14. Prohibition

Les sorcières sont de plus en plus nombreuses pour réciter leur incantation de malheur visant à me piéger à l'intérieur de cette maudite crypte.

J'éclate de rire en baissant la tête devant leur naïveté.

— Vous pensez vraiment que ça va m'arrêter ?

Maya relève la tête fièrement ;

— Ne t'inquiète pas, ce n'est pas fini !

Les ensorceleuses se rejoignent en cercles, se prennent les mains, ferment les yeux et une autre formule magique encore plus flippantes résonnent parmi les morts :

« Mawu, ede nou Madu,

nou se pitpit fi ou yo,

Nou Siple,

bloqué tout kominikasyon ak lande,

Se pou Tanp nou an ka prizon pou li »

Elles répètent ses mots encore et encore jusqu'à s'égosiller. Une bourrasque violente s'élève dans le cimetière, accompagnée d'un grognement venu d'outre-tombe. je suis obligé de me recroqueviller par terre pour ne pas recevoir quelque chose dans le visage.

Quand le calme revient, je me relève et constate que Maya est à nouveau seule devant la grille de ma prison.

— C'était quoi ça ? dis-je d'une voix agressive

—Un sort pour t'empêcher de communiquer avec ton royaume et en particulier avec tes frères.

— Pourquoi ? Nous sommes dans le même camps ! Comment tu peux te détourner des démons ?

— Tu oublies qu'avant toute chose, nous sommes des sœurs et nous veillons les unes sur les autres quoi qu'il arrive. Je t'empêcherai de retrouver Ceridwenn et sa protégée, je le lui ai promis.

Elle s'éloigne sans se retourner.

Je suis fou de rage.

je pousse un cri en me lançant de toute mes forces sur la barrière magique, mais je suis brutalement projeté en arrière sur le mur du fond, mon crâne se cogne violemment et je retombe par terre dans l'inconscience totale.

***

Après plusieurs jours de sommeil profond, j'ouvre les yeux et voit Lucifer au-dessus de moi me couver de son regard de grand frère protecteur et bienveillant.

— Enfin, tu reviens parmi nous.

— Que s'est-il passé ?

Lucifer n'a pas le temps de répondre, qu'à nouveau des bruits sourds font trembler le sol où nous nous trouvons.

Des centaines d'anges atterrissent près de nous. Certains ne se relèvent pas, d'autres un peu plus conscient nous regardent de façon haineuse.

Nous les reconnaissons immédiatement. ce sont ceux qui n'ont pas pris parti à la bataille. ils ne voulaient pas se mouiller, ils ont donc refusé de choisir un camp. Ils ont choisi de rester neutre.

— Que faites-vous là ? Vous n'avez même pas participé à la bataille ! demanda Lucifer

— Il y a eu un procès après votre chute.

Cette voix féminine avait surgi du fond de l'obscurité comme un murmure sinistre accompagnant une brise glaciale.

Lucifer s'approcha pour voir qui avait parlé.

— Comment t'appelles-tu ? demanda-t-il à la jeune femme brune et désemparée.

— Je me nomme Yerathel et à cause de toi et de ta révolte pathétique, je suis une cause perdue, nous le sommes tous ! s'énerva-t-elle.

— Comment oses-tu me parler de la sorte ? gronda Lucifer

— Toi, comment as-tu pu être aussi orgueilleux ?

D'autres anges déchues se relevèrent et se placèrent derrière Yerathel pour faire face à mon frère.

— Tu as causé notre perte ! hurla l'un d'entre eux.

— Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? s'écria un autres.

Le son d'une foule en colère résonnait au fin fond du noyau de la terre et c'est une deuxième révolte qui éclata.

J'essayais de me relever tant bien que mal :

-Taisez vous, bande de parasites !

-Laisse mon frère, ils disent vrai. M'interrompit Lucifer. Je suis un raté, Je nous ai condamné.

Des sons d'harmonica, de guitare et de planches à laver me réveille de mon coup sur la tête.

Une voix chaude et sexy s'élève pour accompagner les instruments cajuns et une foule en délire applaudit.

Il y a un concert Country pas loin du cimetière. J'irais bien y boire un bon Bourbon si je n'étais pas prisonnier de ces satanées bonnes femmes. Et le pire c'est que je ne peux pas contacter Lucifer ni qui que ce soit en Enfer.

Je peux bien rester indéfiniment dans ce caveau, ce n'est pas mon frère qui va s'en inquiéter et c'est un peu ma faute.

Il faut dire que ce n'est pas la première fois que pendant un de mes petits périples sur Terre, je m'attarde pendant plusieurs années, voire plus. Comme pendant la prohibition par exemple ;

Des pasteurs américains désireux que la moralité soit l'emblème de leur cher pays, décidèrent d'interdirent la fabrication, le transport et la vente d'alcool. Ils furent très vite rejoints par une bande de pauvres femmes battues, convaincues que la bière du soir après le boulot était la seule responsable des caresses un peu trop brutales de leurs moitiés. Quelle bande d'idiotes ! Si ton mec est un connart, c'est un connart avec ou sans verre. Enfin, ce n'est que mon avis ! Après tout qu'est-ce que j'en sais moi ? Je suis un putain d'archange déchu.

Quoi qu'il en soit, tous les va-nu-pieds qui voulaient gagner un peu d'oseille ou même se détendre en fin de journée, étaient considérés comme des pêcheurs. Au début, Lucifer me chargea d'aller moi-même les chercher. Moi j'étais d'accord, comme d'habitude.

