Chapitre 25 - Castelmezzano : Dans les nuages

— Alors ça y est, c'est ici que nos chemins se séparent ?

Si je soupçonne le léger tremblement de la voix de Leonardo d'être le fruit d'une plaisanterie, son visage attristé semble bel et bien témoigner de sa tristesse.

À deux doigts de monter à l'arrière de la moto de Stella, je me retourne vers mon ami le cœur serré. Bien que nous n'ayons passé que trois jours ensemble, je me suis beaucoup attaché à lui. Un attachement qui me rappelle celui que j'avais ressenti au moment de quitter Ethan. À la différence près que, contrairement à mon ami canadien qui s'ouvrait aux autres sans difficultés, Leonardo est plus réservé. Et pourtant, j'avais réussi à percer sa bulle.

— Je n'aurais jamais cru dire ça à quelqu'un que je ne connais que depuis quelques jours, mais... Tu vas me manquer, fratello.

Tandis que mon ami me serre dans ses bras, je souris à l'évocation du mot « frère », si chargé de sens.

— Toi aussi tu vas me manquer, hermano. Merci pour tout ce que tu as fait pour moi.

Après un court silence, j'ajoute :

— Je n'aurais jamais cru dire ça, mais je suis ravi d'être tombé sur cette horrible chambre et d'avoir été attaqué par ce lit croque-mitaine.

Leonardo éclate de rire.

— Le point positif, c'est qu'au moins, tu es entre de bonnes mains, déclare-t-il en regardant Stella. Je suis sûr que vous allez vous éclater comme des fous.

— Je l'espère, acquiescé-je.

Comme pour sceller ces paroles, j'enfonce sur ma tête le casque que m'a prêté la pilote.

— S'il te prend un jour la folle idée de fouler ces contrées lointaines, sache que tu es le bienvenu en Colombie, affirmé-je en pressant le bras de Leonardo

— Ce serait génial... soupire-t-il d'un air rêveur. Toi aussi, tu es le bienvenu à Naples.

Je souris avant de prendre place sur la banquette, derrière Stella. Lorsqu'elle enfonce la clé dans le moteur, je me tourne une dernière fois :

— Je te promets que, désormais, j'aiderai moi aussi les voyageurs dans le besoin qui croiseront ma route.

Puis, sur un sourire ému de Leonardo, l'engin démarre, nous éloignant du tumulte de Naples dans une joyeuse pétarade.

* * *

La moto de Stella nous porte pendant deux heures et demie, le temps qu'il nous faut pour arriver à destination.

Lorsque j'ai décidé d'accepter son offre, après cette fameuse discussion au café, nous avons examiné ensemble ma liste. Des quatre défis restants, celui du saut de l'ange à Castelmezzano était à la fois proche et atteignable, nous avons donc décidé de nous y attaquer en premier. Suffisamment effrayé par le seul nom de cette activité, j'ai décidé de ne regarder aucune photo : c'est donc Stella qui s'est chargée de la réservation. Nous avons également trouvé un petit logement sur place pour la nuit.

Niveau moral, on ne peut pas dire que je sois au top. D'après les nouvelles de ma famille, que j'ai eue au téléphone ce matin, ma grand-mère serait toujours à l'hôpital. Elle a beau s'être réveillée, son état n'est pas encore stable et elle est entièrement paralysée du côté gauche. L'hémiplégie a beau être une séquelle fréquente après un AVC, je n'en reste pas moins inquiet. Au vu de son âge, je me questionne sur ses chances de récupération après un tel accident.

Malheureusement, il n'y a pas grand-chose que je puisse faire. L'unique acte qui soit en mon pouvoir est de garder la foi, de prier pour que tout se passe au mieux. Et de rentrer dans une semaine avec des tas d'histoires à lui raconter pour lui redonner des forces. Car ce point-là est clair : maintenant que j'ai pris la décision d'aller jusqu'au bout de mon voyage, je ne reviendrai plus dessus.

Je suis tiré de mes pensées par une secousse de la moto, qui fige soudain sa course sur le spot de parking que Stella semble avoir choisi. Nous sommes dans le cœur de Castelmezzano, un charmant petit village qui semble suspendu à flanc de montagne. Encore de nouveaux paysages, à croire que l'Italie n'a pas fini de me surprendre !

