17. Grabuge dans le Bayou

Le concert de musique bat son plein à quelques kilomètres et toutes les bicoques de ploucs aux alentours sont vides. Heureusement pour nous, sinon les autochtones auraient pu assister à cette scène pour le moins ridicule ; Amdukias sautillant sur place au rythme de la musique comme s'il avait une envie pressante.

- Samaël, qu'est-ce qu'on va faire ? elles ont l'air vraiment énervées ! Elles arrivent pour nous faire la peau !

- Calme-toi, Face de craie !

J'essaie de me montrer confiant comme à mon habitude, mais je dois avouer que me retrouver en face de ces femmes aussi puissantes et décidées à en découdre ne me rassure pas du tout.

Des touristes sans aucun savoir vivre et acheteurs compulsifs je peux gérer, des Yaoguais arrogants, là encore je fais face. Mais une bande de femmes, héritière de centaines d'années de pouvoirs magiques et visiblement acharnée à me faire échouer, j'ai un doute.

Je suis persuadé que mon acolyte peut m'être d'une grande aide, si seulement il ne laisse pas la peur l'envahir.

- Samaël, nous ne pouvons te laisser continuer, nous avons fais une promesse à la grande Ceridwenn, déclare Maya en s'approchant.

- Moi j'ai fait une promesse à mes frères. Votre loyauté est un trait de caractère que nous vous avons légué depuis que le monde est monde, tu le sais très bien.

- Certes, votre rébellion est le début du féminisme et vous avez contribué à tous les mouvements qui en résultent. Des grandes prêtresses Voodoo en passant par la Wicca, nous vous serons à jamais reconnaissantes. Mais notre dévotion s'arrête au moment où l'une de nos sœurs est en danger.

- Elle est pas en danger ! soufflé-je agacé. Elle a aidé une fugueuse, une démone caractérielle en pleine crise d'ado ! On veut juste qu'elles rentrent sagement à la maison, comme ça tout le monde pourra reprendre ses petites occupations. Moi je pourrais à nouveau chasser des proies pour les ramener en Enfer et toi tu pourras faire mumuse avec tes bougies, tes encens et tes cailloux.

- Ne sois pas si condescendant ! serre-t-elle les dents.

- Ça change, d'habitude il est juste con ! intervient Amdukias.

- Face de craie, si elle ne te réduit pas en cendre, c'est moi qui le ferais ! grogné-je.

- Je voulais juste détendre l'atmosphère...

Les sœurs de Maya se déplacent lentement pour éviter que je le remarque, mais je vois bien qu'elles se placent autour de nous de façon stratégique. Elles n'attendent qu'un signal de leur leadeuse pour attaquer. La beauté créole et son monologue sororal ne sont là que pour détourner notre attention.

Soudain, l'eau boueuse du bayou semble s'agiter, le vent ne s'est même pas levé pourtant ce sont bien des vagues qui prennent forme à la surface du marécage.

- C'est normal ça ? Angoisse Amdukias.

En me retournant avec méfiance, je remarque que l'une des enchanteresses, un peu plus âgée que Maya et rondelette, habillée d'une robe karabela traditionnelle est entrain de marmonner quelque chose discrètement entre ses dents. J'essaie de comprendre ses paroles ;

« mami wata lage kòlè, pwoteje sè yo »

Alors que les vaguent se veulent de plus en plus menaçantes, une autre, coiffée d'un tignon et dont le visage est orné de grimage qui rappelle un squelette regarde vers les rives alentours en faisant des gestes avec les mains ;

« Dann, sèpan sakre soufle fòs ou nan frè reptil ou yo »

- Mais qu'est-ce qu'elles disent ? interroge mon camarade

.- J'en sais trop rien, mais je le sens pas.

- Nous sommes les filles de cette terre, nos bougies et nos petits cailloux nous confèrent un pouvoir qui dépassent même les êtres les plus puissants tels que vous ! ricane Maya.