Donc me voilà, en 1921 dans le Maine vêtu d'un costume 3 pièces gris foncé, avec une chemise blanche à manche longue et d'un chapeau Fedora, à arpenter les rues en attendant qu'un abruti se prenne une balle pour une bouteille de whisky qu'il aura fabriquer dans la grange de son cousin plouc.

Et justement au détour d'une ruelle, j'entends des cris, des menaces et des coups de feu. Enfin, un peu d'action !

Je me rapproche discrètement.

Je me cache derrière le mur du coin de la rue.

Comme je l'avais deviné, des gros bras en uniforme se défoulent sur un pauvre type habillé en fermier dont l'odeur nauséabonde de la porcherie couvre à peine celui des bouteilles de tords boyaux qu'il essaie de dissimuler dans des cartons.

Arrêtez vous ! ordonne l'un des policiers.

Le pauvre diable a à peine le temps de monter dans son vieux NASCAR tout rouillé qu'une balle le touche à l'omoplate. Malgré sa blessure, il démarre en trombe et disparait dans la nuit.

Je replace mon chapeau d'un geste assuré et allume une petite sèche. Je sais qu'il n'en a plus pour longtemps.

Une fois ma cigarette écrasée, je prends mon envol pour le rejoindre.

Son vieux taco est renversé sur le bas-côté d'une petite roue boueuse. Le conducteur est allongé, gémissant de douleurs, quelques mètres plus loin.

Je m'approche de lui et lui relève la tête. Il peine à ouvrir les yeux.

- Tu es l'ange de la mort ? ça y est, c'est la fin ? bredouille-t-il.

- Ho non l'ami ! je n'ai rien à voir avec ta mort et cela fait bien longtemps que je ne suis plus un ange.

- je voulais juste.... Nourrir la marmaille.... Agonise-t-il

Le moteur des flics se rapproche dangereusement quand il rend son dernier souffle.

Mon rôle, est de ramener les déchets de l'humanité au Diable, afin qu'il puisse les punir comme ils le méritent.

Mais quel péché a-t-il bien pu commettre ?

L'avarice ? en faisant du commerce illégal ?

L'orgueil ? en passant au-dessus de la loi des hommes ?

La gourmandise ? En admettant qu'il en profite pour sa propre consommation ?

Que faire ?

Dans quel cercle l'envoyer ?

Surement pas dans le Tartare, il n'a tué, ni torturé personne.

J'étais dans une impasse, incapable de prendre une décision.

Pathétique ! pour un démon de mon rang.

Je ne vois pas d'autre choix que de faire appel à Lucifer.

Je ferme les yeux et après une seule incantation, un bruissement d'ailes puissantes balaye l'air autour de moi.

- Que se passe-t-il Samaël ? tu as encore mis une proie en charpie et tu ne sais pas comment la transporter jusque chez nous ? ricane le Diable de son orgueil légendaire.

- Ho ça va les sarcasmes ! c'est arrivé que deux ou trois fois !!! j'suis pas un boucher ! m'énervais je

Lucifer m'adresse un rictus.

- Oui bon, peut-être un peu plus. Mais ce n'est pas pour ça que je t'ai fait venir. Ce mec vient de se faire descendre comme un moins que rien par des flics. Son délit, c'est la contrebande d'alcool.

- Et ?

- Je l'envoie où ? je peux pas envoyer un type dont le seul péché est d'avoir enfreint la loi pour nourrir sa rombière et ses marmots dans le Tartare !

- Je vois ce que tu veux dire, en effet c'est compliqué.

- Qu'est ce qu'on fait, on l'envoie au paternel ? demandais je

- Ça va pas non ? Il n'a même pas eu le temps de la rédemption, si on l'envoie là-haut, il va errer comme un zombie dans le purgatoire et le vieux va jubiler !

- Ok, donc je réitère ma question...

Lucifer réfléchit quelques secondes, des secondes qui me paraissait interminables... et ces foutus flics qui serait là d'une minute à l'autre...

Mon frère eu une étincelle dans le regard, il avait une idée !

Il leva la tête et ferma les yeux ...

Une énigmatique femme aux cheveux de jais et aux yeux sombres apparut entre lui et moi.

- Mes respect ma chère Marie, pardon de te déranger à une heure si tardive.

- Bonsoir Lucifer, ... Samaël. Dit-elle en regardant le sol.

Nous expliquons la situation à la grande prêtresse Vaudou, qui s'empresse par un tour dont elle a le secret de rendre la vie à notre pauvre victime.

Après cet épisode, l'homme devint croyant, persuadé d'avoir été sauvé par Dieu et ses Sbires.

Pf quelle ironie !

Mais bon, au moins plus de question à se poser quant à savoir où le déposer.

En ce qui me concerne, cette aventure me donna envie de rester sur terre, d'aider les pauvres gens à mettre du beurre dans les épinards en refourguant de la gnole et surtout en faisant la fête pendant cette période exquise gonflée d'interdits et de contradictions. Et ce, pendant plusieurs décennies.

Un peu dans l'abus, mais j'avais besoin de vacances et Lucifer ne m'a jamais demandé de compte.

Voilà pourquoi, je sais aujourd'hui que je pourrais rester prisonnier de ce caveau, sans que cela vienne à l'idée à mon grand frère que je suis en difficulté.

Ça m'apprendra !

Les instruments Cajuns se font étrangement de plus en plus proche, comme si le concert avait lieux dans le mausolée. J'essaie de reprendre mes esprits et là, avec stupéfaction, je découvre un visage ovale et blanchâtre au sourire figé que je ne connais que trop bien.

- Sam ! Dans quel pétrin t'es-tu encore fourré ? Soupir Amdukias...

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