Nous empruntons une navette qui nous guide au pied d'un sommet et commençons à grimper. Notre ascension est longue et nous mène de plus en plus haut, ce qui ne manque pas de m'inquiéter. Je commence à regretter de ne pas avoir regardé de photos avant.

— Euh, ce saut de l'ange... Est-ce que c'est un truc qui fait genre, plutôt peur ?

Stella me lance un regard amusé.

— Est-ce que tu veux vraiment savoir ?

Je marque un temps de pause, le temps de considérer sa question. Ma réflexion est peu concluante.

— Euh... Je sais pas trop...

— D'après le nom, je pense que tu te doutes bien que ce n'est pas une piscine à balles qui nous attend là-haut.

— Dommage, c'est pourtant sympa, les piscines à balles... soupiré-je.

Mon air dépité fait sourire Stella.

— Si ça peut te rassurer, moi aussi je suis assez intimidée par ce qu'on s'apprête à faire. Tu ne seras pas le seul.

Pris d'un vent de panique, je tourne vers elle un regard effaré.

— C'est censé me rassurer ? Comment tu peux me dire une chose pareille maintenant !

Comprenant que je ne suis pas en conditions de recevoir la moindre information, Stella choisit de garder le silence pendant le reste de notre marche.

Ce n'est qu'en découvrant ce qui nous attend en haut que je réalise la portée de ses paroles. C'est comme si le bandeau qui me cachait les yeux venait de m'être arraché, me dévoilant la pire, des pires des activités. Un enfer fait réalité.

Une plateforme métallique en haut de la montagne. Une vue vertigineuse sur la vallée verdoyante. Un homme est en train d'en aider un autre à attacher son baudrier. Je les vois échanger quelques mots accompagnés d'un pouce en l'air. Et là, l'homme au baudrier se lance dans le vide.

— Attendez... Monsieur !

Par réflexe, je m'élance dans sa direction pour le rattraper. Mais en une fraction de seconde, il réapparaît, suspendu par un immense câble, projeté à travers la vallée à une vitesse effarante. Très vite, je n'aperçois plus qu'un petit point au loin.

Dios mío... murmuré-je, pris de sueurs froides.

Je suis pétrifié, complètement retourné par cette vision. J'ai l'impression que mon cœur vient de plonger avec cet homme dans cette vallée vertigineuse.

— C'est vous, les suivants ?

La voix forte de l'homme qui nous attend sur la plateforme me tire de mes pensées.

— Hein, quoi ? bredouillé-je. Euh, non, à vrai dire, on passait juste par là...

Mais ma malheureuse tentative est sabotée par l'affirmation de Stella :

— Oui, c'est nous. Nous avons réservé pour un saut à deux.

Traîtresse ! Je la fusille du regard pendant que l'homme acquiesce et file dans une petite cabane. Il en ressort avec deux casques et deux baudriers. Les instants qui suivent sont assez flous. Bercé par la sensation de me trouver dans une sorte d'entre deux, je me vois enfiler le baudrier et le casque, puis entends l'homme débiter ce qui ressemble à des consignes de sécurité en hochant mécaniquement la tête.

Jusqu'à ce que je me retrouve accroupi sur la plateforme derrière Stella, au bord du vide. Si j'étais en mode pilote automatique, un simple regard vers ce qui nous attend suffit à me ramener à moi. Et le retour à la réalité est rude.

— Bordel, Stella, qu'est-ce que tu as fait ?

Mes gémissements s'élèvent dans le silence cérémonial de la vallée.

— Alors là, ne t'avise surtout pas de me faire porter la faute ! C'est ce qui était écrit sur ta liste et, crois-moi, si j'avais eu le choix, je n'aurais jamais choisi un truc pareil. J'ai déjà horreur des manèges à sensation, alors ça...

L'angoisse non dissimulée dans sa voix m'indique qu'elle dit vrai. Comprenant qu'il n'est pas juste de me retourner contre elle, je soupire et tente de me calmer.

La tâche n'est pas aisée : lorsque je ferme les yeux, des images m'assaillent. Je vois mon oncle Diego en combinaison ailée, prêt à sauter en haut du mont Kjerag. Puis les paroles de ma mère me reviennent de plein fouet.

Moi, je maintiens que notre fils ne devrait pas perpétuer cette tradition. Surtout après ce qui est arrivé à ton frère !

Ces phrases se mettent à tourner en boucle dans ma tête, mêlées à ma propre voix et entrecoupées d'images terribles.

