L'apparition

Elle est apparue comme ça, dans un coin, sans dire un mot.

Pourchassé par une horreur indicible dont je sentais la présence dans mon dos, je courais dans un long couloir percé de hautes fenêtres à travers lesquelles on pouvait voir un orage violent déchirer la toile du ciel nocturne. Chaque coup de tonnerre résonnait en moi, rebondissait sur mon diaphragme, faisait trembler ma colonne vertébrale. La masse de pattes grouillantes du monstre qui me poursuivait cliquetait sur le sol juste derrière moi. Trop proche. Un éclair m'aveugla, je perdis l'équilibre et la créature me rattrapa. D'un mouvement sec, elle me faucha les jambes. Je roulai au sol et finis sur le dos.
Dans un instant de flottement, alors que le monstre se jetai sur moi, j'aperçus l'apparition du coin de l'œil, dans une alcôve à ma droite. Je n'eus qu'un battement de cœur pour l'observer :
Peau pâle.
Robe diaphane.
Longs cheveux noirs devant le visage.
Je frissonnai.
Puis la créature me fondit dessus, sa gueule hérissée de mandibules grande ouverte. Je fermai les paupières avec force et me protégeai le visage avec les bras, un cri remplit ma gorge...

J'ouvris les yeux dans une grande inspiration. Sueur. Roulement de tambours dans ma poitrine. Une lueur orangée se glissait par les interstices de mes volets. En soupirant, je me laissai tomber sur mon oreiller. Des instantanés de mon cauchemar filaient comme des comètes sur le ciel de mon esprit. L'apparition me semblait tirée d'un film muet. Elle tirait sur un fil de mémoire, cherchant à dévider la pelote de souvenirs. Je me concentrai un moment pour tenter de me rappeler de cette jeune femme, en vain. L'entropie devait avoir rongé ce coin de mon crâne. Agacé, j'abandonnai.
Et je sus.
Lila.
Revenue d'entre les abysses de ma mémoire, ombre soudainement éclatante.
Suffocation.
Je sautai hors du lit, ouvris la fenêtre, repoussai les volets avec un grincement métallique et laissai l'air qui portait déjà la marque de la chaleur solaire m'envelopper, paupières closes afin de ne percevoir que la lueur du levant. Ma respiration se stabilisa peu à peu. Je rouvris les yeux. Face à moi, la frontière déchiquetée entre l'océan et la terre, toutes deux battues par les vents. Des vagues furieuses se fracassaient sans cesse sur les falaises rocheuses. De lourds nuages se profilaient au loin. Il pleuvrait, fort, d'ici peu. En attendant, le soleil matinal glissait sur les flots et les peuplait de millions de fées. Je fermai la fenêtre et éteignis mon phare, dont le faisceau avait déchiré le voile obscur de la nuit pendant mon sommeil.

*****

Le chuintement de l'eau en train de bouillir se mêlait au glouglou de la mixture qui mijotait dans un gros chaudron, au roulement des vagues, au tapotis des gouttes de pluie, aux coups de canon de l'orage. Un peu de fraîcheur rentrait par la fenêtre, mais la chaleur dans mon laboratoire était dense. De la sueur collait mes vêtements à ma peau et dégoulinait sur mon front plissé par la concentration, glissait devant mes yeux, prenait une trajectoire courbe sur mes joues avant d'atteindre l'à-pic de mon menton, où elle pendait un instant avant de se détacher.

Je jetai un œil sur mes notes, ajoutai quelques gouttes d'un produit. De la vapeur rougeâtre s'éleva, à couper au couteau, caressa langoureusement mon visage, en parodie d'amante. Je mélangeai ensuite précautionneusement, en tournant dans le sens horaire, de manière à créer un tourbillon, qui commença à avaler, en quelque sorte, la mixture, formant petit à petit une sorte de pierre ovoïde sombre qui se solidifiait couche par couche. Lorsqu'enfin tout le chaudron fut condensé en un caillou de la taille d'un poing, je le retirai du feu, que j'éteignis. Il ne restait plus qu'à attendre qu'elle durcisse. Je descendis donc dans la pièce à vivre me reposer sur mon canapé.

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