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Lucifer découvrait Eve au fil des moments passés à l'observer. Il se posait tel une plume sur la plus grande branche de l'arbre du savoir. Et plus il la contemplait, plus elle l'intriguait. Ce n'était aucunement une espèce de désir bestial et primaire qui nourrissait cette obsession, le porteur de lumière était bien au-dessus de tout cela. C'était juste de la curiosité. Cette curiosité pouvait être assimilée à une soif de connaissance. Telle était la véritable passion de Lucifer. Adam aurait pu faire un excellent sujet d'étude. Malheureusement, celui-ci se contentait de cultiver des fruits et des légumes, comme Dieu le lui avait enseigné et de prier. Il ne faisait rien d'autre. Lucifer le voyait comme une source intarissable d'ennui et de lassitude. Mais Eve, la divine créature unique en son genre, ne se contentait pas de ce que Dieu lui disait de voir. Elle voyait bien plus. En chaque créature du jardin elle percevait quelque chose de précieux. Sur les ailes du papillon, elle voyait les nuances. Elle caressait le lion pendant qu'il dormait. Elle chantait pour accompagner le rossignol. Elle plongeait son regard dans celui de la biche et en mémorisait chaque lueur. Eve adorait le jardin et tout ce qui s'y trouvait.

Un jour, après avoir dormi à l'ombre de l'arbre de la connaissance, sous le regard bienveillant du premier ange, Eve se réveilla avec les parties de son corps nu colorées de bleu, de rose et de vert. La première femme s'était allongée sur des plantes et des fleurs, qui sous son poids s'étaient écrasées et étalées sur sa jolie peau. Elle en huma le délicieux parfum et sourit à la vue de ses jolis pigments. En se relevant, elle posa l'une de ses mains sur un rocher à côté d'elle. Elle fut surprise de voir que son empreinte rose apparut sur la pierre. Cela lui donna une idée. Avec ses doigts, elle traça des lignes un peu partout. Son rire résonna dans tout le jardin. Les cerfs, en train de paitre, relevèrent la tête. Les oiseaux sursautèrent. Eve dessinait sur le rocher, puis sur les troncs d'arbre, même sur celui qui était interdit.

-Quelle fascinante créature ! murmura Lucifer.

Bientôt, Eve développa d'autres techniques. Avec un mélange de fruits et de différentes fleurs, la jeune femme inventait des teintes originales. Mais, Adam ne voyait pas d'un très bon oeil la nouvelle occupation de sa compagne. Il était jaloux et se sentait délaissé. Dieu entendit ses lamentations, et de son doigt accusateur, interdit à Eve de continuer ses dessins. Elle ne pouvait s'épanouir qu'en servant Adam, pour qui elle avait été créée. De plus, elle avait osé souiller le tronc de l'arbre défendu. Dieu était furieux, néanmoins il se contenta d'un avertissement. Mais si Eve récidivait, c'était la mort pour elle et son compagnon. Lucifer voulut intervenir sur le moment, malheureusement rien que l'idée de défier son père le pétrifiait.

Alors il laissa faire.

Après ça, Eve ne fut plus la même.

***

-Qui ose m'invoquer ? rugit la sorcière.

-Je suis Samaël, frère de ton créateur, et je t'ordonne de répondre à mes questions.

À l'entente de mon nom, Ceridwen se raidit.

-Que veux tu, Samaël ?

-Je suis envoyé par Azazel pour retrouver une fugueuse.

-Il y a bien longtemps que je ne foule plus le sol de l'Enfer, je ne suis pas au courant de ce qui s'y passe, répond-elle.

-Je sais que c'est toi qui l'as aidée à s'échapper.

-Comment oses-tu m'accuser de la sorte ? grogne-t-elle.

-Où est Alrinach ?

-Tu n'es pas mon créateur, je ne souffre aucune obligation envers toi !

-Où est Alrinach ? répété-je plus fort.
Pour simple réponse, la créature spectrale frappe dans ses mains. Une onde de choc souffle les bougies du pentagramme et me fait basculer en arrière.

La sorcière a disparu.

Cette tentative a été un échec.

Maintenant qu'elle sait la raison de mon invocation, Ceridwen ne répondra plus à aucun rituel.

Je suis de nouveau dans une impasse.
Plus aucune idée ne me vient.

À part une, convaincre Lucifer de me laisser rentrer et passer à autre chose.
Je rallume les bougies et entreprends une deuxième invocation.

Une invocation que je n'ai pas besoin de rechercher ou d'étudier. Je la connais par coeur.

