Au commencement...

Une lumière aveuglante me percuta.

Une terrible secousse ouvrit mes poumons.

Une autre encore plus forte me poussa à crier.

Puis une main se posa sur moi, un visage magnifique me souriait.

- N'aie pas peur, mon frère, chuchota-t-il.

Cette voix m'apaisa. Je pris confiance en ce que je voyais et me levais à l'aide de la main qu'il me tendait.

Je clignai des yeux pour stabiliser ma vision.

J'étais dans une immensité vide qui semblait dénuée de sens.

Tout était d'un blanc pur et immaculé.

L'être qui m'avait aidé à me mettre debout me fixait, sourire aux lèvres.

Il était de la même taille que moi, blond foncé au yeux bleus.

- Je m'appelle Lucifer. Toi, il t'a nommé Samaël.

- Il ? demandai-je.

- Notre créateur. Nous sommes ses deux premières créations.

Je l'observais, ne sachant quoi penser.

- Elles sont magnifiques, tu ne trouves pas ? dit Lucifer en fixant quelque chose dans mon dos.

Je tournai légèrement la tête et vis deux ailes blanches magnifiques trôner sur le haut de mes omoplates.

Lucifer haussa rapidement les épaules et une paire d'ailes bien plus majestueuse que la mienne apparut.

- Ne t'inquiète pas, je t'apprendrais ! dit-il en me faisant un clin d'œil.

***

- Un autre verre, Samaël ?

La plantureuse serveuse me sort de mon instant de nostalgie.

C'est souvent quand je suis dans l'un des bars les plus sordides du cercle de la Luxure que je me mets à ressasser de vieux souvenirs.

Je n'ai même pas le temps de lui répondre, qu'une voix s'invite dans ma tête.

- Samaël, j'ai besoin de toi, immédiatement.

Je me lève, prends ma veste en cuir et sors sans me poser de question.

Quand Lucifer m'appelle, je ne cherche pas à comprendre. Que ce soit pour une mission ou une autre raison, si mon frangin me demande, j'accours. Une fois dehors, je sors mes ailes et décolle comme un boulet de canon. En quelques minutes seulement, je suis à l'autre bout de l'Enfer, dans le cercle de l'Orgueil, devant la maison du Diable. Un majordome démoniaque m'ouvre la porte de l'immense résidence. Il ne me salue pas, il sait très bien que dans ces moments-là, je ne perds pas mon temps en politesses futiles. Je monte les marches et ouvre le bureau de mon frère sans frapper. Ici, je suis chez moi. Lucifer est assis dans l'un de ses sofas, un verre de Bourbon à la main. Quand c'est un entretien avec moi, il ne s'installe pas derrière son bureau, il trouve ça bien trop protocolaire pour parler à sa propre famille, et ce n'est pas moi qui vais le contredire.

- Alors, qui est-ce que je dois aller chercher cette fois ? un prêtre pédophile ? un criminel de guerre ? un tueur en série ?

- Prends un verre et assieds-toi, me dit Lucifer.

Je trouve cela étrange. D'habitude, il me donne le nom, les atrocités commises et l'endroit où chercher. Et là, il veut que je prenne mes aises et que je boive tranquillement. Je n'aime pas ça. Malgré tout, je me sers un verre et m'installe dans le sofa en face du sien. Lucifer savoure chaque gorgée de son Bourbon, l'air pensif. Je ne tiens plus.

- Dis-moi, qui dois-je ramener et qui te laisse si perplexe ?

- Une démone, répond-il.

- Une Démone ? Je ne comprends pas.

- Une création d'Azazel, continue-t-il.

- Pardon ? Je dois aller faire les courses pour Azazel ? m'exclamé-je

- Je savais que tu réagirais comme ça ! dit-il.

- Je ne suis pas son larbin, ce n'est pas mon job ! Qu'il le fasse lui-même !

