Azazel est mon frère, je tiens à lui au même titre qu'à Lucifer. Nous avons été créés ensemble, nous avons traversé toutes ces épreuves du même pas. Mais il n'y a rien à faire, le voir se pavaner comme s'il était le roi de l'Univers me rend malade.

Il est toujours très théâtral. Ses mains font de grands gestes accompagnant ses paroles qu'il estime supérieures en tout points. Pourtant, quand il arrive à notre hauteur, qu'il m'attrape par le coup et me frictionne le cuir chevelu avec son poing, je me dis que j'adore la complicité que nous partageons tous les trois. Et que pour rien en Enfer, je ne briserai cette alliance.

J'attends qu'il me lâche pour répliquer en lui donnant un coup de poing dans son armure dorée. La trace de ma main y reste enfoncée. Azazel me défit du regard, il s'approche de moi et s'apprête à me sauter dessus quand Lucifer intervient :

- Arrêtez vos gamineries !

- On peut s'amuser un peu, rit Azazel.

- J'ai parlé de ton affaire à Samaël, il est d'accord pour nous aider, continue Lucifer.

- À la bonne heure ! sourit Azazel. Je savais que je pouvais compter sur toi, mon frère.

- Alors, dis-moi qui est cette démone qui te cause tant de soucis ? demandé-je.

- Elle s'appelle Alrinach, c'est la démone qui contrôle les vents et l'eau et c'est une de mes chefs de légions.

- Oui, j'ai déjà entendu parler d'elle. Enfin surtout, de son caractère, affirmé-je.

- Ça ne m'étonne pas, elle est impétueuse et imprévisible, je l'ai créée comme cela.

- Pourquoi te plains-tu alors ? dis-je à Azazel.

- Je ne me plains pas, nous avons beaucoup de différents, mais je ne pensais pas qu'elle irait jusqu'à prendre la fuite.

- Elle est partie après une dispute ? demandé-je, plutôt étonné.

- Oui, une bêtise ! Elle s'est emportée et elle est partie. Mes gardes l'ont poursuivie jusqu'aux rives du Léthé, elle a plongée et puis plus rien.

- C'est quand même étrange ! murmuré-je.

- Pourquoi cela, mon frère ?

- Qu'une démone de son envergure abandonne sa maison, sa famille, ses légions pour une dispute...

Il y a comme un blanc après cette réflexion. Un ange passe... même en Enfer, c'est possible !

J'aurais bien utilisé mon pouvoir de lecture de pensées sur mon frère pour en savoir plus. Malheureusement, il y a très longtemps nous avons conclu un pacte entre nous ; ne pas utiliser nos dons respectifs mutuellement. Seule la confiance devait régner :

***

C'était juste après que Dieu ait décidé de nommer Lucifer second dans sa nouvelle création. Nous ne le voyions que très rarement. Il était très pris par ses projets avec notre père. Il est vrai qu'à ce moment-là, Azazel et moi, nous nous étions beaucoup rapprochés. Mais notre grand frère nous manquait. Ce n'était pas pareil sans lui.

Un jour, il était arrivé, contrarié. Une dispute avec Dieu s'était déclenchée à la suite d'un débat sur les capacités de la nouvelle création à utiliser son environnement. D'après Lucifer, ce nouveau projet était incroyablement ambitieux, mais notre père ne poussait pas l'expérience assez loin. Sa confiance en notre créateur était légèrement ébranlée. Il ne l'aurait jamais imaginé. Le premier ange ne voulait pas que cela nous arrive, de ce fait il nous fit promettre de ne jamais utiliser les dons dont nous avait doté Dieu sur l'un de nous trois. Je m'interdisait de lire les pensées de mes frères, Lucifer refusait de nous sonder avec sa clairvoyance et Azazel ne pouvait pas nous frapper avec ses boules de feu sacrées. Pour sceller ce pacte, nous nous étions simplement tenus par les épaules, formant une ronde que personne n'aurait pu défaire. À ce moment-là, j'ai su que je suivrais Lucifer n'importe où et quoi qu'il arrive.

***

En me remémorant ça, je me dis qu'il est impossible d'ignorer cette promesse.

Même si j'ai envie de creuser cette affaire, je change de sujet. Cela ne sert à rien de rester là-dessus pour l'instant.