J'ai toujours eu peur que ce prénom me porte préjudice... Et de subir le même sort que lui.

Mon pouls s'accélère. Toujours les yeux fermés, je me mets à répéter « non, non, non... ». Puis, pris d'un élan de pleine conscience, je serre mon rosario. Le contact des perles de bois sculptées me renvoie aussitôt aux paroles sages de ma grand-mère.

Abuela, j'ai besoin de toi...

Je m'efforce de respirer, mais l'air a du mal à passer ma gorge serrée. Je caresse alors la première perle de mon bracelet et commence à compter.

Neuf... Huit... Sept...

La tristesse se dépose comme un voile sur mon cœur lourd.

Six... Cinq... Quatre...

Cette émotion est soudain relayée par de la peur, une peur irrationnelle qui me submerge complètement et me donne l'impression d'avoir été plongé au cœur des enfers.

Trois... Deux... Un...

Nouvelle inspiration. J'ouvre de nouveau les yeux et laisse mes derniers démons s'envoler dans l'air frais de la montagne.

Je ne suis pas Diego, me répété-je, comme un mantra.

Accroupie devant moi, Stella m'étudie d'un regard attentif, les traits teintés d'une certaine appréhension. Je me rappelle alors que je ne suis pas le seul à avoir besoin de soutien.

— Tout va bien se passer, d'accord ? On est à deux là-dedans, affirmé-je d'un ton calme.

Ma coéquipière esquisse un sourire, avant de me serrer la main.

— Vous êtes prêts ? nous demande l'homme.

Nous acquiesçons à l'unisson. Il vient donc finaliser son travail en nous basculant, allongés et la tête vers l'avant, puis nous attache les bras le long du corps. Cette nouvelle position nous laisse un avant-goût de ce qui nous attend et je sens mon cœur marteler encore un peu plus fort contre ma poitrine.

— Allez, c'est parti !

Avant que je n'aie le temps de me préparer mentalement au départ, l'homme défait le mécanisme de sécurité et, dans un bruit de déclic, nous sommes lancés dans le vide. À côté de moi, Stella hurle à pleins poumons. Je voudrais moi aussi crier pour exorciser toute cette peur, mais aucun son ne sort de ma bouche.

Allongé dans mon baudrier, je suis complètement pétrifié. Je ne parviens qu'à serrer les poings de mes mains moites.

Sous mes yeux effarés, je vois défiler les forêts, les routes, les plaines. J'ai l'impression de survoler la vallée comme un oiseau. Je n'ai jamais rien vu de tel, le sol semble à des centaines de mètres. Tout autour de nous, des montagnes majestueuses et tapissées de verdure s'élèvent, desquelles émergent parfois un pic rocheux.

— Stella, c'est... C'est incroyable ! m'exclamé-je. C'est la pire chose que je n'aie jamais eue à faire, mais c'est incroyable !

Ma voisine, dont les cris ont cessé, me répond en hochant vigoureusement la tête.

Au loin, nous commençons à apercevoir le village où est implantée l'autre station de départ du saut de l'ange, Pietrapertosa. Comme Castelmezzano, il donne l'impression d'être niché au creux des montagnes, dans une nature encore intacte.

Nous sommes réceptionnés de l'autre côté par une femme. Une fois sur terre, je vois Stella hocher la tête pendant qu'elle nous explique quelque chose en italien. Pour ma part, je suis complètement ailleurs. Le shot d'adrénaline que je viens de recevoir me donne la sensation de marcher sur des nuages.

Lorsque Stella m'explique que nous allons prendre une navette pour rejoindre le deuxième point de départ de la tyrolienne, je ne comprends pas. Elle me lance alors, comme s'il s'agissait d'une évidence :

— Ce qu'on vient de faire n'était que l'aller ! Il faut retourner à notre point de départ maintenant et, pour ça, on va faire un nouveau saut de l'ange. J'espère que tu es prêt...

* * *

Le deuxième saut est moins horrible que le premier, mais n'en reste pas moins terrifiant. Jamais je n'avais vécu une sensation mêlant aussi étroitement la peur à l'émerveillement. Est-ce ce à quoi ressemble le fameux dépassement de soi dont parlent tous ces férus de sensations fortes ? Est-ce cette sensation de liberté qui suit lorsque l'on décide d'enfreindre ce que l'on pensait être une limite infranchissable de notre zone de confort ?