Tout à coup, une vague immense accompagnant un alligator énorme me frôle l'épaule. Un autre fait claquer sa mâchoire puissante juste à coté du visage blanchâtre d'Ami qui hurle à en percer nos tympans.

- Elles contrôlent les animaux et les éléments du Bayou, il faut trouver un moyen de les contrer !

Les sorcières ne relâchent pas leur emprise et c'est bientôt un tas de serpents plus longs les uns que les autres qui sortent de l'ombre des branches sur lesquels ils étaient endormis, pour venir s'enrouler à nos pieds, obéissant à la voix de leurs maîtresses.

Amdukias crie si fort qu'il n'entend même pas que je l'implore de faire quelque chose, alors qu'une vague m'emporte. Je me retrouve sur le toit d'une habitation, essayant d'échapper à tout un tas de dents acérés. C'est dans ces moments-là que je maudis le jour où j'ai reçu mon pouvoir de télépathie. J'aurais tellement voulu avoir les boules de feux d'Azazel, j'aurais incendié cette bande de furies et on en parlait plus. J'aurais dû surement me justifier auprès de Lucifer. Il m'aurait reproché le fait de reproduire les bûchers d'antan mais bon, il aurait peut-être boudé quelques années et puis c'est tout.

- Sam ! j'ai peur des serpents !

- T'es le démon de la musique, oui ou non ? crié-je depuis mon perchoir.

- Bah oui... répond Amdukias interloqué.

Je le vois se gratter le menton en réfléchissant, j'attend patiemment que la pièce tombe.

- Ah oui, j'ai compris !

Il ferme les yeux et un pungi apparait sur le bord de ses lèvres. Il souffle à peine quelques secondes et le temp se fige.

Les sorcières, interpellé par ce geste, interrompent leurs incantations. L'eau redevient calme et se retire pour ramener les alligators sur leurs rives. Les serpents hypnotisés par l'instrument et les vibrations qui en ressortent se dresse devant le démon. Les reptiles se balancent de gauche à droite au rythme des notes désordonnées et se retournent de concert vers les sorcières. Ils avancent lentement, leurs sifflements se voulant de plus en plus menaçant, leurs queues fouettant l'air.

Les mégères paniquent. Elles redoublent d'efforts pour reprendre le contrôle de leurs bêtes, mais le charmeur de serpent est bien plus puissant. C'est vrai qu'en raison de son air rieur, son insouciance et de sa frousse légendaire, j'oublie parfois que je suis en présence d'un démon très puissant créer par mon frère. Il a donné naissance à beaucoup de légendes sur la musique dans le monde des humains, tel que celle bien connue du joueur de flûte de Hamelin. Je l'observe du haut de ce toit humide et glissant. La peur à quitter son être, il est droit et concentré sur le son qu'il émet. Les animaux accélèrent leurs courses vers leurs proies. Certaines continuent malgré tout d'essayer de les repousser en utilisant la magie, d'autres les frappent de leurs pieds pour les chasser, mais en vain. C'est à Amdukias qu'ils obéissent à présent. Celle maquillée en squelette tombe et se retrouve nez à nez avec celui qu'elle essayait de contrôler il y a à peine quelques minutes. Elle a juste le temps d'esquiver une monumentale morsure, se relève et cours en hurlant. Les autres la suivent comprenant que cette fois, elles n'auront pas le dessus.

Maya me fixe avant de s'enfuir à son tour dans la nuit. Je comprends que ce n'était qu'une bataille et qu'elle n'en restera pas là.

La mélodie du pungi ralentit et nos nouveaux compagnons se calment et regagnent peu à peu leurs abris.

Amdukias fait disparaitre son « arme » et me regarde, soulagé.

- Il s'en est fallu de peu !

Tout est redevenu normal autour de nous. La brume recouvre la surface de l'eau, éclairé par quelques yeux de prédateurs. Les cigales reprennent leurs chants. C'est comme si rien ne s'était passé.

