Chapitre 9 - Côme : La route du lac
Après cet appel revigorant, je rejoins Ethan qui nous guide à travers les petites rues, jusqu'à un café à la devanture discrète. Caffè dei due fratelli, indique un panonceau en bois.
— Nous y voilà, déclare Ethan. De quoi reprendre des forces avant le périple qui nous attend !
Nous nous installons à l'une des tables. Je remarque que c'est l'un des seuls locaux de la rue déjà ouverts. Ce qui n'est pas si surprenant, considérant qu'il n'est même pas sept heures.
— Ethan ! Come stai ?
Interpellé par une voix inconnue, je relève la tête. Visiblement, l'employé du café connaît déjà mon ami.
— Bene, bene, grazie.
Je le regarde avec surprise tandis qu'il converse naturellement avec le serveur. Je sens qu'il s'efforce pour prononcer correctement les mots, mais tout de même !
— Due colazioni all'italiana, come sempre ?
— Sì, sì, per favore. Grazie, Gianni.
Je tourne vers Ethan un regard surpris dès que l'employé s'éloigne.
— Je ne savais pas que tu parlais italien ! Ni que tu connaissais des locaux.
Mon ami esquisse un sourire énigmatique.
— Secrets de voyageurs...
— Oh, ne me la fais pas, à moi, celle-là, le coupé-je aussitôt.
Visiblement surpris par mon air intransigeant, Ethan finit par céder :
— Je ne parlais pas un mot avant de venir ici, mais j'ai appris à baragouiner deux trois trucs une fois sur place. Et, pour ce qui est du serveur, je le connais car je viens prendre mon petit-déjeuner ici tous les jours depuis mon arrivée.
— Ah oui ? Cet endroit est si génial que ça ?
— Ce n'est pas tant pour la nourriture que je viens. En fait, j'aime créer des habitudes lorsque je voyage. J'ai remarqué que de me rendre tous les jours au même endroit, même si c'est pour un simple café, était un bon moyen de rentrer en contact avec les locaux. Les gens finissent par me reconnaître et me poser des questions. Si je m'en sors bien, je peux même arriver à pêcher quelques anecdotes insolites en lien avec leur région.
J'acquiesce, de nouveau surpris par sa manière de procéder. Au même moment, le serveur débarque avec notre commande :
— Due cappuccino e due cornetti. Buona colazione !
Nous le remercions avant de nous attaquer à notre petit déjeuner. Je commence par touiller mon capuccino, puis examine d'un air curieux le croissant qui l'accompagne.
— Voilà un petit déjeuner typiquement italien, m'indique Ethan.
— Typiquement italien ? Je croyais que le croissant était français, remarqué-je.
— Celui-là est un peu différent. Ouvre-le et tu verras.
Je m'exécute et y découvre de la crème et de la confiture. Pas sûr que les français approuvent de voir leur pâtisserie iconique ainsi détournée, mais je ne m'en formalise pas et le plonge dans mon capuccino encore chaud.
La bouchée que je prends me réchauffe le corps et l'âme. Je réalise alors avec surprise que je n'avais rien mangé depuis le misérable plateau-repas de mon vol cauchemardesque où, l'estomac noué, j'avais eu bien du mal à avaler quoi que ce soit.
— Bon, et quel est le plan exact pour aujourd'hui ?
Ethan termine sa bouchée avant de me répondre :
— J'ai fait quelques recherches sur mon téléphone à l'auberge. Nous pouvons nous rendre à Côme en train depuis la gare centrale. Le trajet ne dure que quarante minutes, et les trains ici ne sont vraiment pas chers.
En repensant au montant de mon trajet depuis l'aéroport, j'esquisse une moue dubitative. Ethan, qui n'en perçoit rien, poursuit :
— En revanche, le littoral du lac de Côme est difficilement accessible pour les randonneurs, car souvent privatisé et construit. Une énorme connerie, si tu veux mon avis... Mais bon, le fait est qu'il n'y a pas de promenade qui nous permette d'en longer le bord.
Ses paroles, déclamées d'un air las, attisent la panique en moi.
— Hein ? Mais alors, qu'est-ce qu'on va faire, là-bas ? On ne va jamais pouvoir camper !
— Pas si vite, Sammy, pas si vite. Comme tu t'en doutes, le baroudeur que je suis a trouvé sans grande peine un plan B...
Ethan arque un sourcil d'un air fier. Encore méfiant, je le toise en plissant les yeux.
— Il existe un chemin de randonnée au départ de Côme, en hauteur dans les montagnes, qui nous permettra de profiter de superbes panoramas sur le lac. Quarante kilomètres, deux jours de marches, c'est parfait pour nous ! Et c'est mille fois mieux que de randonner autour du lac. Là, on sera en pleine nature !
