfugiés. Ils avaient forcément un moyen de communiquer avec leur camarade infiltré, les laisser filer était donc hors de question.
Elle les ramena au feu de camp où l'attendaient les deux autres gardes. Les coups de feu n'étaient visiblement pas passés inaperçus : les vampires s'étaient levés et la fixaient avec inquiétude et vigilance. Pas très réactifs, les zouaves.
Katrina leur balança ses deux prisonniers, leur fit signe de garder un œil sur eux et se renfonça dans la forêt sans faire attention à leur mine décontenancée.
Les cinq chasseurs suivants ne furent pas compliqués à débusquer. Elle se promena entre les arbres sans chercher à se cacher. L'un après l'autre, ils mordirent à l'hameçon et se retrouvèrent, inconscients, autour du feu de camp où de plus en plus de réfugiés s'étaient rassemblés.
Les trois derniers s'avérèrent un peu plus organisés que leurs collègues.
Tandis qu'elle arpentait une nouvelle fois les environs, dans l'attente d'une attaque, un chasseur apparut devant elle, parfaitement visible. De toute évidence, son but n'était pas de la prendre en embuscade.
Elle s'approcha tranquillement, étonnée qu'il ne la mette pas en joue. Sa surprise et son amusement ne firent que croître quand elle le vit faire volte-face et s'enfoncer en courant dans la forêt.
Un piège, de toute évidence. Katrina observa l'endroit où le chasseur avait disparu, curieuse. Qu'avaient-ils bien pu imaginer pour l'arrêter ? Ses dernières proies étaient-elles en possession des mêmes fusils que la police de Prémices ? Sans doute pas, sinon, leurs collègues également en auraient été dotés. Elle se rappela alors les explosifs que Cula avait utilisé pour détruire son château et espéra qu'ils avaient essayé de faire preuve d'un peu plus d'originalité. Les grenades, c'était bruyant, et aucune chance que son blouson en sorte indemne.
Elle haussa les épaules et suivit le chasseur. Elle verrait bien ce qu'ils avaient préparé en arrivant.
Katrina déboucha bientôt sur une petite clairière, tout aussi sombre que les zones boisées autour d'elle. Elle eut beau focaliser toute sa concentration sur ses yeux, ceux-ci ne lui étaient d'aucune utilité. Ses adversaires n'avaient sans doute pas choisi une nuit nuageuse au hasard pour passer à l'attaque.
C'était sans compter sur ses sens que des siècles de chasse avaient affuté pour de telles situations. Quand ils donnèrent l'assaut, la vampire était prête à les recevoir.
D'abord un coup de feu, qu'elle esquiva sans peine après que la respiration du tireur l'eut trahi, puis un second qui l'empêcha de bondir sur le premier. La troisième attaque prit une forme différente, mais elle s'y attendait depuis qu'elle avait appris que ces chasseurs étaient des alliés de Cula.
Elle entendit la grenade siffler dans les airs avant même qu'elle ne touche le sol et la renvoya à son propriétaire d'un coup de pied.
Le bref cri qui perça la nuit dans cette direction au moment de l'explosion lui indiqua que la bombe avait trouvé sa cible. Katrina concentra aussitôt toute son attention sur son ouïe pour ne pas risquer de percevoir l'odeur métallique qui ne manquerait pas de s'élever dans l'air.
Ses adversaires se comptaient désormais au nombre de deux.
Katrina entendit des pas se déplacer aussi discrètement que possible derrière elle. L'autre chasseur, face à elle, bougeait également, sans doute pour ajuster un nouveau tir. Elle attendit un instant, puis, une fois parfaitement encerclée, guetta la détonation des fusils.
Les deux tirèrent exactement au même moment. Elle se jeta à terre. Un court gémissement suivi d'un bruit mât lui apprit qu'il ne restait plus qu'un seul chasseur encore debout.
Sa main se posa sur quelque chose de dur. Une pierre. Elle la saisit et la fit tourner entre ses doigts.
Katrina n'était pas une tueuse. Elle se l'était promis. Cependant, deux hommes étaient sans doute morts cette nuit. L'un tué par la grenade qu'elle lui avait renvoyée, l'autre par une balle amie qu'elle avait esquivée. La seconde n'était pas vraiment de son fait, mais la première... Sans compter les gardes de la baronne Engler qu'elle avait abattus pour s'enfuir de la résidence. Cela faisait finalement un moment que ce vœu n'était plus d'actualité.
Le craquement d'une branche derrière elle lui indiqua que le dernier chasseur n'avait toujours pas renoncé. Son poing se referma sur la pierre, elle se redressa et pivota de toute la vitesse que lui permettaient ses muscles avant de lâcher le projectile.
Le dernier homme s'affala devant elle. Inerte.
Elle s'assura qu'aucun de ses adversaires n'était plus en état de lui causer le moindre tort, récupéra leurs fusils et quitta la clairière en direction du camp.
À son retour, c'était l'effervescence autour du feu. Réveillés par les explosions et les détonations, un bon nombre de réfugiés avaient fait leur chemin vers les flammes. L'inquiétude dominait pour certains, d'autres semblaient prêts à en découdre.
Les sept chasseurs qu'elle avait arrêtés quelques minutes plus tôt se trouvaient au centre d'un cercle de vampires furieux qui s'écarta sur son passage. Les humains qui avaient repris connaissance semblaient le regretter.
— Katrina ! l'interpella Aldric en la voyant revenir. Pourquoi les as-tu ramenés en vie ? Ils sont beaucoup trop dangereux ! Nous devons les tuer immédiatement !
Les yeux de la vampire se posèrent sur ses prisonniers. Elle croisa brièvement le regard du jeune homme qui l'avait suppliée de l'épargner. Il pleurait.
Elle flanqua les trois fusils dans les mains du chef de camp et repartit vers sa tente sans un regard en arrière.
— Faites-en ce que vous voulez.
Elle n'était pas Katrina. Katrina n'avait jamais existé. Elle s'était réfugiée derrière cet alias, derrière cette façade de jeune femme normale, vampire de bas rang sans importance. Elle avait tenté d'oublier qui elle était vraiment et ce passé qu'elle tenait en horreur.
Pourtant, si elle voulait vaincre, elle ne pouvait se permettre de se confondre en mensonges. Le temps des masques était passé. À présent, seul comptait son combat contre ceux qui s'en étaient pris à elle.
Ecaterina le leur ferait regretter.
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