Je descends du toit en donnant un coup d'aile et me pose près de mon sauveur. Je lui adresse une tape amicale sur l'épaule, sourire en coin. Je suis un des fondateurs des Enfers et pourtant sans lui, je n'aurais été rien qu'une proie. Un vulgaire repas pour la faune de la Louisiane. Il m'a sauvé la vie. J'ai vraiment de la chance d'avoir un ami comme lui, même si trop souvent je l'oubli.

- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? me demande-t-il

- Et si on allait boire un verre ?

Amdukias m'adresse en regard choqué en avalant bruyamment sa salive.

***

Une énième bataille pris fin dans notre nouvelle prison, mais celle-ci ne fut pas pareil que les autres. C'était l'ultime combat qui redonna enfin l'espoir d'arriver à nos fins. Au lieu de nous écrouler, nous nous sommes éveillés plus vaillant que jamais. Cette fois nous avions les idées qu'ils nous manquaient pour nous sortir de ce cauchemar. Yérathel n'était qu'un petit obstacle à franchir. Certes, c'était un ange tenace, mais comme tous, elle avait des limites. L'épuisement fut notre billet de sortie de cet infernal débat qui faisait rage depuis notre déclin.

Ainsi, les indolents furent battus et nous reprenions enfin notre place de conquérant. Beaucoup d'entre eux ne se relevèrent pas cette fois.

- Qu'est ce qu'on va faire de tous ces corps inutiles ? demanda Azazel en regardant d'un air supérieur les cadavres jonchant le sol du noyau de la terre.

- N'y touche pas ! ils vont être utile à la construction de notre empire, ordonna Lucifer.

- Ah oui ? comment ? demandé je en essayant de comprendre ce que mon ainé avait en tête sans pour autant rompre notre pacte.

- Vous le comprendrez en temps voulu, tout d'abord je veux que tous les survivants se rassemblent. J'ai des choses à leurs dires.

- C'est repartie pour un nouveau discours orgueilleux, mon frère ? il y avait longtemps !

- Si tu ne veux pas l'écouter, je ne te retiens pas, Azazel. Tu peux remonter et flatter l'égo du créateur ou rester ici et flatter le mien.

Azazel grimaça en marmonnant mais décida de rester bien évidemment.

Sous l'ordre de notre leader bien aimé, nous avons donc essayé de retrouver les anges qui étaient toujours en bon état et les avons rassemblés au pied de leur Maître.

- Mes frères, je vous remercie de votre loyauté, je vous avais promis que nous régneront à la place de Dieu, au sommet de l'univers. Malheureusement, j'ai échoué dans cette tentative. J'ai tout perdu et je vous ai entrainé dans mon échec. J'ai donc décidé de me racheter. Avec l'aide de Samaël et d'Azazel, et bien-sûr Gadiel, dont je salue le courage et le sacrifice, je vous propose de nous construire un nouveau foyer. Un royaume rien qu'à nous, où nous pourront régner et vivre sans contraintes et sans la crainte divine.

Il s'approcha en silence au centre du lieu macabre où la terre rouge avait absorber le sang de nos victimes. En s'accroupissant, il prit une poignée de terre qu'il malaxa entre ses doigts et reprit sa harangue ;

- Notre père créa cette aberration d'Adam avec de la terre et de l'eau, et bien moi je vais créer me propres enfants à partir de cette terre rouge et du sang des indolents.

Il malaxa le mélange encore et encore jusqu'à obtenir une matière assez conséquente pour en faire une forme féminine ressemblant à Eve. Il posa la main sur la tête de la créature encore inanimé et un feu jailli de ses mains et de sa bouche le faisant hurler de douleur. La terre et le sang disparurent, laissant place à une femme à la peau de porcelaine, aux yeux émeraudes et à la chevelure flamboyante.

- Je vous présente Lilith, notre première femme ! rugit Lucifer plus puissant et enthousiaste que jamais.

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