Les arguments qu'il me donne sont loin de susciter le même engouement chez moi que chez lui. Quarante kilomètres, deux jours de marche ? Et en pleine nature, c'est-à-dire sur le territoire de toutes sortes de prédateurs féroces ?
Je m'efforce de faire preuve d'un minimum d'enthousiasme, mais le seul « ah, super » que je parviens à lâcher n'est pas très probant.
Heureusement pour moi, Ethan a assez d'optimisme pour deux. Dans un sourire rayonnant, il déclare :
— Allez, dépêchons-nous de finir ce petit déjeuner. L'aventure nous attend !
* * *
Le début de notre périple se fait sans encombre. Après un petit détour par le supermarché pour acheter quelques provisions, ainsi que des caleçons neufs pour ma part, nous avons pris la direction de la gare centrale.
Concernant le train, Ethan disait vrai : les prix sont plus que raisonnables. En tout cas, rien à voir avec ce que j'avais payé à l'aéroport : ici, le trajet de Milan à Côme ne m'a coûté que quelques euros.
Sur place, nous prenons un funiculaire pour atteindre les hauteurs de la ville, d'où part le sentier. Le Phare de Volta, qui nous offre un panorama déjà impressionnant sur les montagnes alentour, marque le départ de notre randonnée.
Au bout d'une heure trente de marche, nous atteignons notre premier point de vue sur le lac. « Monte Boletto » indique une petit pancarte.
Quelle vue ! D'ici, les montagnes semblent comme scindées par ce lac de forme sinueuse, dont l'étendue bleu azur s'étire jusqu'à l'horizon. Tout autour, plusieurs couches de reliefs se dessinent dans un dégradé de nuances allant du vert à un violet teinté de bleu. Sur le mont où nous nous trouvons, il n'y a pas un bruit. Seule une légère petite brise fait danser les brins d'herbe, qui se cambrent dans une mélodie apaisante.
— J'adore, murmure Ethan. Ce genre de paysage me rappelle à quel point nous sommes petits et insignifiants.
Alpagué par sa remarque, je pointe sur lui un regard curieux.
— Et tu trouves ça rassurant ?
— Oui, ça m'aide à relativiser. Notre passage dans ce monde est tellement bref. Pourquoi perdre son temps dans des choses futiles quand il y a tant à voir et à faire ?
Je me contente de hausser les épaules, moyennement d'accord. Parfois, ces « choses futiles », comme il les appelle, ont aussi leur importance. Je ne pense pas que l'on puisse vivre à cent à l'heure, en sautant d'une expérience marquante à une autre.
— En tout cas, je suis d'accord avec toi, déclaré-je finalement. La vue est spectaculaire.
Nous demeurons quelques instants immobiles, à contempler le paysage. Quand je me tourne et commence à rebrousser chemin, Ethan m'interroge :
— Où tu vas ?
— Ben, je rentre.
Le ton naturel que je m'efforce d'employer ne lui échappe pas.
— Comment ça ? Il nous reste encore toute la randonnée à faire.
Malgré l'évident échec de ma tentative, je tente tout de même de le convaincre :
— On y est, on a vu le lac de Côme, non ? C'est bon, objectif accompli. Je ne vois pas en quoi ce serait nécessaire d'aller plus loin.
— Objectif accompli ? répète Ethan en me toisant d'un air de défi. Oh, non, Sammy... Je me souviens parfaitement de ce que disait l'objectif. Et toi aussi, d'ailleurs...
Mon ami marque une pause, le temps de s'approcher. Seul le craquement des brindilles sous ses grosses boots s'élève dans l'air frais de la montagne.
Une fois face à moi, il m'interroge :
— Tu ne te souviens pas de ce qui est écrit ?
— Euh, pas vraiment... lâché-je, dans la pire des mauvaises fois.
— Cam-ping, articule alors Ethan dans un sourire narquois. Et tu n'y couperas pas. Même si je dois t'y traîner par les cheveux. Maintenant que tu m'as mis dans la confidence de cette histoire de malédiction, il est hors de question que j'aie ta mort sur la conscience !
Je lève les yeux au ciel.
— Si c'est réellement mon sort qui te préoccupe, j'ai certainement plus de chances de mourir en passant une nuit entière au beau milieu des montagnes.
— Arrête de te chercher des excuses, Sammy, et dépêche-toi de me suivre. On a encore de bonnes heures de marche devant nous, et je ne voudrais pas avoir à les faire en pleine nuit !
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