« Dresse ta flamme, Lucifer
Et apporte moi la lumière,
Enveloppe-moi de ton éclat,
Et libère mon esprit
Guide-moi sur le chemin de la connaissance suprême.
Lucifer, mon frère apparait devant moi »

-Bonjour, Samaël, dit une voix.

-Lucifer, j'ai besoin de ta
clairvoyance, je suis perdu.

-Que se passe-t-il ? demande-t-il en sortant de l'ombre.

Je me retire du pentagramme pour aller me chercher une cigarette.
Je suis assez confus.

C'est bien la première fois que je vais avouer à mon bien-aimé frère que je suis en difficulté.

-Cette mission est un casse-tête !

-Tu y arriveras, j'ai confiance en toi, me dit le Diable en me tapotant le dos.

-Je ne sais même pas par où commencer ! soupiré-je.

-Trouve la sorcière.

-Je l'ai fait Lucifer ! j'ai invoqué Ceridwen, elle ne veut pas coopérer. À présent, elle est au courant que je suis à leur recherche ! elle doit être encore plus sur ses gardes !

-Tu es le meilleur pour la chasse, tu n'as qu'à faire comme d'habitude !

-D'habitude, je cherche des criminels, je sais où ils sont, je sais à quoi il ressemble. Là, je n'ai rien ! m'emporté-je.

-Tu essaies de me dire que tu abandonnes ?

-Laisse-moi rentrer et m'occuper de ce que je sais faire vraiment !

-Il en est hors de question, mon frère !

-Tu es sérieux, là ? demandés-je.

-Tu ne rentreras pas en Enfer tant que cette mission ne sera pas remplie. J'ai promis à Azazel que tu ramènerais Alrinach saine et sauve chez elle, je tiens toujours ma parole ! C'est un de mes fondements, je ne peux pas le contourner ! dit-il, inquisiteur.

Cette réponse ne me convient pas du tout !

Je frappe le mur de mon poing pour passer mes nerfs. Un énorme trou se forme à l'impact et une fissure craque jusqu'au plafond.

Lucifer soupire de lassitude :

-Écoute, Samaël, tu voulais que je te fasse profiter de ma clairvoyance ? Eh bien, je sais que cela te prendra du temps, que cette mission sera la plus difficile de toutes. Tu exploreras de nombreuses pistes dont beaucoup ne te mèneront à rien. Tu voyageras, rencontreras des tas de personnes, bonnes comme mauvaises. Mais tu y arriveras, tu rentreras chez nous avec Alrinach et tout ceci ne sera qu'un vieux souvenir.

Cette parole me fait du bien, malgré tout je reste sceptique.

-Je pensais que tu ne pouvais pas me sonder ? dis-je en crachant un nuage de fumée à la tête de mon frère.

-J'ai sondé la situation, pas toi ! Je ne briserai jamais un pacte. Les promesses sont le propre du Diable ! lâche-t-il avant de disparaître.

Je me retrouve de nouveau seul avec mes doutes.

Je ne suis pas habitué à être désemparé comme cela. Mais il faut être lucide, une remise en question s'impose !

Réfléchis, réfléchis !

Il faut que je trouve les lieux où un démon atterrit quand il plonge dans le Léthé.

C'est ça ! Il faut que je fasse des recherches. Enquêter, lire des témoignages, j'en apprendrais plus !
Je décide de rassembler mes affaires et sors en vitesse du petit hôtel miteux.

En demandant aux passants, j'arrive enfin à l'endroit où je pourrais commencer mon enquête ; la bibliothèque.

C'est là que les humains cherchent des réponses, du moins les plus lucides, les autres vont dans leur lieu de culte.

J'entre dans un immense hall d'entrée fait de bois et de vitres. Une vieille rombière à lunette et au regard aigri me toise de la tête aux pieds. Mon allure de bad boy ne doit pas la laisser indifférente.

-Bonjour, jolie dame. Je dois faire des recherches, lire des revues de presse. Pourriez-vous m'aider ? dis-je en faisant un clin d'il.

-Prenez place derrière un PC ! répond-elle d'une voix caverneuse.

-Un PC ?

-Oui, vous savez cette machine incroyable pour aller sur internet.

-Internet ?

-Bienvenue au 21ème siècle, jeune homme ! Oui, madame ? s'exclame-t-elle en fixant la personne derrière moi.

Par ce geste, je comprends que je dois déguerpir.

J'entre donc dans la salle.

Une dizaine d'écrans sont alignés sur plusieurs bureaux, devant lesquelles des ados sont hypnotisés.

Je m'installe derrière l'un d'entre eux et appuie sur le bouton pour allumer cette machine infernale.

La technologie des humains m'a toujours donné des boutons, mais si c'est ce qu'il faut faire pour rentrer chez moi, alors ainsi soit-il !