Ces questions tournent dans ma tête pendant le chemin du retour. Je reste silencieux, et Stella en fait de même. Je pense que nous avons tous les deux besoin de digérer ce qui vient de se produire.

Après avoir récupéré les clés de notre logement pour la nuit, nous passons le reste de l'après-midi dans le calme. Assis à l'ombre d'un chêne touffu, j'en profite pour bouquiner un peu. Stella, de son côté, griffonne dans un carnet.

Depuis mon arrivée, je n'ai pas eu le temps d'ouvrir le livre de science-fiction que j'avais pris avec moi. Le fait de retrouver un monde imaginaire me fait du bien, mais je réalise aussi à quel point j'ai changé en l'espace des deux dernières semaines. C'est comme si je percevais désormais les livres comme une belle option parmi d'autres me permettant de canaliser ma soif d'évasion. J'en ai découvert bien d'autres durant mon périple : les visites culturelles, les découvertes inattendues, les conversations inspirantes. En étant devenu le protagoniste de ce voyage, j'avais permis à mon imagination de s'étendre pour atteindre de nouveaux horizons, de nouveaux domaines.

Peu à peu, le voile mystérieux de la nuit commence à tomber. Le chêne au pied duquel nous sommes assis étant en hauteur, nous bénéficions d'une vue plongeante sur le village. Souriant comme un enfant, je regarde les petites lumières s'allumer une à une, projetant leur lueur chaude dans l'océan de toitures qui se déroule sous nos yeux.

— D'ici, on croirait presque voir des milliers de bougies.

Le murmure de Stella flotte dans l'air tiède du soir. Lorsque je me tourne vers elle, je réalise qu'elle a refermé son carnet et qu'elle est assise, juste derrière moi. Ses yeux ambrés semblent refléter les lumières chaudes du village.

— Oui. Ça me rappelle la cérémonie où nous en avons déposé des centaines dans la mer, à Monterosso.

L'évocation de ce souvenir dessine un sourire sur mes lèvres.

— Ça devait être magnifique, commente Stella.

Un court silence flotte sur ses mots, avant que je ne lui demande :

— Qu'est-ce que tu écrivais, dans ce carnet ?

Je la vois sourire et baisser les yeux.

— J'écris des chansons.

— Waouh, vraiment ? l'interrogé-je d'un air fasciné. De quoi parlait celle que tu écrivais ?

Stella pousse un soupir, tandis que ses traits fins se voilent d'une tristesse insoupçonnée.

— Ce n'est pas une histoire très joyeuse...

Peiné de la voir ainsi, je pose une main sur son épaule.

— Si tu veux en parler, je suis là. Tu m'as beaucoup aidé mais... Sache que moi aussi, je peux essayer.

Je cherche mes mots quelques instants, avant d'ajouter :

— Je me souviens d'une phrase que tu avais dite lorsque nous étions au café et que tu tentais de me convaincre de ne pas abandonner ce voyage.

Ma remarque attire l'attention de Stella, qui relève les yeux vers moi.

— Ah oui, laquelle ?

— Tu m'as dit que, parfois, on se sacrifiait en pensant que cela bénéficierait à ceux que l'on aime alors qu'en réalité, nous le faisions davantage pour soulager notre propre conscience. Et que, souvent, nous finissions par leur causer plus de peine qu'autre chose.

— Hm, oui, ça...

— Ce sont des paroles qui m'ont énormément parlé. Tellement, que je me suis dit qu'elles sonnaient trop juste pour que tu n'aies pas toi-même vécu quelque chose de similaire. Je n'ai rien dit sur le coup car ce n'était pas le moment, mais j'ai gardé ces questions dans un coin de ma tête en me disant que nous y reviendrions en temps venu. Alors, maintenant que nous sommes ici, je te le demande : l'histoire triste dont tu parles a-t-elle quelque chose à voir avec ce fameux conseil ?

Mes paroles arrachent un nouveau soupir à Stella.

— Peut-être bien...

Je l'observe pendant qu'elle marque une nouvelle pause. Préférant qu'elle prenne le temps de dérouler le récit à son rythme, je ne dis rien.