- Il a essayé ! Elle s'est enfuie avec l'aide d'une sorcière infernale, apparemment elle s'est jetée dans le Léthé. Elle peut être n'importe où dans le monde des humains. Il a besoin de quelqu'un comme toi pour la retrouver, explique-t-il.

- Bien sûr et il t'a sollicité pour me le demander !

- Il te connait par coeur, il sait très bien que tu aurais refusé s'il te le demandait en personne.

- Pour une fois, il ne s'est pas trompé. Il est hors de question que je me déplace dans le monde des humains pour récupérer une démone en crise d'ados !

- Je te le demande personnellement, Samaël. C'est l'une des plus belles créations d'Azazel. Elle est indispensable dans notre gouvernement. Je suis conscient que je t'en demande beaucoup, mais si tu ne le fais pas pour Azazel, fais-le au moins pour moi.

Azazel a été malin sur ce coup-là. Il sait très bien que je ne peux rien refuser à Lucifer.

- Très bien, c'est quoi l'histoire ? demandé-je, résigné.

- Allons au Tartare, le principal intéressé t'expliquera la situation mieux que moi.

Nous voici donc au Tartare, lieu de désolation pour les âmes damnées. Ici, tout est fait en or, du sol au plafond. Azazel aime ce qui est clinquant. Après avoir traversé l'interminable corridor de l'entrée, nous entrons dans une immense salle. Le gardien du Tartare reçoit toujours dans ce lieu aussi grand que son égo démesuré. Quand je l'aperçois, traversant la pièce, dans son armure brillante comme le soleil, les cheveux encore colorés d'un blond angélique, reste du passé et le regard arrogant d'une couleur encore plus claire que le mien, un autre souvenir me revient en mémoire :

***

- Samaël, viens voir ! Notre père nous a fait un nouveau petit frère et il est juste magnifique ! criait Lucifer enthousiaste.

- J'arrive !

Je m'envolai pour rejoindre mon grand frère.

Il se tenait à côté d'une créature magnifique. Ses cheveux d'un même blond platine que les miens, mais beaucoup plus longs, luisaient sous la clarté divine de notre créateur. Ses iris étaient d'un bleu presque transparent. Il était debout et s'émerveillait en regardant ses mains, en touchant son torse à la musculature parfaite. Il leva les yeux vers la lumière céleste et chuchota « merci » en fermant les paupières. J'étais très impressionné par son apparence, pourtant assez sceptique quand au choix de notre père. Chaque création était de plus en plus arrogante, fière, insolente. Que cherchait-il exactement ?

Il disait toujours que Lucifer incarnait la perfection, d'ailleurs son nom même signifiait « Porteur de Lumière », le guide à suivre dans le noir, car son don de clairvoyance lui empêchait toute erreur.

Moi, j'étais le bras droit, l'homme de confiance, le confident toujours à l'écoute. La loyauté était ma seule et unique loi.

Et Azazel incarnait la supériorité, la puissance et la stratégie. C'était un guerrier dans l'âme.

Nous avons « grandi » de cette façon, toujours à trois. Blottis dans la chaleur et la volupté du Paradis qui n'appartenaient qu'à nous à ce moment- là. Ensuite, d'autres anges furent créés, puis des petits êtres, appelés chérubins, firent leur apparition également. Nous vivions tous en harmonie, sous la bienveillance de Dieu.

Un jour, alors que je me chamaillais avec Azazel, comme la plupart du temps ! Lucifer arriva avec son plus beau sourire. Il nous annonça que notre père avait un nouveau projet. Une création colossale qui n'avait rien avoir avec les anges. Ce serait différent cette-fois. Et Lucifer serait son second. Il assisterait à toutes les étapes et il pourrait y ajouter son grain de sel. Je n'avais jamais vu mon frère aussi excité.

Qui aurait pu deviner ce qui allait se passer à ce moment-là ?

***

- Mes chers frères ! Quel plaisir ! s'exclame Azazel en arrivant à notre hauteur.

Il m'énerve quand il en fait de trop !