- Lucifer m'a parlé d'une sorcière qui l'aurait aidée.

- Oui, Ceridwen. C'est elle qui a ralenti mes gardes pendant qu'Alrinach s'enfuyait.

- Où est-elle ? Interroge-là ! m'exclamé-je.

- Tu crois que je n'y ai pas pensé ? Elle s'est évaporée dans le monde des humains elle aussi. Tu sais combien c'est difficile de retrouver une sorcière infernale !

J'avais oublié à quel point Azazel déteste les sorcières, pourtant Lucifer les adore. Il dit souvent qu'elles représentent le mieux Eve et le mouvement féministe. Après tout, les centaines de femmes brûlées pour sorcellerie pendant des siècles étaient soit célibataires, soit veuves, qui ne vivaient pas sous la houlette d'un homme, donc forcément malsaines pour la belle époque du Moyen-Âge. Comme on s'est amusé pendant cette période, mes frères et moi ! mais, ça c'est une autre histoire.

- Donc, comment suis-je censé trouver ma proie ?

- Trouve la sorcière ! Alrinach ne sera sûrement pas loin ! répond Azazel.

- Si toi tu n'as pas trouvé la sorcière, pourquoi moi je la trouverai ?

- Parce que tu es le meilleur ! dit-il en me frappant l'épaule.

- C'est pour ça qu'on te l'a demandé personnellement, continue Lucifer qui était resté silencieux jusque-là.

- Très bien, vous avez gagné je m'y colle. Mais ce ne sera pas facile, j'ai combien de temps ?

- Tout le temps dont tu as besoin.

Nous saluons le gardien du Tartare et sortons de son palais doré.

- Dès que tu as repéré la fille, préviens-moi, dit Lucifer.

- Tu ne trouves pas cette histoire louche ?

- Qu'est-ce qui te préoccupes exactement ? demande Lucifer en jouant avec sa cravate.

- Azazel possède le pouvoir de créer ses propres démons, comme toi. Il y en a une qui est partie ? La belle affaire, il n'a qu'à en fabriquer une autre !

- Oui, et comme moi, il accorde beaucoup d'importance à ses créations. Si l'une de mes créatures devrait partir ou se perdre, je ferais tout pour la retrouver.

- Mais Azazel ne raisonne pas comme toi, d'habitude ! dis-je.

- Pour ses enfants, il faut croire que si ! soupire Lucifer en haussant les épaules. Arrête de te méfier ! continue-t-il. Notre frère a besoin de toi.

- Oui, j'ai affirmé que j'irai. Mais je ne veux pas me retrouver dans un traquenard.

- Ne t'inquiète pas, si tu as besoin, tu n'as qu'à m'invoquer ! répond Lucifer en me faisant un clin d'il avant de s'envoler vers sa demeure et de me laisser là, avec mes tonnes de questions.

Malgré tout, je n'ai pas le choix. Je prends donc mon envol à mon tour et me dirige vers l'Ante-Enfer. Par le passage d'une grotte, connue de moi seul, j'accède à une porte secrète créée pour entrer dans le monde des Humains. Pour l'ouvrir, je n'ai qu'à me faire une entaille sur la paume de la main pour y déposer mon sang. Le mur de la grotte se transforme en eau turquoise et je n'ai plus qu'à y pénétrer. Une fois que j'ai traversé, je me retrouve dans le musée de ce bon vieux Rodin, sculpteur de génie qui a construit « La Porte de l'Enfer ».

- Merci, Auguste ! dis-je en me retournant vers la porte.

Heureusement, c'est la nuit. Je dois juste esquiver quelques gardes pour me diriger vers la sortie. Dès que j'entends des bruits de pas, je me cache derrière une sculpture monumentale. Les humains sentent ma présence, il se tournent dans tous les sens avec leur ridicule lampe de poche en criant : « Qui est là ? »

D'ailleurs, ce musée a la réputation d'être hanté. Serait-ce ma faute ? C'est fort possible. Je passe toujours par-là.

Après quelques belles frayeurs pour mes pauvres victimes, j'arrive enfin à m'extirper dehors.

J'allume une cigarette devant l'entrée du Musée.

- À nous deux, Alrinach !