— Ma mère a été emportée par un cancer il y a un an. Ce n'était pas une mort soudaine et inattendue, mais une agonie lente et difficile. Nous oscillions sans cesse entre l'espoir qu'elle ne récupère et le découragement en découvrant que chacune de nos tentatives se soldait par un échec. Mes parents se sont séparés et mon père a refait sa vie, ma mère n'avait donc pas de compagnon pour l'épauler et, parmi mes frères, j'étais la plus proche d'elle. J'ai tout fait pour être là et je me suis occupée d'elle pendant plus d'un an. Je venais la voir tous les jours, passant le reste du temps à faire des recherches, à écouter le récit de personnes ayant survécu à cette terrible maladie, dans l'espoir de trouver un nouvel espoir auquel s'accrocher. Je ne sais pas trop ce que je cherchais, je crois que je m'accrochais à l'idée qu'il existe une solution miracle encore méconnue. Pendant ce temps, j'ai arrêté de voir mes amis, j'ai décroché de mes études, j'ai arrêté de faire de la musique et même de m'alimenter correctement. À force de me dédier corps et âme à cette mission impossible, je m'étais mise à sombrer dans une espèce d'entre-deux, comme ma mère. D'ailleurs, elle le voyait très bien, et n'arrêtait pas de me dire d'arrêter ça, mais je ne l'écoutais pas... Jusqu'à ce qu'un jour, les médecins deviennent plus fermes. Ils m'ont annoncé qu'il ne lui restait qu'un mois à vivre. Malgré tous nos efforts, il n'y avait plus aucun espoir.

La voix de Stella se brise sur les derniers mots. Terriblement ému par son histoire, qui fait écho à ma propre situation et aux craintes que je ressens vis-à-vis de ma grand-mère, je déglutis difficilement.

— Ma mère a demandé à quitter l'hôpital pour passer la fin de sa vie à la maison et je me suis installée avec elle. C'était le mois le plus difficile de toute ma vie. La voir s'éteindre chaque jour un peu plus était horrible, mais j'avais besoin d'être auprès d'elle, de l'accompagner et de profiter de sa présence tant qu'il était encore temps... De lui dire tout ce que je n'avais jamais pu lui confier...

Les phrases semblent de plus en plus difficiles à sortir. Les yeux embués de larmes, Stella se racle la gorge.

— Mais, tu sais quelles ont été les dernières paroles de ma mère ?

Je secoue la tête en silence, attendant qu'elle ne poursuive.

— Elle m'a dit que... Qu'elle était soulagée d'enfin partir pour me libérer de cette charge. Que de me voir ainsi lui brisait le cœur... Elle m'a suppliée de ne pas me laisser dévorer par la tristesse, de redevenir la Stella enjouée et ambitieuse qu'elle connaissait.

— Et c'est ce que tu as fait ?

Dans la pénombre de la nuit, mon amie acquiesce d'un subtil mouvement de tête.

— Me retrouver seule face au trou béant qu'avait laissé ma mère n'a pas été facile... Mais ce n'est que là que j'ai réalisé tout ce que j'avais abandonné en chemin. Toutes ces passions, ces rêves que j'avais mis en pause. Je me suis retrouvée à un carrefour difficile : soit je sombrais, soit je me battais pour m'en sortir. Alors, pour une fois, j'ai enfin décidé de l'écouter. J'ai trouvé des forces que je ne pensais même plus avoir et, avec l'aide d'une psy et de plusieurs personnes de confiance, j'ai réussi à me remettre en selle. J'ai redoublé ma seconde année de fac et, cette fois-ci, je l'ai passée.

Je sens mon cœur se réchauffer doucement. Le récit de Stella est aussi surprenant qu'inspirant. Si cette fille me troublait déjà beaucoup, la voir s'ouvrir ainsi à moi ce soir est d'autant plus déstabilisant. C'est comme si, plus je creusais, plus ce que je découvrais d'elle me fascinait.

— Quelle force tu as... lui soufflé-je d'un air admiratif. D'ailleurs, je ne sais même pas en quoi tu as décidé de te spécialiser, à la fac. Est-ce que tu étudies la biologie, comme Leonardo ?

Stella secoue la tête.

— Non, je ne suis pas vraiment scientifique dans l'âme... J'ai choisi d'étudier les langues étrangères. J'aimerais beaucoup enseigner l'anglais. Je sens que j'ai besoin de travailler avec les gens, de leur transmettre des choses.

— C'est un beau projet. Et je suis sûr que ta mère serait très fière de toi.

Mes paroles flottent dans l'air quelques instants, avant qu'un sourire ne se lève sur le visage de Stella. Un sourire immense et radieux qui, à lui seul, pourrait bien illuminer tout le village de Castelmezzano.

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